La vie normale reprend progressivement en France. La fièvre Benalla cède la place aux vacances, à la canicule et à la première réflexion à froid. Si on découvre de jour en jour ce qui s'est passé le 1er mai place de la Contrescarpe à Paris, on ignore par contre pourquoi nous en sommes là, encore plus pourquoi nous étions bloqués aussi longtemps.
Zappons pour l'instant le débat byzantin qui est celui de savoir si l'affaire Benalla est une affaire d'Etat ou pas. Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, beaucoup de gens se posent une question basique : est-ce que les médias français n'en ont pas fait un peu trop? Et comment! Plantu, l'a fait savoir très tôt et avec beaucoup d'humour, à travers ses caricatures. Personnellement, je veux prouver scientifiquement que non seulement les médias en ont fait beaucoup trop, et pas qu'un peu, mais qu'il y a même un intérêt partisan et suspect pour ce qui s'est passé le 1er mai, et le plus grave dans l'histoire, ça se fait au mépris d'événements beaucoup plus graves.
Pour cette enquête, j'ai décidé de partir du cas du « Monde », le journal qui a révélé l'affaire Benalla. Question méthodologie, nous suivrons la logique des études scientifiques.
- L'affaire Benalla nous servira comme « info expérimentale », le paramètre que nous testerons. Dans un premier temps, nous chercherons à connaitre le nombre d'articles que Le Monde a consacré à ce sujet depuis qu'il l'a révélé le 18 juillet.
- Et parce que rien ne vaut la comparaison, nous irons voir dans un second temps ce que d'autres médias comme Le Monde ont fait sur le même sujet (Le Figaro, Le Point, L'Express, etc.).
- Dans un troisième temps, nous procéderons à une comparaison spéciale avec une « info contrôle », le paramètre qui nous servira de référence. En réfléchissant bien, j'ai choisi l'info concernant un rapport interne de la SNCF, et cela pour deux raisons: parce que l'info est très importante pour les Français et parce qu'elle a été mise au jour pratiquement au même moment, le 20 juillet.
Pour couvrir le nouveau « scandale », Le Monde met le paquet. Afin que les internautes s'y retrouvent rapidement, le journal a créé un onglet permanent sur sa page d'accueil, « Affaire Benalla », au même titre que « Tour de France », « Donald Trump », « Immigration en Europe » et « Brexit ». Les autres médias ont fait de même. Le journal se présente comme un média neutre. C'est plus subtil que Mediapart, qui regroupe tous ses articles sous la rubrique « L'affaire Macron-Benalla ». Là, on voit clairement où le site d'Edwy Plenel veut en venir. Pas qu'avec lui d'ailleurs. Le Point ne fait pas dans la dentelle pour sous-titrer son dossier spécial : « Alexandre Benalla, l'homme qui fait vaciller la macronie ». Même Valeurs Actuelles a été plus pro pour une fois, avec un titre sobre : « Scandale Benalla ».
Passons maintenant au plat de résistance. Dans le dossier « Affaire Benalla » du Monde, s'entassent pas moins de 178 articles sur le sujet. Une production effrénée en une quinzaine de jours seulement, soit une moyenne de près de 13 articles/jour, avec des records pour mardi 24 juillet (24 articles) et lundi 23 juillet (22 articles). Cette masse d'information a nécessité la mobilisation -prenez une chaise, sinon vous allez tomber raide sur le cul!- d'une armée de 48 journalistes, quarante-huit journalistes, eh oui, le nombre en toutes lettres pour dissiper le doute qui vous a envahi en le découvrant. Et c'est sans compter les articles signés par la rédaction et les éditorialistes. Plus de la moitié des journalistes ont écrit ou créé plusieurs documents sur le sujet, les records sont détenus par Manon Rescan (16 articles, plus de 1 article/j depuis 14 jours!), Astrid de Villaines (10 articles) et Virginie Malingre (10 articles). Dans le but d'impressionner ses lecteurs, Le Monde est allé jusqu'à classer ses 178 articles sous 17 rubriques svp : compte rendu, récit, entretien, analyse, éclairage, reportage, décryptage, synthèse, enquête, en images, live, etc. Emballement! Mais quel emballement? Le Monde c'est 4,2 millions de likes/abonnés sur Facebook.
Les autres médias n'étaient pas en reste. Si l'on tape « affaire benalla » dans le moteur de recherche du Figaro (3,1 millions d'abonnés sur FB), on est englouti par 373 résultats, dont 204 articles et 147 flashs. Alors, qui dit mieux? 162 articles dans Libération (0,8 million d'abonnés sur FB) et 150 dans Le Parisien (3 millions d'abonnés sur FB). Ainsi, en général et en moyenne, les principaux quotidiens de France et de Navarre ont publié chacun entre 11 et 27 articles par jour sur l'affaire Benalla, sans relâche depuis deux semaines. Délire! Mais quel délire?
Du côté des « hebdomadaires » (hebdos pour la version papier, quotidiens pour la version numérique), on n'est pas à la traine. « L'affaire Benalla » c'est 83 articles pour Le Point (1 million d'abonnés sur FB), 86 articles à Mediapart (0,9 million d'abonnés sur FB), 102 articles pour L'Express (2,5 millions d'abonnés sur FB) et 104 articles pour L'Obs (1,8 millions d'abonnés FB), avec deux extrêmes, 39 articles pour Marianne (0,2 million d'abonnés FB) et 132 articles pour Valeurs Actuelles (0,1 million d'abonnés sur FB). En général et en moyenne, on est à 6-7 articles par jour pour chaque hebdo, sans relâche depuis deux semaines. Hystérie! Mais quelle hystérie?
Au total, ces dix médias de la presse quotidienne, hebdomadaire et numérique, ont produit au cours des 14 jours derniers jours, 1 409 documents sur l'affaire Benalla. Un peu, beaucoup, passionnément. Les journalistes s'en défendent en arguant qu'ils ne font que leur travail et cela d'une manière impartiale et désintéressée. Pour le vérifier, il n'y a rien de plus probant que la comparaison. Passons donc au paramètre témoin.
Le 20 juillet, 36 heures après le début de l'affaire Benalla, les Français apprennent par le biais des agences de presse, l'AFP et Reuters, qu'un rapport interne de la SNCF estime le coût global de la grève pour la société nationale des chemins de fer à l'astronomique somme de 790 millions d'euros (924 millions de dollars). Pour rappel, la grève lancée par les syndicats de cheminots français s'est étalée du 22 mars au 28 juin, à raison de trois jours « on » pour deux jours « off », soit au total 37 jours de trafic perturbé. Les cheminots protestaient contre la réforme ferroviaire décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et menée à terme, par le gouvernement d'Edouard Philippe. Cette réforme devait concerner directement, la suppression du statut caduc de cheminot (pour les futurs personnes embauchées svp ; un statut qui date de l'époque des locomotives à vapeur), la transformation du statut juridique de la société (en une société anonyme, mais à capitaux publics) et l'ouverture du réseau français à la concurrence (pour les trains régionaux et les TGV); et indirectement, le devenir des petites lignes non rentables (9 000 km sur 30 000 km en activité) et la dette abyssale de l'entreprise française (55 milliards d'euros dont 23 milliards pour la construction de nouvelles lignes à grande vitesse).
Trois éléments permettent de prendre conscience de la gravité de la révélation du 20 juillet :
. Le coût exorbitant de la grève dépasse le bénéfice net enregistré par l'entreprise pour l'année 2017 (679 millions d'euros). Pire encore, c'est l'équivalent des pertes enregistrées par la SNCF le premier semestre de l'année 2018 (762 millions d'euros). Il représente plus de 25 TGV, soit le quart de trains à grande vitesse que la SNCF prévoit d'acheter prochainement à Alstom (mise en circulation prévue pour 2023). Encore deux infos révélées en pleine affaire Benalla, il y a quelques jours, passées complètement inaperçues.
. La grève n'a servi à rien, absolument rien! La réforme ferroviaire a été définitivement adoptée le 14 juin, par le Parlement et le Sénat, pour l'essentiel telle quelle. La fermeture des lignes non rentables ne devait pas faire partie du projet de loi, comme l'a affirmé le Premier ministre Edouard Philippe dès le mois de février. La reprise d'une partie de la dette par l'Etat (35 des 55 milliards), non seulement faisait partie des propositions du candidat Macron (encore une promesse tenue), mais le président de la République a fait connaître son intention d'aller dans ce sens à plusieurs reprises (peu de temps après son entrée en fonction, comme au début de la grève). Rien à dire, c'était une grève stérile, qui a couté à la SNCF, donc à la France et aux Français, 790 millions d'euros.
. Le rapport de la SNCF ne fait aucune estimation du coût exorbitant de la grève de trois mois pour les particuliers et les entreprises, ainsi que son effet néfaste sur l'économie française.
Malgré la gravité de la révélation du 20 juillet, les dix noms de la prestigieuse presse française -du Monde à L'Express, en passant par Le Figaro, Le Parisien, Libération, Marianne, Valeurs actuelles, L'Obs et Le Point- n'ont consacré chacun qu'un article au sujet, même pas signé puisqu'il reprend essentiellement le contenu des dépêches des agences de presse (AFP et Reuters). Hallucinant mais vrai.
Au total, les Français n'ont donc eu droit qu'à 10 articles basiques, en tout et pour tout, sur la perte de 790 millions d'euros par la SNCF, partis en fumée à cause des grèves, mais 1 409 articles sur les frasques d'un garde du corps qui a pété les plombs, nommées « affaire Benalla ». Et ce n'est pas fini. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le facteur est de 1 contre 141! Alors, si c'est cela « faire son travail », désolé d'avoir à le dire, mais certains journalistes font plutôt mal leur boulot. Quiconque -journaliste, écrivain ou politicien- n'est pas capable de hiérarchiser les informations du moment afin de traiter celles qui sont prioritaires, et donner à chaque info sa juste valeur, eh bien, devrait se remettre sérieusement en question. Non mais, peut-on imaginer un instant un médecin incapable d'évaluer les symptômes de ses patients, faire de bons diagnostics? Impensable.
IV Résultats : 1 409 articles sur l'affaire Benalla contre 10 articles sur une grève stérile à 790 millions d'euros!
Loin de moi l'idée de jeter l'opprobre sur toute la profession. La majorité des journalistes font en général un travail remarquable. Il n'empêche, emballement, délire, hystérie, appelez cela comme vous voulez, il est clair que les prestigieux noms de la presse française ont dérapé gravement sur « l'affaire Benalla ». Ce traitement exagéré d'une info, au mépris du reste, ne trouve qu'une explication plausible : la politisation d'un fait divers, en dépit des erreurs qui ont été commises, pour en faire une affaire d'Etat. Mais pourquoi un tel acharnement?
Qu'on ne s'y trompe pas, l'affaire Benalla est viscéralement une lutte de pouvoir entre « l'ancien monde », représenté par les partis politiques traditionnels (Les Républicains, Parti socialiste, Parti communiste, La France insoumise, Rassemblement national, etc.), mais aussi les médias traditionnels (Le Monde, Le Figaro, Le Point, L'Express, TF1, Europe1, BFM, etc.), et le « nouveau monde », incarné par un parti moderne (La République en marche), ainsi que par des médias modernes indépendants (qui communiquent via Facebook, Twitter, Youtube, Blogs, etc.). Non seulement les premiers n'ont plus le monopole de l'information, mais en plus, ils ne font plus la pluie et le beau temps.
Dans la bataille précise de « l'affaire Benalla », politiques et médias traditionnels et de divers bords se sont alliés contre les mêmes adversaires, Macron et son parti, La République en marche. Pourquoi pas, mais ce n'est pas suffisant pour déstabiliser celui qui est surnommé Jupiter. Depuis l'élection d'Emmanuel Macron président de la République, on constate plus qu'avant ce nouvel ordre politico-médiatique. Macron ne l'a pas créé, mais il sait en profiter. Il l'a même imposé en verrouillant sa com' (raréfiant ses apparitions), en mettant les journalistes en dehors de l'Elysée (délocalisant la salle de presse), en organisant son propre canal d'information (à travers des lives sur Facebook), etc. Cette stratégie ingénieuse le place à l'abri du bon vouloir du « pouvoir médiatique ». Certains médias, comme Le Monde, le vivent d'autant plus mal qu'ils croient, sans l'ombre d'un doute, qu'ils ont contribué à l'intronisation du nouveau président de la République.
Cette évolution n'est pas propre à la France d'ailleurs. L'élection de Donald Trump et la gestion de sa com' est un autre exemple de ce nouvel ordre politico-médiatique. Tous les médias étaient contre lui, ce qui ne l'a pas empêché d'être élu. Tous les médias sont contre lui, ce qui ne l'empêche pas de communiquer directement avec ses partisans à travers les réseaux sociaux, sans passer forcément par « l'ancien monde ».
Aujourd'hui, il n'y a pas que les fake news qui posent problème. L'emballement médiatique est un souci sur lequel il faut se pencher. C'était Penelope-Fillon hier. Certains médias ont espéré en faire un remake avec Benalla-Macron. C'est raté et on ne peut que s'en féliciter. Nous ne demandons qu'à croire la journaliste Anne Rosencher qui nous explique dans l'Express que « la presse, dans cette affaire, a d'abord et avant tout... joué son rôle de contre-pouvoir, qui débusque et expose les abus ou les aveuglements des puissants ». Mais, avec un rapport de 1 contre 141, pour le coût de la grève SNCF vs. l'affaire Benalla, on a de sérieux doutes. Nombreux sont celles et ceux qui se demandent, qui jouera le rôle de contre-pouvoir qui débusque et expose les abus et les aveuglements des puissances médiatiques? Une question légitime, à moins de continuer quand même à croire que les journalistes, contrairement à tous les corps de métier sur Terre, sont irréprochables. Il n'y a pas de doute, pour les abus politiques comme pour les abus médiatiques, les (é)lecteurs restent souverains. Le désaveux n'est pas un phénomène propre à la classe politique, il touche aussi la classe médiatique. Quel dommage d'en arriver là. Matières à réflexion.
Un dernier détail d'ordre général que certains ignorent. La presse reçoit des subventions de l'Etat en France. Pas en Allemagne ou au Royaume-Uni. Eh oui, pratiquement toute la presse. Un traitement privilégié à l'efficacité contestée, déjà critiqué par la Cour des comptes. Ce n'est pas nouveau, ça date de la Révolution française. Bien sûr, depuis cette époque, ces aides ont évolué et prennent plusieurs formes. Pour l'année 2016, ces aides ont représenté près de 5,8 millions d'euros pour Le Figaro et 5,1 millions d'euros pour Le Monde, 0,9 million d'euros pour Le Point et 0,7 million d'euros pour L'Express. Par ailleurs, les journalistes bénéficient d'avantages fiscaux. En 2017, les aides en tout genre à la presse imprimée (crédits, exemptions, dépenses, manque à gagner, etc.) ont atteint 1,8 milliards d'euros selon la Cour des comptes. Pas grand chose pour la presse numérique, rien de rien pour les blogueurs, ces empêcheurs de tourner rond dont je fais partie. C'est beaucoup d'argent, d'argent public de surcroit, mais pourquoi faire? Pour encourager la diversité médiatique, pardi! Raté. 10 articles sur le coût astronomique de la grève stérile à la SNCF contre 1 409 articles sur l'affaire Benalla pschitt. Houston, we have a problem!
I Etude scientifique pour savoir si la presse n'en a pas fait un peu trop dans l'affaire Benalla
Zappons pour l'instant le débat byzantin qui est celui de savoir si l'affaire Benalla est une affaire d'Etat ou pas. Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, beaucoup de gens se posent une question basique : est-ce que les médias français n'en ont pas fait un peu trop? Et comment! Plantu, l'a fait savoir très tôt et avec beaucoup d'humour, à travers ses caricatures. Personnellement, je veux prouver scientifiquement que non seulement les médias en ont fait beaucoup trop, et pas qu'un peu, mais qu'il y a même un intérêt partisan et suspect pour ce qui s'est passé le 1er mai, et le plus grave dans l'histoire, ça se fait au mépris d'événements beaucoup plus graves.
Pour cette enquête, j'ai décidé de partir du cas du « Monde », le journal qui a révélé l'affaire Benalla. Question méthodologie, nous suivrons la logique des études scientifiques.
- L'affaire Benalla nous servira comme « info expérimentale », le paramètre que nous testerons. Dans un premier temps, nous chercherons à connaitre le nombre d'articles que Le Monde a consacré à ce sujet depuis qu'il l'a révélé le 18 juillet.
- Et parce que rien ne vaut la comparaison, nous irons voir dans un second temps ce que d'autres médias comme Le Monde ont fait sur le même sujet (Le Figaro, Le Point, L'Express, etc.).
- Dans un troisième temps, nous procéderons à une comparaison spéciale avec une « info contrôle », le paramètre qui nous servira de référence. En réfléchissant bien, j'ai choisi l'info concernant un rapport interne de la SNCF, et cela pour deux raisons: parce que l'info est très importante pour les Français et parce qu'elle a été mise au jour pratiquement au même moment, le 20 juillet.
II L'emballement de la presse française pour l'affaire Benalla (chiffres à l'appui)
Pour couvrir le nouveau « scandale », Le Monde met le paquet. Afin que les internautes s'y retrouvent rapidement, le journal a créé un onglet permanent sur sa page d'accueil, « Affaire Benalla », au même titre que « Tour de France », « Donald Trump », « Immigration en Europe » et « Brexit ». Les autres médias ont fait de même. Le journal se présente comme un média neutre. C'est plus subtil que Mediapart, qui regroupe tous ses articles sous la rubrique « L'affaire Macron-Benalla ». Là, on voit clairement où le site d'Edwy Plenel veut en venir. Pas qu'avec lui d'ailleurs. Le Point ne fait pas dans la dentelle pour sous-titrer son dossier spécial : « Alexandre Benalla, l'homme qui fait vaciller la macronie ». Même Valeurs Actuelles a été plus pro pour une fois, avec un titre sobre : « Scandale Benalla ».
Passons maintenant au plat de résistance. Dans le dossier « Affaire Benalla » du Monde, s'entassent pas moins de 178 articles sur le sujet. Une production effrénée en une quinzaine de jours seulement, soit une moyenne de près de 13 articles/jour, avec des records pour mardi 24 juillet (24 articles) et lundi 23 juillet (22 articles). Cette masse d'information a nécessité la mobilisation -prenez une chaise, sinon vous allez tomber raide sur le cul!- d'une armée de 48 journalistes, quarante-huit journalistes, eh oui, le nombre en toutes lettres pour dissiper le doute qui vous a envahi en le découvrant. Et c'est sans compter les articles signés par la rédaction et les éditorialistes. Plus de la moitié des journalistes ont écrit ou créé plusieurs documents sur le sujet, les records sont détenus par Manon Rescan (16 articles, plus de 1 article/j depuis 14 jours!), Astrid de Villaines (10 articles) et Virginie Malingre (10 articles). Dans le but d'impressionner ses lecteurs, Le Monde est allé jusqu'à classer ses 178 articles sous 17 rubriques svp : compte rendu, récit, entretien, analyse, éclairage, reportage, décryptage, synthèse, enquête, en images, live, etc. Emballement! Mais quel emballement? Le Monde c'est 4,2 millions de likes/abonnés sur Facebook.
Les autres médias n'étaient pas en reste. Si l'on tape « affaire benalla » dans le moteur de recherche du Figaro (3,1 millions d'abonnés sur FB), on est englouti par 373 résultats, dont 204 articles et 147 flashs. Alors, qui dit mieux? 162 articles dans Libération (0,8 million d'abonnés sur FB) et 150 dans Le Parisien (3 millions d'abonnés sur FB). Ainsi, en général et en moyenne, les principaux quotidiens de France et de Navarre ont publié chacun entre 11 et 27 articles par jour sur l'affaire Benalla, sans relâche depuis deux semaines. Délire! Mais quel délire?
Du côté des « hebdomadaires » (hebdos pour la version papier, quotidiens pour la version numérique), on n'est pas à la traine. « L'affaire Benalla » c'est 83 articles pour Le Point (1 million d'abonnés sur FB), 86 articles à Mediapart (0,9 million d'abonnés sur FB), 102 articles pour L'Express (2,5 millions d'abonnés sur FB) et 104 articles pour L'Obs (1,8 millions d'abonnés FB), avec deux extrêmes, 39 articles pour Marianne (0,2 million d'abonnés FB) et 132 articles pour Valeurs Actuelles (0,1 million d'abonnés sur FB). En général et en moyenne, on est à 6-7 articles par jour pour chaque hebdo, sans relâche depuis deux semaines. Hystérie! Mais quelle hystérie?
Au total, ces dix médias de la presse quotidienne, hebdomadaire et numérique, ont produit au cours des 14 jours derniers jours, 1 409 documents sur l'affaire Benalla. Un peu, beaucoup, passionnément. Les journalistes s'en défendent en arguant qu'ils ne font que leur travail et cela d'une manière impartiale et désintéressée. Pour le vérifier, il n'y a rien de plus probant que la comparaison. Passons donc au paramètre témoin.
III Le peu d'intérêt de la presse française pour le coût de la grève à la SNCF (chiffres à l'appui)
Le 20 juillet, 36 heures après le début de l'affaire Benalla, les Français apprennent par le biais des agences de presse, l'AFP et Reuters, qu'un rapport interne de la SNCF estime le coût global de la grève pour la société nationale des chemins de fer à l'astronomique somme de 790 millions d'euros (924 millions de dollars). Pour rappel, la grève lancée par les syndicats de cheminots français s'est étalée du 22 mars au 28 juin, à raison de trois jours « on » pour deux jours « off », soit au total 37 jours de trafic perturbé. Les cheminots protestaient contre la réforme ferroviaire décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et menée à terme, par le gouvernement d'Edouard Philippe. Cette réforme devait concerner directement, la suppression du statut caduc de cheminot (pour les futurs personnes embauchées svp ; un statut qui date de l'époque des locomotives à vapeur), la transformation du statut juridique de la société (en une société anonyme, mais à capitaux publics) et l'ouverture du réseau français à la concurrence (pour les trains régionaux et les TGV); et indirectement, le devenir des petites lignes non rentables (9 000 km sur 30 000 km en activité) et la dette abyssale de l'entreprise française (55 milliards d'euros dont 23 milliards pour la construction de nouvelles lignes à grande vitesse).
Trois éléments permettent de prendre conscience de la gravité de la révélation du 20 juillet :
. Le coût exorbitant de la grève dépasse le bénéfice net enregistré par l'entreprise pour l'année 2017 (679 millions d'euros). Pire encore, c'est l'équivalent des pertes enregistrées par la SNCF le premier semestre de l'année 2018 (762 millions d'euros). Il représente plus de 25 TGV, soit le quart de trains à grande vitesse que la SNCF prévoit d'acheter prochainement à Alstom (mise en circulation prévue pour 2023). Encore deux infos révélées en pleine affaire Benalla, il y a quelques jours, passées complètement inaperçues.
. La grève n'a servi à rien, absolument rien! La réforme ferroviaire a été définitivement adoptée le 14 juin, par le Parlement et le Sénat, pour l'essentiel telle quelle. La fermeture des lignes non rentables ne devait pas faire partie du projet de loi, comme l'a affirmé le Premier ministre Edouard Philippe dès le mois de février. La reprise d'une partie de la dette par l'Etat (35 des 55 milliards), non seulement faisait partie des propositions du candidat Macron (encore une promesse tenue), mais le président de la République a fait connaître son intention d'aller dans ce sens à plusieurs reprises (peu de temps après son entrée en fonction, comme au début de la grève). Rien à dire, c'était une grève stérile, qui a couté à la SNCF, donc à la France et aux Français, 790 millions d'euros.
. Le rapport de la SNCF ne fait aucune estimation du coût exorbitant de la grève de trois mois pour les particuliers et les entreprises, ainsi que son effet néfaste sur l'économie française.
Malgré la gravité de la révélation du 20 juillet, les dix noms de la prestigieuse presse française -du Monde à L'Express, en passant par Le Figaro, Le Parisien, Libération, Marianne, Valeurs actuelles, L'Obs et Le Point- n'ont consacré chacun qu'un article au sujet, même pas signé puisqu'il reprend essentiellement le contenu des dépêches des agences de presse (AFP et Reuters). Hallucinant mais vrai.
Au total, les Français n'ont donc eu droit qu'à 10 articles basiques, en tout et pour tout, sur la perte de 790 millions d'euros par la SNCF, partis en fumée à cause des grèves, mais 1 409 articles sur les frasques d'un garde du corps qui a pété les plombs, nommées « affaire Benalla ». Et ce n'est pas fini. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le facteur est de 1 contre 141! Alors, si c'est cela « faire son travail », désolé d'avoir à le dire, mais certains journalistes font plutôt mal leur boulot. Quiconque -journaliste, écrivain ou politicien- n'est pas capable de hiérarchiser les informations du moment afin de traiter celles qui sont prioritaires, et donner à chaque info sa juste valeur, eh bien, devrait se remettre sérieusement en question. Non mais, peut-on imaginer un instant un médecin incapable d'évaluer les symptômes de ses patients, faire de bons diagnostics? Impensable.
IV Résultats : 1 409 articles sur l'affaire Benalla contre 10 articles sur une grève stérile à 790 millions d'euros!
Loin de moi l'idée de jeter l'opprobre sur toute la profession. La majorité des journalistes font en général un travail remarquable. Il n'empêche, emballement, délire, hystérie, appelez cela comme vous voulez, il est clair que les prestigieux noms de la presse française ont dérapé gravement sur « l'affaire Benalla ». Ce traitement exagéré d'une info, au mépris du reste, ne trouve qu'une explication plausible : la politisation d'un fait divers, en dépit des erreurs qui ont été commises, pour en faire une affaire d'Etat. Mais pourquoi un tel acharnement?
Qu'on ne s'y trompe pas, l'affaire Benalla est viscéralement une lutte de pouvoir entre « l'ancien monde », représenté par les partis politiques traditionnels (Les Républicains, Parti socialiste, Parti communiste, La France insoumise, Rassemblement national, etc.), mais aussi les médias traditionnels (Le Monde, Le Figaro, Le Point, L'Express, TF1, Europe1, BFM, etc.), et le « nouveau monde », incarné par un parti moderne (La République en marche), ainsi que par des médias modernes indépendants (qui communiquent via Facebook, Twitter, Youtube, Blogs, etc.). Non seulement les premiers n'ont plus le monopole de l'information, mais en plus, ils ne font plus la pluie et le beau temps.
Dans la bataille précise de « l'affaire Benalla », politiques et médias traditionnels et de divers bords se sont alliés contre les mêmes adversaires, Macron et son parti, La République en marche. Pourquoi pas, mais ce n'est pas suffisant pour déstabiliser celui qui est surnommé Jupiter. Depuis l'élection d'Emmanuel Macron président de la République, on constate plus qu'avant ce nouvel ordre politico-médiatique. Macron ne l'a pas créé, mais il sait en profiter. Il l'a même imposé en verrouillant sa com' (raréfiant ses apparitions), en mettant les journalistes en dehors de l'Elysée (délocalisant la salle de presse), en organisant son propre canal d'information (à travers des lives sur Facebook), etc. Cette stratégie ingénieuse le place à l'abri du bon vouloir du « pouvoir médiatique ». Certains médias, comme Le Monde, le vivent d'autant plus mal qu'ils croient, sans l'ombre d'un doute, qu'ils ont contribué à l'intronisation du nouveau président de la République.
Cette évolution n'est pas propre à la France d'ailleurs. L'élection de Donald Trump et la gestion de sa com' est un autre exemple de ce nouvel ordre politico-médiatique. Tous les médias étaient contre lui, ce qui ne l'a pas empêché d'être élu. Tous les médias sont contre lui, ce qui ne l'empêche pas de communiquer directement avec ses partisans à travers les réseaux sociaux, sans passer forcément par « l'ancien monde ».
Aujourd'hui, il n'y a pas que les fake news qui posent problème. L'emballement médiatique est un souci sur lequel il faut se pencher. C'était Penelope-Fillon hier. Certains médias ont espéré en faire un remake avec Benalla-Macron. C'est raté et on ne peut que s'en féliciter. Nous ne demandons qu'à croire la journaliste Anne Rosencher qui nous explique dans l'Express que « la presse, dans cette affaire, a d'abord et avant tout... joué son rôle de contre-pouvoir, qui débusque et expose les abus ou les aveuglements des puissants ». Mais, avec un rapport de 1 contre 141, pour le coût de la grève SNCF vs. l'affaire Benalla, on a de sérieux doutes. Nombreux sont celles et ceux qui se demandent, qui jouera le rôle de contre-pouvoir qui débusque et expose les abus et les aveuglements des puissances médiatiques? Une question légitime, à moins de continuer quand même à croire que les journalistes, contrairement à tous les corps de métier sur Terre, sont irréprochables. Il n'y a pas de doute, pour les abus politiques comme pour les abus médiatiques, les (é)lecteurs restent souverains. Le désaveux n'est pas un phénomène propre à la classe politique, il touche aussi la classe médiatique. Quel dommage d'en arriver là. Matières à réflexion.
Un dernier détail d'ordre général que certains ignorent. La presse reçoit des subventions de l'Etat en France. Pas en Allemagne ou au Royaume-Uni. Eh oui, pratiquement toute la presse. Un traitement privilégié à l'efficacité contestée, déjà critiqué par la Cour des comptes. Ce n'est pas nouveau, ça date de la Révolution française. Bien sûr, depuis cette époque, ces aides ont évolué et prennent plusieurs formes. Pour l'année 2016, ces aides ont représenté près de 5,8 millions d'euros pour Le Figaro et 5,1 millions d'euros pour Le Monde, 0,9 million d'euros pour Le Point et 0,7 million d'euros pour L'Express. Par ailleurs, les journalistes bénéficient d'avantages fiscaux. En 2017, les aides en tout genre à la presse imprimée (crédits, exemptions, dépenses, manque à gagner, etc.) ont atteint 1,8 milliards d'euros selon la Cour des comptes. Pas grand chose pour la presse numérique, rien de rien pour les blogueurs, ces empêcheurs de tourner rond dont je fais partie. C'est beaucoup d'argent, d'argent public de surcroit, mais pourquoi faire? Pour encourager la diversité médiatique, pardi! Raté. 10 articles sur le coût astronomique de la grève stérile à la SNCF contre 1 409 articles sur l'affaire Benalla pschitt. Houston, we have a problem!