1. ON NE PEUT RIEN CACHER A BIG BROTHER
George Orwell a entièrement raison, on ne peut rien cacher à Big Brother. Peu de temps après l'évocation de Jérusalem-Est dans l'un de mes articles consacré à la projection du film Lebanon Wins The World Cup dans la Ville sainte, Grand Frère me propose de visionner une vidéo au titre intriguant : « Welcome to the home of the Jewish people ». Méfiant, je vérifie la source : « Israël ». Je regarde de plus près et je découvre qu'il s'agit en fait de « la chaine officielle de l'Etat d'Israël sur YouTube ». Une convergence d'éléments qui me poussent à cliquer sur Play. Je peux vous assurer, je n'ai pas été déçu.
2. « BIENVENUE DANS LA MAISON DU PEUPLE JUIF »
Welcome to the home of the Jewish people raconte les mésaventures d'un couple de confession juive, Jacob et Rachel, censé représenter le peuple juif au cours d'une longue histoire de 3 000 ans. Décor Ikea, scénario simpliste et comique puéril, enfin, sur le plan artistique, la vidéo ne casse pas trois pattes à un canard. Mais là n'est pas le problème. C'est l'arrière-plan historique et les messages politiques qui posent problème. Alors que Jacob et Rachel, donc le peuple juif, sont tranquillement installés dans ce qui est considéré comme leur maison, baptisée « Terre d'Israël », ils ne cesseront au cours des 3 000 dernières années, d'être importunés, persécutés et malmenés par des envahisseurs.
Ça commence avec les Assyriens en l'an 722 avant JC. Ils occuperont le salon de Jacob & Rachel, obligeant le couple avec son enfant à prendre leur écriteau, ainsi que les grenades (fruit sacré dans la Bible) et la menorah (le chandelier à sept branches) et à se réfugier dans la chambre à coucher. A peine la famille est installée, d'autres Assyriens débarquent en 586 avant JC. Au nom de Nabuchodonosor, roi de Babylone, ils prennent possession de la maison, obligeant le couple à se réfugier dans la chambre d'enfant. Viendront après, les Grecs (332 avant JC), les Romains (63 avant JC), les Arabes (638), les Croisés (1099), les Mamelouks (1260), les Ottomans (1517) et les Britanniques (1917), obligeant le couple juif à se réfugier dans la salle de bain, les toilettes et même sous une tente dans le jardin. Enfin, en 1948, on sonne à la porte, et surprise, les derniers envahisseurs sont des Palestiniens, ils tentent eux aussi de s'installer dans la maison de Jacob et Rachel.
3. LES MESAVENTURES DE JACOB & RACHEL : UNE NOUVELLE PROPAGANDE D'ISRAEL
Ce qui frappe dans cette vidéo agréable de prime abord, c'est le contraste sciemment créé par les concepteurs entre le couple juif et les envahisseurs non-juifs.
D'une part, on a le contraste physique. Alors qu'ils sont censés représenter les juifs d'Orient, le couple a une peau blanche comme la neige. Rachel porte un gilet gris, un débardeur lavande, un jeans, des bijoux et un chignon. Jacob a le crâne et le visage bien rasés, et une chemise en blue-jean. Pour les envahisseurs, c'est tout une autre histoire. Ils sont tous typés, parfois barbus, ils portent tous des costumes traditionnels, grotesques ou folkloriques. Prenez par exemple la femme palestinienne, elle est voilée et tout en noir. L'homme palestinien porte la keffieh et l'agal sur la tête, ainsi que la masba7a islamiyé, le chapelet musulman, dans les mains. On n'aurait rien remarqué ni rien eu à redire si le court-métrage se cantonnait à faire de l'art et de l'humour. Mais l'approche politique change profondément la donne. Il n'est pas très difficile de noter et de relever le choix biaisé du diffuseur du clip, l'Etat d'Israël. Mais enfin, des Jacob d'antan devaient portaient la barbe, un complet pantalon-veste-manteau noir, une chemise blanche, des papillotes, un chapeau, un borsalino ou un schtreimel à la rabbi Jacob, un talit ou un châle de prière et même une kipa. Quant aux Rachel, elles devaient porter une robe plutôt qu'un pantalon, des tuniques couvrant la base du cou, les bras et les genoux, qui ne laissaient pas entrevoir la générosité de la poitrine et n'offraient pas de liberté au nombril, des bas qui tenaient bien sur les jambes, un sheitel de perruque pour cacher les cheveux, et j'en passe et des meilleurs. Enfin, tout ce qu'on retrouve de nos jours dans les différentes colonies des Territoires palestiniens occupés. Eh oui, qui veut caricaturer, s'abstient de faire les choses à moitié.
D'autre part, on a le contraste comportemental. Jacob et Rachel forment un gentil couple, sympa, ravissant, pacifique, tout sourire, qui tente désespérément de vivre paisiblement et d'élever son bébé. Pas les envahisseurs, notamment les Assyriens et les Croisés, ignares, méchants, agressifs, sauvageons et sanguinaires. Même le couple palestinien de la fin, il a une mine de déterrés, il n'a pas l'air franchement sympathique. Dans ce clip, seul le couple juif l'est. Et là aussi, on n'aurait rien remarqué ni rien eu à redire si le court-métrage se cantonnait à faire de l'art et de l'humour, sauf que l'approche politique change profondément la donne. Qui suit l'Etat hébreux depuis sa création en 1948, ici représenté par Jacob et Rachel, ne peut qu'être affligé par l'ampleur de l'agressivité, la violence et la déshumanisation qu'il montre lors de ses affrontements avec son environnement arabe. Dans tous les conflits armés qui ont opposé Israël aux pays arabes, Palestine comprise, les pertes humaines et financières des Arabes étaient des dizaines et des centaines de fois supérieures à celles des Israéliens. Un fait et des chiffres pour l'illustrer. Durant la dernière guerre de Gaza au cours de l'été 2014 et selon le rapport de la Commission d'enquête du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, du côté de la Palestine, 2 251 Palestiniens ont été tués (1 462 civils, dont 551 enfants et 299 femmes), alors que du côté d'Israël, 73 Israéliens ont été tués (dont 6 civils). Avec 6 civils israéliens pour 1 462 civils palestiniens, soit un rapport de 1 mort israélien pour 244 morts palestiniens, Nabuchodonosor vous envoie de bons baisers de sa tombe de Babylone et vous souhaite la bienvenue en Terre sainte.
Vous l'avez compris, le film diffusé par le ministère des Affaires étrangères d'Israël déforme la réalité, contient des erreurs historiques et fait des raccourcis idéologiques. Il relève de la propagande. Il s'adresse aux jeunes israéliens et aux occidentaux de toutes nationalités et de tous âges, qui connaissent mal l'histoire du Moyen-Orient. Dans cette énième campagne, l'Etat hébreux veut faire passer un message, résumé par une réplique explicite de Jacob : « Nous vivons ici depuis près de 3 000 ans ». « Nous » désigne le peuple juif. Et pour mieux faire passer la couleuvre, ils l'ont enrobé d'un humour puéril. La mise en scène n'a qu'un but, illustré dans la dernière séquence du film : décréter que les Palestiniens n'ont aucun droit sur la Terre promise par Yahvé au peuple élu.
4. « NOUS VIVONS ICI DEPUIS PRES DE 3 000 ANS »
Faire croire que les juifs ont toujours habité les rives orientales de la Méditerranée est non seulement faux mais grotesque. Lucy se retourne dans sa tombe ! Toute l'histoire de l'humanité est faite de migrations. Il faut donc commencer par préciser que les Juifs, comme les autres, n'y sont pas originaires. Certes, l'Ancien testament n'est pas parole d'Evangile. Et pourtant, il nous apprend énormément de choses. « Je suis le Dieu tout-puissant... ton nom sera Abraham... J'établis mon alliance, entre moi et toi et tes descendants après toi... Je te donnerai, à toi et à tes descendants après toi, le pays où tu séjournes comme étranger, tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle » (Genèse 17). Si ce pacte est bidon, pourquoi le reste ne l'est pas aussi ? « Yahweh dit à Moïse... J'ai établi mon alliance avec eux (Abraham, Isaac et Jacob), pour leur donner le pays de Canaan, pays de leurs migrations, où ils étaient des émigrés » (Exode 6). S'ils y étaient déjà, il était nullement besoin de leur accorder un droit qu'il possédait. Elémentaire. Abraham, le patriarche des trois religions monothéistes, un descendant de Noé, serait originaire de la région d'Ur en Mésopotamie, située actuellement au sud de l'Irak. Le « Pays de Canaan », désigne une partie du Proche-Orient ancien. Il correspond grosso-modo à la Palestine, Israël, le Liban et une partie de la Jordanie et de la Syrie.
De même, faire croire que l'installation du peuple juif sur les rives orientales de la Méditerranée s'est faite pacifiquement, est un énorme mensonge. En lisant l'Ancien testament de la Bible, on peut se faire une idée précise comment s'est déroulée la conquête militaire du Pays de Canaan par les Israélites. « Nous avons conquis toutes ces villes en ce temps-là, et voué chaque ville à l’anathème : hommes, femmes et enfants ; nous n’avons laissé aucun survivant » (d'après Moïse dans Dt 2:34). On dirait un génocide ! « Ils vouèrent à l’anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, l’homme comme la femme, le jeune comme le vieillard, de même que le bœuf, le mouton et l’âne, les passant tous au fil de l’épée... on incendia la ville et tout ce qui s’y trouvait » (d'après Josué à Jéricho dans Jos 6:21-24). On dirait des crimes contre l'humanité ! « Josué battit tout le pays : la montagne, le Néguev, le Bas-Pays, les versants, ainsi que tous leurs rois. Il ne laissa pas un survivant. Il voua à l’anathème tout être vivant, comme l’avait ordonné le Seigneur, Dieu d’Israël » (Jos 10:40). On dirait des crimes de guerre ! Toujours est-il que le Royaume d'Israël n'a existé sous une forme unifiée et étendue (comparable à l'Israël d'aujourd'hui) que 90 ans au total (entre 1020 av. JC et 930 av. JC). Sous une forme désunie, le Royaume de Samarie (Nord) a survécu pendant 210 ans (930 av. JC - 720 av. JC) et le Royaume de Juda (Sud), 344 ans (930 av. JC - 586 av. JC). On est loin des 3 000 ans sur lesquels insistent Jacob dans le film de propagande israélien.
5. LA COLONISATION MASSIVE DE LA PALESTINE DE 1878 A 2017
Pour voir plus clair, il faut plonger dans la démographie de la région. Un recensement ottoman datant de 1878, montre que près de 472 000 personnes vivaient dans la contrée qui constituera plus tard la Palestine mandataire. A l'époque, il n'y avait que 15 000 personnes de confession juive qui était originaires de la région, soit 3% de la population !, et 5 000 à 10 000 personnes de confession juive nées ailleurs, soit 1 à 2%. Les Arabes constituaient 95% de la population de la Palestine avant l'élaboration du projet sioniste (86% était musulmane et 9% chrétienne), alors que les Juifs ne dépassaient pas la barre des 5%. Même la veille de la Première guerre mondiale, 92,5% de la population de la Palestine était encore arabe, seulement 7,5% était juive. Aujourd'hui, l'ancienne Palestine mandataire, incluant l'Etat de Palestine et l'Etat d'Israël, compte près de 12 millions d'habitants, 48% seraient Juifs, 47,5 % seraient Musulmans et 2,5% Chrétiens. Ainsi, en 130 ans, on peut dire que le pourcentage de Juifs de la contrée orientale de la Méditerranée est passée de 5 à 50%, celle des Arabes de 95% à 50% ! La création de l'Etat d'Israël n'a donc pas pu se concrétiser que grâce à une colonisation massive de la Palestine par des populations juives non originaires de la région. C'est là où on se rend compte à quel point la propagande israélienne de Jacob et Rachel est abjecte.
6. LA RESOLUTION 2334 VOTEE PAR LE CONSEIL DE SECURITE DE L'ONU LE 23 DECEMBRE
Bien sûr, tout cela relève de l'histoire ancienne, sauf que rien n'a changé depuis. La situation empire au fil des années. Israël continue en toute impunité depuis le 14 mai 1948 une politique de colonisation abjecte de toutes les terres de la Palestine. Aujourd'hui, sur les Territoires palestiniens occupés, 430 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est. La situation est si préoccupante de nos jours qu'elle hypothèque la création d'un Etat palestinien viable sur ce qui reste de la Palestine mandataire. Ceci a amené le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté le 23 décembre 2016, la résolution 2334. Dans cette résolution historique la communauté internationale réaffirme que « la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit ». Par conséquent, « le Conseil de sécurité ne reconnaîtra aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris ce qui concerne Jérusalem ». Celui-ci « exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », qui constituent non seulement « une violation flagrante du droit international », mais aussi « un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable ». La portée du texte est considérable, non seulement parce qu'il a fait l'unanimité au sein du Conseil de sécurité (14 pays ont voté pour, 1 seule abstention), mais surtout parce qu'il a reçu la bénédiction tacite des Etats-Unis, principaux alliés d'Israël, qui n'ont pas opposé leur veto.
7. ISRAEL DEFIE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DEUX JOURS SEULEMENT APRES L'ENTREE EN FONCTION DE DONALD TRUMP
La réponse d'Israël n'a pas tardé. Deux jours à peine après l'entrée en fonction de Donald Trump, la mairie israélienne de Jérusalem-Ouest a donné son feu vert pour la construction de 566 logements dans la partie palestinienne de la ville, à Jérusalem-Est. Le maire de la Ville sainte, Nir Barkat, s'est félicité de la fin de « huit années difficiles avec Obama ». Son adjoint, Meïr Turjeman, a fait savoir « nous n'avons plus les mains liées comme du temps de Barack Obama (…) Nous avons des plans pour la construction de 11 000 logements (à Jérusalem-Est) qui attendent des autorisations ». Il faut dire que beaucoup de gens pro-israéliens et pro-colonisation gravitent autour du nouveau président américain : Jared Kuschner (mari d'Ivanka Trump), haut conseiller à la Maison-Blanche, Jason Greenblatt (Juif orthodoxe), représentant pour les négociations internationales et le processus de paix au Proche-Orient, et David Friedman, nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Israël. Dommage collatéral évident, les 400 000 réfugiés palestiniens au Liban, seront tôt ou tard, implantés au Liban. Et dire que la page « Friends of Donald J. Trump in Lebanon » ressemble déjà 43 500 fans !
Et ce n'est pas tout. Deux semaines plus tard, l'Etat hébreux fait voter une loi de régularisation des colonies sauvages qui décrètent que les propriétaires palestiniens de Cisjordanie qui ont été dépouillés de leurs biens par des colons israéliens comme « expropriés d'office ». Ainsi, une cinquantaine de petites « colonies » créées sans autorisation officielle dans le passé, bien que financées par des fonds publics et protégées par l'armée israélienne, qu'on appelle les « avant-postes », sont désormais légalisées. Pire encore, dorénavant, il suffit à n'importe quel colon israélien d'occuper illégalement un terrain qu'il convoite en Cisjordanie, pour que celui-ci lui soit attribuer par l'Etat d'Israël, qui est pourtant considéré comme une « Puissance occupante » par l'ONU. Même si la loi prévoit que le propriétaire palestinien spolié recevra une compensation financière ou foncière, il est difficile de rester indifférent à une législation aussi ignoble.
Israël a opté une nouvelle fois pour la politique de l'autruche et la fuite en avant, encouragé par l'arrivée à la Maison Blanche d'une administration pro-israélienne, favorable à la colonisation de ce qui reste de la Palestine. Manifestement, il est déterminé à devenir un pays hors-la-loi. Il doit donc être traité comme tel. Par conséquent, le Conseil de sécurité ne peut plus continuer à voter des résolutions pour les envoyer aussitôt aux archives. Il doit prendre des sanctions contraignantes contre l'Etat hébreux. Si ce pays méprise autant les droits des Palestiniens et défie à ce point la communauté internationale, c'est parce qu'il n'a jamais été contraint de se plier aux résolutions de l'ONU, comme l'Iran ou l'Afrique du Sud. La résolution 2334 est la 11e résolution sur la question, depuis 1967, c'est pour dire. Par ailleurs, Donald Trump ferait mieux de remplacer le « Muslim Ban » par un « Israël Ban », seul espoir de faire avancer un processus de paix bloqué depuis belle lurette, l'Union européenne doit reprendre l'initiative au Moyen-Orient par une mesure forte et symbolique, en reconnaissant l'Etat de Palestine, afin de rendre justice à un peuple spolié de ses terres et de ses droits depuis trop longtemps, et enfin, les candidats à l'élection présidentielle en France devraient faire une pause sur Penelope Fillon et se prononcer sur ce grand dossier international qui ne cesse d'influencer les événements dans le monde depuis la Déclaration de Balfour, il y a 100 ans exactement.
George Orwell a entièrement raison, on ne peut rien cacher à Big Brother. Peu de temps après l'évocation de Jérusalem-Est dans l'un de mes articles consacré à la projection du film Lebanon Wins The World Cup dans la Ville sainte, Grand Frère me propose de visionner une vidéo au titre intriguant : « Welcome to the home of the Jewish people ». Méfiant, je vérifie la source : « Israël ». Je regarde de plus près et je découvre qu'il s'agit en fait de « la chaine officielle de l'Etat d'Israël sur YouTube ». Une convergence d'éléments qui me poussent à cliquer sur Play. Je peux vous assurer, je n'ai pas été déçu.
2. « BIENVENUE DANS LA MAISON DU PEUPLE JUIF »
Welcome to the home of the Jewish people raconte les mésaventures d'un couple de confession juive, Jacob et Rachel, censé représenter le peuple juif au cours d'une longue histoire de 3 000 ans. Décor Ikea, scénario simpliste et comique puéril, enfin, sur le plan artistique, la vidéo ne casse pas trois pattes à un canard. Mais là n'est pas le problème. C'est l'arrière-plan historique et les messages politiques qui posent problème. Alors que Jacob et Rachel, donc le peuple juif, sont tranquillement installés dans ce qui est considéré comme leur maison, baptisée « Terre d'Israël », ils ne cesseront au cours des 3 000 dernières années, d'être importunés, persécutés et malmenés par des envahisseurs.
Ça commence avec les Assyriens en l'an 722 avant JC. Ils occuperont le salon de Jacob & Rachel, obligeant le couple avec son enfant à prendre leur écriteau, ainsi que les grenades (fruit sacré dans la Bible) et la menorah (le chandelier à sept branches) et à se réfugier dans la chambre à coucher. A peine la famille est installée, d'autres Assyriens débarquent en 586 avant JC. Au nom de Nabuchodonosor, roi de Babylone, ils prennent possession de la maison, obligeant le couple à se réfugier dans la chambre d'enfant. Viendront après, les Grecs (332 avant JC), les Romains (63 avant JC), les Arabes (638), les Croisés (1099), les Mamelouks (1260), les Ottomans (1517) et les Britanniques (1917), obligeant le couple juif à se réfugier dans la salle de bain, les toilettes et même sous une tente dans le jardin. Enfin, en 1948, on sonne à la porte, et surprise, les derniers envahisseurs sont des Palestiniens, ils tentent eux aussi de s'installer dans la maison de Jacob et Rachel.
3. LES MESAVENTURES DE JACOB & RACHEL : UNE NOUVELLE PROPAGANDE D'ISRAEL
Ce qui frappe dans cette vidéo agréable de prime abord, c'est le contraste sciemment créé par les concepteurs entre le couple juif et les envahisseurs non-juifs.
D'une part, on a le contraste physique. Alors qu'ils sont censés représenter les juifs d'Orient, le couple a une peau blanche comme la neige. Rachel porte un gilet gris, un débardeur lavande, un jeans, des bijoux et un chignon. Jacob a le crâne et le visage bien rasés, et une chemise en blue-jean. Pour les envahisseurs, c'est tout une autre histoire. Ils sont tous typés, parfois barbus, ils portent tous des costumes traditionnels, grotesques ou folkloriques. Prenez par exemple la femme palestinienne, elle est voilée et tout en noir. L'homme palestinien porte la keffieh et l'agal sur la tête, ainsi que la masba7a islamiyé, le chapelet musulman, dans les mains. On n'aurait rien remarqué ni rien eu à redire si le court-métrage se cantonnait à faire de l'art et de l'humour. Mais l'approche politique change profondément la donne. Il n'est pas très difficile de noter et de relever le choix biaisé du diffuseur du clip, l'Etat d'Israël. Mais enfin, des Jacob d'antan devaient portaient la barbe, un complet pantalon-veste-manteau noir, une chemise blanche, des papillotes, un chapeau, un borsalino ou un schtreimel à la rabbi Jacob, un talit ou un châle de prière et même une kipa. Quant aux Rachel, elles devaient porter une robe plutôt qu'un pantalon, des tuniques couvrant la base du cou, les bras et les genoux, qui ne laissaient pas entrevoir la générosité de la poitrine et n'offraient pas de liberté au nombril, des bas qui tenaient bien sur les jambes, un sheitel de perruque pour cacher les cheveux, et j'en passe et des meilleurs. Enfin, tout ce qu'on retrouve de nos jours dans les différentes colonies des Territoires palestiniens occupés. Eh oui, qui veut caricaturer, s'abstient de faire les choses à moitié.
D'autre part, on a le contraste comportemental. Jacob et Rachel forment un gentil couple, sympa, ravissant, pacifique, tout sourire, qui tente désespérément de vivre paisiblement et d'élever son bébé. Pas les envahisseurs, notamment les Assyriens et les Croisés, ignares, méchants, agressifs, sauvageons et sanguinaires. Même le couple palestinien de la fin, il a une mine de déterrés, il n'a pas l'air franchement sympathique. Dans ce clip, seul le couple juif l'est. Et là aussi, on n'aurait rien remarqué ni rien eu à redire si le court-métrage se cantonnait à faire de l'art et de l'humour, sauf que l'approche politique change profondément la donne. Qui suit l'Etat hébreux depuis sa création en 1948, ici représenté par Jacob et Rachel, ne peut qu'être affligé par l'ampleur de l'agressivité, la violence et la déshumanisation qu'il montre lors de ses affrontements avec son environnement arabe. Dans tous les conflits armés qui ont opposé Israël aux pays arabes, Palestine comprise, les pertes humaines et financières des Arabes étaient des dizaines et des centaines de fois supérieures à celles des Israéliens. Un fait et des chiffres pour l'illustrer. Durant la dernière guerre de Gaza au cours de l'été 2014 et selon le rapport de la Commission d'enquête du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, du côté de la Palestine, 2 251 Palestiniens ont été tués (1 462 civils, dont 551 enfants et 299 femmes), alors que du côté d'Israël, 73 Israéliens ont été tués (dont 6 civils). Avec 6 civils israéliens pour 1 462 civils palestiniens, soit un rapport de 1 mort israélien pour 244 morts palestiniens, Nabuchodonosor vous envoie de bons baisers de sa tombe de Babylone et vous souhaite la bienvenue en Terre sainte.
Vous l'avez compris, le film diffusé par le ministère des Affaires étrangères d'Israël déforme la réalité, contient des erreurs historiques et fait des raccourcis idéologiques. Il relève de la propagande. Il s'adresse aux jeunes israéliens et aux occidentaux de toutes nationalités et de tous âges, qui connaissent mal l'histoire du Moyen-Orient. Dans cette énième campagne, l'Etat hébreux veut faire passer un message, résumé par une réplique explicite de Jacob : « Nous vivons ici depuis près de 3 000 ans ». « Nous » désigne le peuple juif. Et pour mieux faire passer la couleuvre, ils l'ont enrobé d'un humour puéril. La mise en scène n'a qu'un but, illustré dans la dernière séquence du film : décréter que les Palestiniens n'ont aucun droit sur la Terre promise par Yahvé au peuple élu.
4. « NOUS VIVONS ICI DEPUIS PRES DE 3 000 ANS »
Faire croire que les juifs ont toujours habité les rives orientales de la Méditerranée est non seulement faux mais grotesque. Lucy se retourne dans sa tombe ! Toute l'histoire de l'humanité est faite de migrations. Il faut donc commencer par préciser que les Juifs, comme les autres, n'y sont pas originaires. Certes, l'Ancien testament n'est pas parole d'Evangile. Et pourtant, il nous apprend énormément de choses. « Je suis le Dieu tout-puissant... ton nom sera Abraham... J'établis mon alliance, entre moi et toi et tes descendants après toi... Je te donnerai, à toi et à tes descendants après toi, le pays où tu séjournes comme étranger, tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle » (Genèse 17). Si ce pacte est bidon, pourquoi le reste ne l'est pas aussi ? « Yahweh dit à Moïse... J'ai établi mon alliance avec eux (Abraham, Isaac et Jacob), pour leur donner le pays de Canaan, pays de leurs migrations, où ils étaient des émigrés » (Exode 6). S'ils y étaient déjà, il était nullement besoin de leur accorder un droit qu'il possédait. Elémentaire. Abraham, le patriarche des trois religions monothéistes, un descendant de Noé, serait originaire de la région d'Ur en Mésopotamie, située actuellement au sud de l'Irak. Le « Pays de Canaan », désigne une partie du Proche-Orient ancien. Il correspond grosso-modo à la Palestine, Israël, le Liban et une partie de la Jordanie et de la Syrie.
De même, faire croire que l'installation du peuple juif sur les rives orientales de la Méditerranée s'est faite pacifiquement, est un énorme mensonge. En lisant l'Ancien testament de la Bible, on peut se faire une idée précise comment s'est déroulée la conquête militaire du Pays de Canaan par les Israélites. « Nous avons conquis toutes ces villes en ce temps-là, et voué chaque ville à l’anathème : hommes, femmes et enfants ; nous n’avons laissé aucun survivant » (d'après Moïse dans Dt 2:34). On dirait un génocide ! « Ils vouèrent à l’anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, l’homme comme la femme, le jeune comme le vieillard, de même que le bœuf, le mouton et l’âne, les passant tous au fil de l’épée... on incendia la ville et tout ce qui s’y trouvait » (d'après Josué à Jéricho dans Jos 6:21-24). On dirait des crimes contre l'humanité ! « Josué battit tout le pays : la montagne, le Néguev, le Bas-Pays, les versants, ainsi que tous leurs rois. Il ne laissa pas un survivant. Il voua à l’anathème tout être vivant, comme l’avait ordonné le Seigneur, Dieu d’Israël » (Jos 10:40). On dirait des crimes de guerre ! Toujours est-il que le Royaume d'Israël n'a existé sous une forme unifiée et étendue (comparable à l'Israël d'aujourd'hui) que 90 ans au total (entre 1020 av. JC et 930 av. JC). Sous une forme désunie, le Royaume de Samarie (Nord) a survécu pendant 210 ans (930 av. JC - 720 av. JC) et le Royaume de Juda (Sud), 344 ans (930 av. JC - 586 av. JC). On est loin des 3 000 ans sur lesquels insistent Jacob dans le film de propagande israélien.
5. LA COLONISATION MASSIVE DE LA PALESTINE DE 1878 A 2017
Pour voir plus clair, il faut plonger dans la démographie de la région. Un recensement ottoman datant de 1878, montre que près de 472 000 personnes vivaient dans la contrée qui constituera plus tard la Palestine mandataire. A l'époque, il n'y avait que 15 000 personnes de confession juive qui était originaires de la région, soit 3% de la population !, et 5 000 à 10 000 personnes de confession juive nées ailleurs, soit 1 à 2%. Les Arabes constituaient 95% de la population de la Palestine avant l'élaboration du projet sioniste (86% était musulmane et 9% chrétienne), alors que les Juifs ne dépassaient pas la barre des 5%. Même la veille de la Première guerre mondiale, 92,5% de la population de la Palestine était encore arabe, seulement 7,5% était juive. Aujourd'hui, l'ancienne Palestine mandataire, incluant l'Etat de Palestine et l'Etat d'Israël, compte près de 12 millions d'habitants, 48% seraient Juifs, 47,5 % seraient Musulmans et 2,5% Chrétiens. Ainsi, en 130 ans, on peut dire que le pourcentage de Juifs de la contrée orientale de la Méditerranée est passée de 5 à 50%, celle des Arabes de 95% à 50% ! La création de l'Etat d'Israël n'a donc pas pu se concrétiser que grâce à une colonisation massive de la Palestine par des populations juives non originaires de la région. C'est là où on se rend compte à quel point la propagande israélienne de Jacob et Rachel est abjecte.
6. LA RESOLUTION 2334 VOTEE PAR LE CONSEIL DE SECURITE DE L'ONU LE 23 DECEMBRE
Bien sûr, tout cela relève de l'histoire ancienne, sauf que rien n'a changé depuis. La situation empire au fil des années. Israël continue en toute impunité depuis le 14 mai 1948 une politique de colonisation abjecte de toutes les terres de la Palestine. Aujourd'hui, sur les Territoires palestiniens occupés, 430 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est. La situation est si préoccupante de nos jours qu'elle hypothèque la création d'un Etat palestinien viable sur ce qui reste de la Palestine mandataire. Ceci a amené le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté le 23 décembre 2016, la résolution 2334. Dans cette résolution historique la communauté internationale réaffirme que « la création par Israël de colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n’a aucun fondement en droit ». Par conséquent, « le Conseil de sécurité ne reconnaîtra aucune modification aux frontières du 4 juin 1967, y compris ce qui concerne Jérusalem ». Celui-ci « exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », qui constituent non seulement « une violation flagrante du droit international », mais aussi « un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable ». La portée du texte est considérable, non seulement parce qu'il a fait l'unanimité au sein du Conseil de sécurité (14 pays ont voté pour, 1 seule abstention), mais surtout parce qu'il a reçu la bénédiction tacite des Etats-Unis, principaux alliés d'Israël, qui n'ont pas opposé leur veto.
7. ISRAEL DEFIE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DEUX JOURS SEULEMENT APRES L'ENTREE EN FONCTION DE DONALD TRUMP
La réponse d'Israël n'a pas tardé. Deux jours à peine après l'entrée en fonction de Donald Trump, la mairie israélienne de Jérusalem-Ouest a donné son feu vert pour la construction de 566 logements dans la partie palestinienne de la ville, à Jérusalem-Est. Le maire de la Ville sainte, Nir Barkat, s'est félicité de la fin de « huit années difficiles avec Obama ». Son adjoint, Meïr Turjeman, a fait savoir « nous n'avons plus les mains liées comme du temps de Barack Obama (…) Nous avons des plans pour la construction de 11 000 logements (à Jérusalem-Est) qui attendent des autorisations ». Il faut dire que beaucoup de gens pro-israéliens et pro-colonisation gravitent autour du nouveau président américain : Jared Kuschner (mari d'Ivanka Trump), haut conseiller à la Maison-Blanche, Jason Greenblatt (Juif orthodoxe), représentant pour les négociations internationales et le processus de paix au Proche-Orient, et David Friedman, nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Israël. Dommage collatéral évident, les 400 000 réfugiés palestiniens au Liban, seront tôt ou tard, implantés au Liban. Et dire que la page « Friends of Donald J. Trump in Lebanon » ressemble déjà 43 500 fans !
Et ce n'est pas tout. Deux semaines plus tard, l'Etat hébreux fait voter une loi de régularisation des colonies sauvages qui décrètent que les propriétaires palestiniens de Cisjordanie qui ont été dépouillés de leurs biens par des colons israéliens comme « expropriés d'office ». Ainsi, une cinquantaine de petites « colonies » créées sans autorisation officielle dans le passé, bien que financées par des fonds publics et protégées par l'armée israélienne, qu'on appelle les « avant-postes », sont désormais légalisées. Pire encore, dorénavant, il suffit à n'importe quel colon israélien d'occuper illégalement un terrain qu'il convoite en Cisjordanie, pour que celui-ci lui soit attribuer par l'Etat d'Israël, qui est pourtant considéré comme une « Puissance occupante » par l'ONU. Même si la loi prévoit que le propriétaire palestinien spolié recevra une compensation financière ou foncière, il est difficile de rester indifférent à une législation aussi ignoble.
Israël a opté une nouvelle fois pour la politique de l'autruche et la fuite en avant, encouragé par l'arrivée à la Maison Blanche d'une administration pro-israélienne, favorable à la colonisation de ce qui reste de la Palestine. Manifestement, il est déterminé à devenir un pays hors-la-loi. Il doit donc être traité comme tel. Par conséquent, le Conseil de sécurité ne peut plus continuer à voter des résolutions pour les envoyer aussitôt aux archives. Il doit prendre des sanctions contraignantes contre l'Etat hébreux. Si ce pays méprise autant les droits des Palestiniens et défie à ce point la communauté internationale, c'est parce qu'il n'a jamais été contraint de se plier aux résolutions de l'ONU, comme l'Iran ou l'Afrique du Sud. La résolution 2334 est la 11e résolution sur la question, depuis 1967, c'est pour dire. Par ailleurs, Donald Trump ferait mieux de remplacer le « Muslim Ban » par un « Israël Ban », seul espoir de faire avancer un processus de paix bloqué depuis belle lurette, l'Union européenne doit reprendre l'initiative au Moyen-Orient par une mesure forte et symbolique, en reconnaissant l'Etat de Palestine, afin de rendre justice à un peuple spolié de ses terres et de ses droits depuis trop longtemps, et enfin, les candidats à l'élection présidentielle en France devraient faire une pause sur Penelope Fillon et se prononcer sur ce grand dossier international qui ne cesse d'influencer les événements dans le monde depuis la Déclaration de Balfour, il y a 100 ans exactement.