dimanche 18 février 2018

Que pensent les gens de la gouvernance de leur pays par l'armée, un leader fort, des experts, le peuple ou des élus ? (Art.511)


Enquête dans 38 pays du monde, dont le Liban, la France, l'Allemagne, la Suède, le Canada, le Royaume-Uni, l'Italie, la Tunisie, la Turquie, Israël, la Russie, l'Australie et les Etats-Unis.



Le Pew Research Center


Elles peuvent susciter la polémique, surtout quand elles abordent des sujets sensibles comme la religion, jamais l'indifférence ou le désintérêt. Les études du Pew Research Center sont toujours attendues. Ce think tank américain basé à Washington est devenu en moins d'une quinzaine d'années une référence internationale. Ses publications concernent la politique et la législation américaines, mais aussi les tendances politiques, sociales et démographiques dans le monde. Celle du mois d'octobre s'intéresse à l'évaluation des systèmes de gouvernance par les populations de 38 pays. Au total, 41 953 personnes ont été interrogées. Comme nous sommes la veille de nouvelles élections législatives au Liban, il serait utile de revenir sur les chiffres.

Dans chaque pays, on a demandé aux gens si les systèmes de gouvernement suivants seraient pour eux une « très mauvaise / plutôt mauvaise / plutôt bonne / très bonne » manière de gouverner leur pays : la démocratie représentative, la démocratie directe, un régime d'experts, un régime de dirigeant fort et un régime militaire. Deux questions supplémentaires ont été posées aux gens pour savoir s'ils font confiance au gouvernement national et s'ils sont satisfaits de leur démocratie.


Démocratie représentative : « un régime démocratique dans lequel des représentants élus par les citoyens décident des lois »


- Dans tous les pays interrogés, sans exception, la majorité des gens pensent que la démocratie représentative est une bonne manière de gouverner leur pays. C'est plutôt très rassurant! Dans 31 pays sur 38, on est plus de 2/3 à le croire. Et même dans 26 pays, 3/4 des gens le pensent.

- On retrouve les populations les plus enthousiastes pour la démocratie représentative dans les pays occidentaux (74-92%), sans surprise. Le record est détenu par les Suédois (92%), suivis de près par les Allemands (90%). C'est dans ces pays qu'on trouve le taux le plus faible de mauvaise opinion pour cette gestion politique de la vie collective (moins de 10%).

- A l'inverse, on retrouve les populations les moins enthousiastes pour la démocratie représentative dans les pays en développement. Le triste record est détenu par les Tunisiens, ex aequo avec les Colombiens. Ils ne sont que 53% à penser que la démocratie représentative est un bon système de gouvernement, 39% d'entre eux pensent même que c'est un mauvais système.

- En Europe du Nord (Suède, Allemagne), ainsi que dans les pays anglosaxons (Royaume Uni, Etats-Unis, Canada, Australie), on croit un peu plus que dans les pays d'Europe du Sud (Italie, Grèce, Espagne) à la démocratie représentative, respectivement, 90-92%, 84-88% et 74-79%.

- Avec 81% de bonnes opinions, la France se situe entre les deux groupes. Toutefois, jusqu'à 18% des Français pensent que la démocratie représentative est un mauvais système. C'est presque le même profil que les voisins-ennemis, les Grecs (78% et 20%) et les Turcs (80% et 16%). Ce n'est pas très glorieux ni pour cette grande démocratie, ni pour le berceau de la démocratie, ni pour ces candidats pour entrer dans le bastion démocratique européen ! Les chiffres français s'expliquent aisément par la présence ancrée dans l'échiquier politique des tendances extrêmes, droite et gauche. De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, nombreux sont ceux qui s'estiment mal représenter par la démocratie représentative.

- Les Libanais s'en sortent avec des scores très honorables : ils sont à 85% à croire que la démocratie représentative est un bon système de gouvernement et seulement 14% à penser le contraire. On fait mieux que les Français pardi! Les Libanais pensent comme les Anglosaxons (Anglais, Américains, Canadiens et Australiens) plutôt que comme les Méditerranéens des deux rives (Italiens, Espagnols, Grecs, Tunisiens). Les Libanais ont exactement le même profil que les Ghanéens sur ce point, et surprise, pratiquement la même façon de penser de la « démocratie représentative » que les Israéliens (87% la considèrent « bonne » et 11% « mauvaise »). No offense!

Démocratie directe : « un régime démocratique où les citoyens, et non des représentants élus, votent directement sur les principales questions nationales afin de décider des lois »


- L'adhésion de l'écrasante majorité des peuples interrogés à la « démocratie directe » est certaine. Dans 36 pays sur 38, plus de la moitié de la population trouve que ce système aussi constitue une bonne manière de gouverner.

- Seuls les Tunisiens et les Jordaniens pensent que c'est une mauvaise manière (57 et 55%).

- En tête des populations les plus enthousiastes se trouvent les Turcs et les Libanais figurez-vous (84 et 83%). Déçus par nos représentants, déçus par nos leaders, déçus par nos lois électorales, nous autres Libanais croyons que la planche de salut serait de retourner à la source de tout pouvoir politique, le peuple. Sauf que ce qui marche pour la Suisse de l'Occident, ne fonctionnera pas forcément dans la Suisse de l'Orient, pour deux raisons très simples: le raisonnement communautaire et l'élan de domination présents dans toutes les communautés et les partis politiques libanais.

- Les Français et les Allemands manifestent beaucoup plus d'intérêt pour la « démocratie directe » (tous deux à 74%), que les Suédois et les Néerlandais (57 et 55%), qui la trouvent « mauvaise » à hauteur de 41 et de 44%.

- Dans tous les cas de figure, cette adhésion mondiale est nettement moins importante que pour la « démocratie représentative », à quelques exceptions (Russie, Turquie, Mexique, Colombie, Chili). « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », ah, tout le monde voudrait mettre en œuvre la formule d'Abraham Lincoln, le 16e président des Etats-Unis, sauf que ce n'est pas si simple, il faut que le régime démocratique qui en découle fonctionne et ne soit pas paralysé. Et c'est bien cela qui explique en grande partie la différence d'adhésion des populations aux deux types de démocratie.

Pays dirigé par des experts : « des experts, et non des représentants élus, décident en fonction de ce qu'ils pensent être le mieux pour le pays »


- L'idée a de quoi séduire en théorie, sauf qu'à partir de là, le temps se gâtent et les résultats surprennent. Mais enfin, qui peut douter un instant que des technocrates, pardon, des experts, feront des miracles et des merveilles? Eh bien, la majorité des gens, au moins dans les démocraties occidentales! Si le monde est dans un sale état, c'est justement à cause de tous ces experts qui succèdent à la cour des politiciens depuis des décennies.

- En France, Allemagne, Suède, Royaume Uni, Etats-Unis, Canada et Australie, plus de la moitié de la population pense qu'un pays dirigé par des experts constituent une mauvaise manière de gouverner (53-63%).

- Devinez maintenant quel est le peuple qui pense exactement le contraire? Eh bien, nous autres Libanais et à 70% svp, le record mondial, au moins parmi les 38 pays interrogés! Bon, il faut reconnaître que les politiciens libanais laissent tellement à désirer, que les pauvres citoyens croient forcément à la panacée des experts !

- Les Hongrois, les Vietnamiens, les Nigériens et les Russes eux aussi, croient dans l'expertise des experts.

- Dans les pays occidentaux, le soutien à la technocratie est plus grande chez les moins de 30 ans que parmi les plus de 50 ans.

Pays dirigé par un dirigeant fort : « un régime dans lequel un dirigeant fort peut prendre des décisions sans interférence du Parlement ou du pouvoir judiciaire »


- Tout le monde voudrait avoir un dirigeant fort. Mais là il est question d'un régime où le dirigeant du pays aurait le pouvoir absolu de prendre des décisions importantes indépendamment des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaires. Bienvenue dans l'autocratie.

- Sans surprise, ce sont les Allemands qui rejettent le plus massivement une telle configuration politique. A 93%, ils trouvent qu'elle constitue une mauvaise manière de gouverner. Ils sont rejoints par les Suédois, les Néerlandais, les Français et les Grecs.

- Et qui arrive en 6e position svp? Nous autres Libanais! Pavoisez, il y a de quoi. Nous pensons à 84% que le régime d'un leader fort incontrôlable, constitue une « mauvaise » gouvernance, comme les Espagnols. Et si on ne s'intéresse qu'à ceux qui pensent que c'est une « très mauvaise » gouvernance, les Libanais remportent la médaille de bronze, ex-aequo avec les Sénégalais (68%), l'argent va aux Suédois (70%) et l'or aux Néerlandais (73%). Par comparaison, les Allemands et les Grecs sont à 63% à penser que c'est une très mauvaise gouvernance, les Américains sont à 55%, Canadiens 54%, Français 52%, Australiens 50%, Anglais 45%, Israéliens 36%, Japonais 29% et les Russes seulement à 13%.

- Les plus enthousiastes pour le régime autocratique sont les Indiens, les Indonésiens et les Philippins, trois populations qui ont un profil comparable sur tous les paramètres, à quelques exceptions près. Dans ces trois pays, plus de la moitié de la population (50-55%) pense qu'un « pays dirigé par un dirigeant fort » est une bonne manière de gouverner. Au pays de Rodrigo Duterte, rien d'étonnant. Au diapason, mais dans une moindre mesure, les Russes et les Turcs (48% et 40%). Rien d'étonnant non plus aux pays de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan ! Par comparaison, c'est 25% pour les Israéliens, 22% pour les Américains, 14% pour les Libanais, 12% pour les Français et seulement 6% pour les Allemands, record mondial.

- Sur ce point, on observe un certain clivage dans les pays occidentaux entre les démocraties européennes et les démocraties anglosaxonnes. Alors qu'en Espagne, Grèce, France, Pays-Bas, Suède et Allemagne, on pense à hauteur de 84-93% de la population qu'un « pays dirigé par un dirigeant fort » est une mauvaise manière de gouverner, ils ne sont qu'entre 71-81% à le penser au Royaume Uni, Etats-Unis, Australie et Canada.

- Autre résultat intéressant, c'est le cas de l'Italie et du Japon, deux pays qui ont pourtant connu les dérives d'un régime autoritaire, comme l'Allemagne et l'Espagne. La majorité des deux populations rejette le régime du dirigeant fort, mais seulement à hauteur de 66 et 61%, deux exceptions parmi les grandes démocraties. Jusqu'à 29% des Italiens et 31% des Japonais trouvent que ce régime constitue une bonne manière de gouverner.

- Dans quatre pays seulement, une majorité de la population ou presque, pense que ce type de régime constitue une bonne gouvernance: Russie, Philippines, Indonésie et Inde (48-55%), la population est pratiquement partagée dans les deux premiers.

Pays dirigé par l'armée : « un régime où l'armée dirige le pays »


- La majorité des populations du monde, de l'étude, rejette ce type de régime mais à des degrés différents (52-95%).

- C'est en Europe du Nord, qu'on trouve les scores les plus élevés contre ce type de régime. Les Allemands, les Suédois et les Néerlandais pensent massivement que ce régime constitue une mauvaise manière de gouverner (91-95%). En Allemagne, on ne trouve que 4% des gens prêts à confier la gestion du pays à l'armée. Même profil en Grèce, et pour cause, l'histoire, dans les deux cas !

- Le régime militaire ne séduit pas les Turcs et les Israéliens qu'à hauteur de 9 et 10%.

- Quatre pays occidentaux sortent du lot et ce n'est guère flatteur : les Etats-Unis, la France, le Royaume Uni et l'Italie. Dans ces pays, entre 15 et 17% de la population pense que le régime militaire constitue une bonne manière de gouverner leur pays, comme au Japon.

- Au Liban, tout le monde sait que l'armée libanaise occupe une place importante au sein de la population, comme en témoignent les messages de sympathie et de soutien à chaque turbulence sécuritaire. Cependant, défendre le pays est une chose, le gérer, c'est tout autre. Ainsi, seuls 27% des Libanais pensent que le régime militaire serait une bonne manière de gouverner le Liban. C'est beaucoup, pour un pays démocratique, sauf que 73% des Libanais pensent le contraire, c'est une « mauvaise » gouvernance, et 51% de la population que ça serait même une « très mauvaise » gouvernance pour le Liban, comme en France et en Israël (48% et 56%).

- Dans cinq pays seulement, il y a au contraire, une adhésion massive pour le régime militaire (48-70%) : Nigeria, Afrique du Sud, Inde, Indonésie et Vietnam.

« Dans quelle mesure faites-vous confiance au gouvernement national pour faire ce qui est bon pour le pays ? »


- C'est parmi les pays en développement qu'on trouve les populations les plus confiantes de l'étude. Aux Philippines, Vietnam, Indonésie, Inde et Tanzanie, 80 à 89% des personnes font confiance à leur gouvernement.

- Parmi les pays occidentaux, il existe un clivage Nord/Sud. En Europe du Nord (Allemagne, Pays-Bas, Suède), en Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada) et dans les pays anglosaxons (Royaume Uni, Australie), plus de la moitié de la population ou presque, fait confiance au gouvernement pour faire ce qui convient pour le pays (48-71%). A l'opposé, en Europe du Sud (Grèce, Italie, Espagne), seuls 13 à 26% font confiance.

- Deux pays détonnent, la France et la Russie. Les Français ne font confiance qu'à hauteur de 20%. Bon, pas d'effet Macron encore au moment de l'étude (début 2017). Par contre, les Russes eux, ils sont à 67% à avoir confiance. C'est l'effet Poutine, une constante.

- Au Liban, le résultat est sans aucune surprise, seul 15% de la population fait confiance au gouvernement pour entreprendre ce qui est bon pour le pays du Cèdre. Les Libanais sont donc à la 3e place de la défiance (85%), après les Colombiens et les Péruviens (88%), ex-aequo avec les Chiliens, voisins de palier des Mexicains (83%), riverains des Argentins, des Brésiliens et des Vénézuéliens (71-78%). Ce n'est pas du tout comme ça dans les pays africains de l'étude (Ghana, Sénégal, Kenya, Tanzanie), où la majorité de la population a confiance. Je ne sais pas si c'est à cause de la culture de l'olivier et de l'immigration massive de nos ancêtres vers le nouveau continent au siècle dernier, mais alors pour les Libanais, question confiance dans les gouvernements, c'est direction Amérique du Sud via la Méditerranée.

« Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de la façon dont la démocratie fonctionne dans votre pays ? »


- Les plus satisfaits du fonctionnement de leur démocratie dans le monde sont les Indiens et les Tanzaniens. Ils le sont à 79%, autant que les Suédois d'ailleurs.

- Sans la moindre surprise, il faut mettre le cap vers le Nord pour d'autres scores élevés de satisfaction. Les Allemands et les Néerlandais sont entièrement satisfaits (73-77%). Dans les pays anglosaxons, la majorité des gens est très satisfaite aussi. Les moins satisfaits de ce groupe sont les Américains (46%) et les plus satisfaits sont les Canadiens (70%), Anglais et Australiens sont entre les deux.

- En Europe du Sud, les Grecs, les Espagnols et les Italiens ne sont pas du tout satisfaits (seulement 21-31% le sont).

- Maintenant à votre avis qui sont les gens les moins satisfaits du fonctionnement de leur démocratie ? Un indice : ils bouillonnent de rage car malgré leur attachement à la démocratie, ils ne parviennent pas à obtenir ce qu'ils souhaitent. Autre indice : ils ont des élections prochainement et une occasion en or pour le faire. Oui, absolument, c'est nous autres Libanais.  Nous ne sommes qu'à peine 8% à trouver que notre démocratie fonctionne bien. Tiens, comme c'est étrange. Bienvenue au pays des merveilles, où un Parlement peut être fermé et boycotté pendant des années ! Et qu'est-ce qu'on fait pour améliorer la situation svp? On réélit ceux qui l'ont fait fonctionné mal, les belles gueules et les beaux parleurs! Maigre consolation, les Mexicains sont dans un piètre état, ils ne sont satisfaits de leur démocratie qu'à hauteur de 6%.

L'appréciation des différents régimes de gouvernance par différentes populations dans le monde, synthèse complémentaire


- Dans les pays riches où la démocratie est ancrée depuis longtemps et qui fonctionne correctement, les pays occidentaux, les gens sont plus attachés à la démocratie représentative.

- La démocratie directe est évidemment plébiscitée par les partisans des partis populistes.

- Que l'on soit dans les pays riches ou moins riches, au niveau individuel, pour les personnes ayant des niveaux d'éducation et économique plus bas, chez qui les frustrations économique, sociale et politique se cumulent et sont importantes, on a plus tendance à être ouverts à des formes de gouvernance non-démocratiques (experts, dirigeant fort, armée).

- Des scores plus élevés pour les régimes non-démocratiques (technocratie, autocratie, régime militaire), sont plus observés chez les partisans de droite que chez les partisans de gauche.

- La confiance dans le gouvernement et la satisfaction de la démocratie, sont étroitement liées à la situation économique et à la politique intérieure.

- De bons résultats économiques se répercutent sur la confiance dans le gouvernement national, mais aussi sur l'opinion que certains ont de la démocratie.

- Le pays qui détient le plus de records, ou n'en est pas loin, c'est la Suède. Sur les 12 paramètres, les Suédois sont toujours dans le top le plus haut ou le plus bas, selon les cas et toujours du bon côté. Il n'y a pas de doute, la démocratie se porte à merveille en Suède. C'est le seul pays au monde, de l'étude, où il y a une majorité nette de 52% de « démocrates engagés », qui appuient un système dans lequel les représentants élus gouvernent mais ne soutiennent pas un régime guidé par les experts, un chef fort ou l'armée.

- Il fait bon de vivre et de s'épanouir aussi dans tous les pays occidentaux, hors ex-pays de l'Est. Ils restent fortement attacher à la démocratie représentative et très ouverts à la démocratie directe à des degrés différents. Dans tous les pays occidentaux sans exception, la majorité des gens ne confieraient pas leur pays aux experts. Ils rejettent tous sans exception, et massivement, l'idée de l'homme fort qui peut se passer du Parlement et le régime militaire. Au total, entre 34-52% des Occidentaux sont des « démocrates engagés » (ils appuient un système dans lequel les représentants élus gouvernent mais ne soutiennent pas la technocratie, l'autocratie ou le régime militaire), 34-47% des « démocrates moins engagés » (qui disent qu'une démocratie représentative est bonne mais qui soutiennent aussi au moins une forme non démocratique de gouvernement) et 6-17% des « non-démocrates » (qui ne soutiennent pas la démocratie représentative et soutiennent au moins une forme non démocratique, comme celle des experts, d'un chef fort ou de l'armée). Par comparaison le profil des Russes est à l'opposé : respectivement 7% - 61% - 22%. Il n'y a que 7% de « démocrates engagés » en Russie, c'est le taux le plus faible du monde.

- La différence notable entre les pays occidentaux, se situe sur le degré de rejet des régimes non-démocratiques. Pour le régime du dirigeant fort, les pays d'Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Espagne, Grèce) s'y opposent bien davantage que les pays anglosaxons (Royaume Uni, Etats-Unis, Canada, Australie), respectivement 84-93% et 71-81% trouvent que c'est mauvais. Seule l'Italie fait bande à part (66%). Les plus favorables du camp occidental au régime du dirigeant fort qui se passerait du Parlement sont les Américains, les Anglais et les Italiens (22%, 26% et 29%).

- Pour le régime militaire, les cartes sont mélangées en Occident. 8-11% des Canadiens, Australiens, Néerlandais, Grecs et Espagnols estiment que c'est une bonne gouvernance. Des pourcentages qui passent à 15-17% chez les Français, Américains, Anglais et Italiens. Il n'y a que chez les Allemands et les Suédois que le régime militaire n'est pas légion (4%).

- Sur la confiance dans le gouvernement et la satisfaction de la démocratie, il y a trois camps occidentaux. Allemands, Néerlandais, Suédois et Canadiens ont des scores très élevés (entre 67-71%). Français, Italiens, Espagnols et Grecs, des scores très bas (13-26%). Américains, Anglais et Australiens sont très partagés (48-51%).

- Curieusement, les Américains et les Israéliens ont à peu de choses près, le même profil, sur les 12 paramètres! Je l'ai vérifié à trois reprises! Alliés sur le terrain et dans les chiffres, aussi incroyable que cela puisse paraître : démocrates engagés 40% vs. 36% ; démocrates moins engagés 46% vs. 51% ; non-démocrates 7% vs. 7%, pas plus de 5% de différence. Cela confirme une chose, Israël peut cumuler tous les défauts du monde, violer une quinzaine de résolutions de l'ONU et piétiner le droit des Palestiniens ad vitam aeternam, et c'est pour cela que je reste favorable à son boycott, il n'empêche que l'Etat hébreux demeure une grande démocratie.

- Il y avait trois pays arabes dans l'étude, le Liban, la Jordanie et la Tunisie, fleuron du Printemps arabe. Le profil des trois populations est très différent. C'est en Jordanie qu'on trouve le plus de « démocrates engagés » (33%), presque deux fois plus qu'au Liban et trois fois plus qu'en Tunisie. C'est au Liban, qu'on trouve le plus de « démocrates moins engagés » (68%), plus de deux fois plus qu'en Jordanie et une fois et demie de plus qu'en Tunisie. Toutefois, l'état d'esprit de ces deux derniers laisse un peu perplexe. Les Tunisiens et les Jordaniens sont les seules populations au monde de l'étude, à douter sérieusement de tous les systèmes de gouvernance proposés. Pire encore, un tiers des deux populations peuvent être considérées comme « non-démocrates » (32% en Tunisie et 36% en Jordanie), c'est trois plus qu'au Liban (13%). Mais il ne faut pas oublier que la démocratie n'est pas vraiment bien installée dans ces deux pays. Non loin de là en Turquie, démocratie bien ancrée en dépit de tous les couacs, une petite minorité de la population soutient un régime non-démocratique (12%).

L'appréciation des différents régimes de gouvernance par les Libanais, synthèse complémentaire


- Les Libanais sont dépités par le fonctionnement de leur démocratie et la performance de leurs gouvernements. Mais comme le montre l'étude du Pew Research Center, ils restent très attachés aux formes démocratiques représentative et directe. Ils sont méfiants dans leur majorité des régimes militaire et du dirigeant fort. Une minorité y croit pourtant. Etant donné la qualité de la classe politique qu'ils ont, ils croient massivement qu'un régime d'experts ferait mieux.

- Au total, seuls 18% des Libanais sont des « démocrates engagés » (ils appuient un système dans lequel les représentants élus gouvernent mais ne soutiennent pas un régime guidé par des experts, un chef fort ou l'armée), 68% des « démocrates moins engagés » (qui disent qu'une démocratie représentative est bonne mais qui soutiennent aussi au moins une forme non démocratique de gouvernement) et 13% des « non-démocrates » (qui ne soutiennent pas la démocratie représentative et soutiennent au moins une forme non démocratique, technocratie, autocratie ou régime militaire). C'est un peu le profil des Hongrois, des Ghanéens et des Philippins. Le profil occidental est totalement différent, respectivement : 34-52% / 34-47% / 5-17%.

- Toutefois, il y a un chiffre qui poussera pas mal de Libanais à bien bomber leur thorax de fierté. Eh bien, figurez-vous, que nous sommes parmi les populations les plus attachées à la démocratie représentative au monde ! Certes, on ne donne pas l'air de l'être, mais tel est le cas en théorie. Si on ne s'intéresse qu'à ceux qui estiment que cette forme de gouvernance est « très bonne » (en excluant, les adhérents mous, ceux qui trouvent qu'elle est « plutôt » bonne), les Libanais se hissent à la 5e place, avec un score de 51%, juste après les Suédois (54%) et trois populations d'Afrique, les Sénégalais, les Tanzaniens et les Ghanéens (53-62%). Le Liban, la Suède, le Sénégal, la Tanzanie et le Ghana, sont les seuls pays au monde, de l'étude, où il existe une majorité absolue en faveur de la démocratie représentative, la gouvernance du pays par des élus. Il y a tellement peu de bonnes nouvelles que ce point mérite d'être souligné. Pour mesurer son importance, sachez que les Américains ne sont qu'à 48% ; les Allemands à 46% ; les Anglais, Canadiens, Australiens et Turcs à 43% ;  les Néerlandais à 42% et les Israéliens à 41%. Les autres populations encore loin derrière: les Italiens à 29% ; les Français c'est à peine à 23% ; les Japonais, Jordaniens et Tunisiens à 22% ; les Mexicains à 9% ; et les Brésiliens, record du monde, juste 8%.

- Peut mieux faire dirait le grec Solon, le père de la démocratie ! La façon de penser des Libanais est globalement rassurante, même s'il y a beaucoup à redire comme je l'ai expliqué dans l'article. Mais alors pourquoi diable le Liban est un pays nase à ce point? On pourrait même parler de « paradoxe libanais » en politique ! Ce qui fait cruellement défaut au Liban, c'est la présence de la pensée communautaire qui ravage les esprits et le manque d'esprit critique à l'égard de son propre camp, deux tares qui affectent gravement la cohésion nationale et toute notre démocratie. La morosité économique n'arrange pas les choses. Et pour achever tout espoir dans l'avenir, nous avons un paysage politique peuplé de dinosaures, les mêmes dirigeants depuis trop longtemps, qui ne sont vraiment pas à la hauteur et qui ne sont jamais sanctionnés dans les urnes.

- S'il y a deux paramètres qui doivent concentrer tous nos efforts, ce sont ceux portant sur l'amélioration du fonctionnement de notre démocratie et la qualité de l'offre démocratique. Ils se répercuteront forcément et positivement sur les onze autres paramètres. Les périodes électorales constituent d'excellentes occasions pour agir. Nous n'avons qu'une seule et unique voie. Soyons réalistes, exigeons l'impossible des candidat-e-s aux prochaines élections législatives, même de son propre camp : niveler les débats politiques par le haut, demander des comptes, présenter un programme électoral détaillé et s'engager sur des mesures concrètes et chiffrées. C'est le seul moyen d'améliorer les choses en envoyant au Parlement le moment venu, des représentants plus compétents que ceux que nous avons connus dans le passé. 

- A ce propos un exemple parmi tant d'autres, le Liban a vécu près de 900 jours de vacance du pouvoir présidentiel récemment, et pourtant, aucun parti et pas un seul candidat baveux, même indépendant ou de la haute société civile, journaliste reconverti en tête, et Dieu sait qu'il y a des vocations en ce moment, enfin, personne ne propose quoi que ce soit pour en finir avec ce grave dysfonctionnement de notre démocratie. Allons bon, pourquoi faire? C'est pour vous dire! Seul Bakhos Baalbaki a proposé d'introduire dans la démocratie libanaise le concept du "conclave présidentiel", l'enfermement des deputés libanais dans le Parlement place de l'Etoile jusqu'à l'élection du président de la République libanaise dans les délais, comme le fait le Vatican depuis des siècles. Allez pour finir avec une bonne dose de sarcasme, disons maintenant qu'on a du pétrole, il nous manque que les idées et des candidats pour les concrétiser !