mercredi 30 mars 2016

Chrétiens d’Orient et Bachar el-Assad : lettre ouverte aux cinq députés « Les Républicains » après ce méprisable mélange des genres (Art.347)


Comme c’est gentil de votre part, vous députés de la nation française appartenant au parti Les Républicains, de vous rendre à Damas via Beyrouth, afin « d’être auprès des chrétiens d’Orient » (Valérie Boyer) et de « soutenir ceux qui combattent Daech (régime syrien) » (Thierry Mariani). Sachez d’emblée qu’une partie des premiers rejette votre solidarité empoisonnée, honteuse car sélective, méprisable car élective, elle en fait de ce tyran, Bachar el-Assad, le sauveur de ses opprimés, les peuples syrien et libanais. C’est le comble ! Non merci. Non seulement vous ne correspondez pas aux normes, celles de la politique officielle de la France, instaurée par Laurent Fabius, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, mais en plus, vous êtes d’une naïveté affligeante à croire la moitié d’un quart de seconde, comme on dit en Orient, que Bachar el-Assad peut encore jouer un rôle dans l’avenir de la Syrie et dans le combat contre Daech. Foutaises.

Je fais partie de cette espèce menacée qu’on appelle les « chrétiens d’Orient » que vous vous obstinez à vouloir défendre. J’en ai vu défiler depuis Saint-Louis. J’ai beaucoup écrit en long et en large sur la tyrannie des Assad, père et fils, que vous voulez soutenir coûte que coûte. Voyez-vous, les Assad sont sans l'ombre d'un doute l'une des pires malédictions pour le Moyen-Orient, au moins depuis ce sinistre coup d'Etat en 1970, pour l’ensemble des Libanais et des Syriens, et pour les chrétiens libanais et syriens particulièrement. J’ai expliqué à de nombreuses reprises dans mes articles comment Bachar el-Assad a tout fait pour radicaliser la révolte démocratique du 15 mars 2011. Comme par exemple, en réprimant dans la douleur et le sang les manifestations pacifiques, en lâchant des centaines d’islamistes emprisonnés, en ciblant expressément les populations civiles, en institutionnalisant la torture ou en concentrant ses attaques militaires sur les « rebelles modérées », afin qu’il ne subsiste sur le terrain des combats que deux protagonistes, le régime syrien et les djihadistes de Daech & Co. Et tout cela dans un seul et unique but, pour que justement des Occidentaux crédules comme vous, gobent la propagande officielle et décrètent naïvement après un séjour touristique à Damas, que « nous avons une alliance à faire contre le terrorisme » (Valérie Boyer). En gros, qu’il n’y a pas de choix en Syrie, pour combattre les fanatiques, il faut soutenir les tyranniques. Et encore, si vous aviez le courage d’appeler un chat un chat !

Initiateur de ce déplacement, vous Monsieur le député Thierry Mariani, vous estimez que « Bachar el-Assad est incontournable » et que « nous avons les mêmes ennemis ». Vous peut-être, la bande des cinq députés du parti des Républicains, mais surement pas nous, les Orientaux du Liban et de Syrie, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues, et les Occidentaux, de France, d’Europe et d’ailleurs.

Massacre chimique au gaz sarin de Ghouta
(banlieue de Damas), commis par le régime de
Bachar el-Assad, survenu dans la nuit du 21 août 2013,
et qui a fait 1 429 morts, dont 426 enfants.
Voyons un peu. Alors que nous sommes à 300 000 morts en Syrie et 10 millions de déplacés, vous n’avez pas jugé utile de rencontrer par exemple les survivants du massacre chimique d’al-Ghouta dans la banlieue de Damas, survenu en août 2013 et qui a emporté en quelques minutes la vie de 1 429 personnes dont 426 enfants. Pourquoi, parce que vous n’y avez pas pensé ? Ou parce que leur drame ne vous touche pas autant que celui des chrétiens, étant a priori, musulmans en majorité ? En tout cas, vous n’y avez pas pensez surement parce que l’auteur de ce « crime de guerre » est précisément le régime de Bachar el-Assad que vous cherchez aujourd’hui à réhabiliter en vous cachant derrière les « chrétiens d’Orient » et de la « lutte contre le terrorisme ».

Cela dit, en regardant votre album photos, j'ai consta que vous avez trouvé quand même le temps de profiter de cet agréable weekend pascal que vous vous êtes offerts comme hôtes dans le fief de Bachar et Asma, pour aller déambuler dans ce superbe souk de Damas et pour photographier comme vous l’avez dit Monsieur le député de la 11e circonscription des Français de l'étranger, celle qui englobe l’Europe de l'Est, l’Asie et le Pacifique, donc, le Liban et la Syrie : « le mug qui fait fureur, en reconnaissance de l'intervention de la Russie face à Daech ». Vous ne vous êtes pas rendu compte Thierry Mariani, que votre tweet relève de l’imposture à l’état pur. Tout le monde sait que les frappes des avions russes avaient comme principal objectif d’avantager la tyrannie des Assad et n’ont visé Daech que secondairement. Alors, pourquoi pas vous ?

Et comme le hasard fait parfois bien les choses, la bataille de Palmyre est venue vous réconforter dans votre choix d'alignement sur l’axe Damas-Téhéran-Moscou et de pavoiser : « Pendant que la bataille fait rage pour la reprise de Palmyre, la foule se presse au souk de Damas ». En d'autres termes, qu'est-ce qu'on est bien en sécurité chez Bachar et Asma ? En temps normal, on en rirait Thierry Mariani, tellement c'est grotesque. Vous avez raison sur la partie touristique de votre tweet, mais surement pas sur la partie militaire, qui relève là aussi, de l’imposture. Les batailles de Palmyre à l’aller comme au retour n’ont jamais fait rage. Je ne sais pas où vous êtes allés chercher ce délire. Elles se sont apparentées dans les faits à des passations de pouvoir entre les troupes d’Assad et de Daech, selon les circonstances et les intérêts. Et pour cause, Tadmor-Palmyre est une double ville du désert de Syrie qui n’a pas un grand intérêt stratégique dans la guerre syrienne, ni pour les uns ni pour les autres. Sa chute, en mai 2015, comme sa reprise, en mars 2016, n’est pas un grand enjeu militaire de par sa géographie désertique et son éloignement des grandes villes syriennes (Damas, Homs, Hama, Alep, Rakka, Deir el-Zour). Son intérêt majeur est médiatique. A part pour étendre son territoire, Daech voulait s’en emparer pour deux raisons : d’une part, pour récupérer les petites œuvres d’art à vendre sur le marché noir (comme l’a confirmé le drame de l’ancien directeur des Antiquités, Khaled Assaad, qui a refusé d’indiquer aux djihadistes où il avait caché certaines d’entre elles, ce qui lui a coûté la vie d'une manière atroce), et d’autre part, pour détruire quelques monuments non islamiques, comme un pied de nez à la communauté internationale. Vous devez savoir aussi, qu'Assad l’a livré à Daech pour deux raisons également : d’une part, afin de concentrer ses troupes autour de Damas, de la région de Lattaquié et tout au long de la frontière libanaise alors qu’il se trouvait en difficulté au printemps 2015, et d’autre part, pour se positionner devant quelques crédules occidentaux comme vous, comme un rempart aux barbares, destructeurs de la mémoire de l’humanité. Tous vos tweets et certains articles sur le sujet, pour saluer la bravoure des assaillants dans la bataille de Palmyre, le trio Assad-Nasrallah-Poutine (Robert Fisk qui souffre d'un syndrome de Stockholm par procuration depuis les années 80, parle même de « la plus grande défaite de l'EIIL »), relève de la mythologie. Il faut reconnaitre que les lieux s’y prêtent.

Une visite comme ça se prépare à l’avance. On peut éventuellement compenser le manque de préparation par l’observation du terrain et les discussions sur place. Tenez, à votre descente d’avion à Beyrouth vous auriez dû remarquer la présence massive de réfugiés et de migrants syriens au Liban. Le pays du Cèdre accueille pour ces deux catégories confondues près de 1,5 million de Syriens pour 4,5 millions d’habitants. Rapportés à la population française, c’est comme si la France accueillait 22 millions d’étrangers de la même nationalité. De quoi dissiper vos belles chevelures et brider vos grands sourires pour les photos souvenirs ! Vous auriez cherché à comprendre pourquoi il y avait autant, et pourquoi l’Europe croule sous l’afflux massif de migrants de Syrie, vous auriez découvert entre autres, que c’est à cause de l’obstination de Bachar el-Assad à garder le pouvoir (et à capoter les négociations de Genève dans le passé), des quatre vétos de la Russie et de la Chine (pour bloquer quatre résolutions de l’ONU sur la Syrie en 5 ans de conflit), des atrocités commises à la fois par le régime syrien et par les djihadistes de tout poil, de la barbarie des troupes syriennes (ex. le massacre chimique de Ghouta et l’album de César ; mais aussi, des bombardements des populations civiles aux barils d’explosifs et au chlore), de l’implication massive de la République islamique d’Iran et de la milice chiite du Hezbollah aux côtés de Bachar el-Assad (notamment tout le long de l’axe nord-sud longeant le Liban, d’Alep à Deraa), et de la violence des bombardements russes (qui n’a laissé aucun refuge à la population). Enfin bref, à cause de Bachar el-Assad, qui selon vous, Valérie Boyer, « travaille déjà à l’après-guerre et à la réconciliation ». Non mais, vous avez une forme grave de tourista madame la députée !

Au Liban, si vous aviez cherché à sortir des sentiers battus, des Libanais chrétiens et musulmans vous auraient plongé rapidement par exemple dans le dossier Michel Samaha. Cet ancien ministre libanais a été jugé et condamné il n’y a pas si longtemps, sur ses propres aveux et des preuves irréfutables, le flagrant délit de posséder 24 charges explosives fournies par le régime syrien, de vouloir mener des dizaines d’attentats terroristes et d’assassinats politiques au Liban, à caractère confessionnel (comme les innombrables actes terroristes survenus lors des 29 ans d’occupation syrienne du Liban par la tyrannie des Assad, père et fils, et qui ont couté la vie, entre autres, à deux présidents de la République chrétiens, Bachir Gemayel et René Mouawad, et à deux Premiers ministres sunnites, Rachid Karamé et Rafic Hariri), dont un devait être réalisé lors du séjour du patriarche chrétien maronite dans une région musulmane sunnite, et tout cela à la demande du régime syrien de Bachar el-Assad svp, afin de plonger le Liban dans une guerre confessionnelle islamo-chrétienne. Ah oui, je vous l’accorde, on est en Orient et c’est trop compliqué, mieux vaut se contenter des clichés.

A ce propos, sur la route de Damas, dans le bus qui vous emmenait pour aller serrer la main du tyran des lieux, une simple connexion internet vous aurait permis de passer le temps de la traversée des magnifiques paysages du Mont-Liban, de la Bekaa et de l’Anti-Liban, à découvrir le terrible album de César. Vous pouvez toujours le faire et constatez vous-mêmes à quel point votre visite est déplacée, vos tweets sont grotesques et votre message de réhabilitation d’Assad fait honte. 

Exposition de quelques-uns des 55 000 clichés de
l'album de César au siège de l'ONU à New York.
Photo: Lucas Jackson / Reuters
L'album de César compte 55 000 photos de 11 000 Syriens, hommes, femmes et enfants, affamés, torturés, mutilés et tués dans les conditions les plus abominables par le régime tyrannique de Damas, dont certaines ont été exposées au siège même de l’ONU à New York. Alors dites-nous, ces victimes, ne méritent-elles pas elles aussi votre compassion soi-disant chrétienne ? Si oui, comment pouvez-vous voir dans ce grand criminel, un homme « incontournable », protecteur de qui que ce soit ? Si non, vous êtes de faux-chrétiens, comme dirait le pape François en toute simplicité. Ce seul « crime contre l’humanité » fait tomber à l’eau toutes les tentatives dont la vôtre, pour redorer le blason de ce régime fasciste qui a institutionnalisé la torture et qui n’a rien à apprendre à Daech en matière de barbarie. 


Et puisque vous êtes connectés à internet, vous pourrez plonger également dans les rapports de la Commission d'enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, celle qui a été créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. Dans celui du 5 février 2015 par exemple, vous apprendrez que « le recours à la torture était généralisé et systématique dans les locaux de plusieurs institutions (du régime)... Les informations recueillies (par la Commission d’enquête de l’ONU) dénotent l’existence d’une politique d’État mise en œuvre dans les différents gouvernorats ». Comme le prouve l’album de César justement ! Alors, Thierry Mariani, « Bachar el-Assad attend le retour de la France » pour quoi faire au juste ? L’aider dans la gestion de la torture ? Sinon, prenez le dernier rapport, celui du 11 février 2016, vous apprendrez que « Des crimes contre l’humanité continuent d’être commis par les forces gouvernementales et par l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL). Les crimes de guerre commis par les belligérants (en Syrie) sont monnaie courante ». Alors, dites-nous braves gens, c’est avec le chef de ce régime que vous souhaitez s’allier contre le terrorisme ? Mais, il est LE terroriste des terroristes ! Dans ce rapport, vous apprendrez aussi que « Les sunnites, qui constituent la communauté religieuse la plus importante de Syrie, comptent le plus de victimes et de prisonniers civils. Par ses attaques illégales et ses actes constitutifs de disparition forcée, le Gouvernement a visé les communautés dont il estimait qu’elles appuyaient des groupes armés ou dont l’allégeance lui semblait douteuse. Cette stratégie a touché de manière disproportionnée la majorité sunnite, en particulier dans les zones insurgées. » Voilà, Thierry Mariani, Valérie Boyer, et les autres, comment le régime de Bachar el-Assad combat et combattra Daech ! Je vous laisse maintenant imaginer les conséquences de cette stratégie criminelle et stupide, en Syrie et pour l'Europe.


Dans une interview accordée à BFM, Thierry Mariani, vous le respectable député des Français de l'étranger, vous dites clairement « je souhaite la victoire de l’armée syrienne ». De votre côté Valérie Boyer, députée de Marseille, vous nous rassurez dans le quotidien La Provence que « Bachar est serein... il va gagner la guerre ». J'ai envie de vous dire, tout ça, ce voyage, pour ça, ce constat ! Enfin, vous êtes entièrement libres de soutenir une tyrannie. Faites-le pour toutes les raisons possibles et imaginables, mais dorénavant évitez le mélange des genres, Bachar el-Assad et chrétiens d’Orient, ces derniers se passeraient bien de l’expression fâcheuse de votre naïveté en matière de politique moyen-orientale. 

Pour votre gouverne, tout ce qui renforce le régime alaouite de Bachar el-Assad, qui est issu d’une communauté minoritaire qui ne représente que 10% de la population syrienne, renforcera les islamistes de Daech & Co, qui sont issus d’une communauté majoritaire sunnite qui représente 70 % de la population syrienne et de dizaines de milliers de combattants étrangers sunnites sensibles à l’agonie du peuple syrien et réceptifs à la propagande djihadiste. Je vais vous simplifier davantage la formule : Assad va de pair avec Daech. En soutenant Bachar el-Assad, vous renforcez son pouvoir tyrannique nuisible pour les peuples syrien et libanais en général, et pour les communautés sunnite et chrétienne en particulier. Par votre démarche de réhabilitation de ce régime criminel, vous renforcez naturellement ses alliés, les extrémistes chiites pro-Bachar, comme le Hezbollah et la République islamique d’Iran, dont l’objectif reste l’établissement d’une République islamique chiite au Liban, comme l’a rappelé le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem, en début d’année. Pire encore, en soutenant Assad, vous poussez une frange de personnes anti-Bachar de confession sunnite, de Syrie et du monde arabe, comme de France et d’ailleurs, à se radicaliser pour venir grossir les rangs de ces organisations terroristes. Ainsi, par votre soutien irresponsable, vous menacez l’ensemble des populations syrienne et libanaise, les chrétiens et les musulmans en Orient, vous prolongez le conflit syrien et vous jetez davantage de migrants syriens sur les routes de l’Europe. Assad et Daech sont deux formes différentes de fascisme, d’une barbarie comparable. Que ça vous plaise ou non, les deux sont condamnés à disparaitre. En attendant, vous êtes du mauvais côté de l’histoire.

Post-scriptum

Avant que je n'oublie, pitié, enlevez ce « ن » qui accompagne le nom de certains d'entre vous, Thierry Mariani et Valérie Boyer, sur les réseaux sociaux. Cette lettre noun, de l'alphabet arabe, a été apposée par Daech sur les murs des résidences des Irakiens de confession chrétienne de Mossoul, à l'été 2014. C'est très honorable de votre part d'y faire référence, il n'empêche que votre soutien à un tyran de la trempe de Bachar el-Assad, est totalement incompatible avec les enseignements de Jésus de Nazareth, le premier des nasara, les Nazaréens, ces fameux chrétiens d'Orient. Parole d'évangile.

mercredi 23 mars 2016

Attaques terroristes (de Bruxelles et de Paris) : faut-il sacrifier les libertés et les valeurs sur l’autel du tout-sécuritaire ? (Art.345)


Le terrorisme a encore frappé, à Bruxelles cette fois, avec la même lâcheté qui s’est exprimée à Paris, Istanbul et Beyrouth auparavant. 31 personnes tuées à l’aveugle par des kamikazes, quatre jours seulement après l’arrestation de Salah Abdeslam. Le lien est évident, les objectifs sont clairs.

Et pourtant, il ne s’agit nullement de venger ce dernier ou d’une revanche après son arrestation, comme le laissent entendre certains médias. Tout le monde sait, Daech en premier, que Salah Abedslam s’est révélé n’être qu’un terroriste tocard, depuis le 13 novembre 2015. Son nom ne figure pas dans le panthéon terroriste. « Son équipe » a totalement foiré l’attaque du Stade de France, heureusement. Trois kamikazes se sont fait explosés, ils n’ont tué qu’un seul passant, de trop, mais quand on pense qu’il y avait des dizaines de milliers de personnes qui assistaient au match France-Allemagne ce soir-là, le bilan aurait pu être très lourd. Lui-même aurait foiré « sa mission » dans le 18e arrondissement, annoncée par Daech en grande pompe dans son communiqué de revendication des attaques terroristes de Paris. Effrayé, il a abandonné sa ceinture explosive à Montrouge sans même être fichu de se suicider. En venant le chercher pour le ramener en Belgique, ses amis terroristes ont trouvé une loque. Tellement abruti, il est resté dans son quartier de Molenbeek, à défaut d'une planque de secours. A son arrestation vendredi dernier, il n’a montré aucune résistance ou presque. Il aurait couru vers les policiers, en espérant qu’un de ces derniers l’abattrait. Pour sauver sa peau, on imagine qu’un misérable comme lui a dû promettre à ses collègues de Raqqa, d’organiser un attentat terroriste de rattrapage. Raté encore. Les renseignements franco-belges ne lui ont pas laissé le temps. Au final, ce terroriste minable peut s’estimer heureux d’avoir été arrêté par la police belge et d’être jugé par la justice française. S’ils l’avaient eu entre leurs mains, les psychopathes de Daech l’auraient défenestré.

En menant les attaques odieuses de Bruxelles, l’organisation terroriste autoproclamée « Etat islamique » (EI) a voulu démontrer qu’en dépit des mesures sécuritaires prises par les pays occidentaux et des opérations de police en cours depuis plusieurs mois, qui ont conduit à la mise hors d’état de nuire de plusieurs terroristes de ses rangs, elle a les moyens humains et logistiques de frapper au cœur de la capitale de l’Union européenne. Par ailleurs, Daech cherche à remonter le moral de ses djihadistes, écrasés par la double puissance de feu arabo-occidentale et russe en Syrie, ainsi que par les préparatifs d’une offensive terrestre pour l’anéantir.

Au lendemain de ce drame, il faut tacher de se souvenir de trois évidences. Primo, il faut être particulièrement naïf pour penser que quelques arrestations par-ci par-là, mettraient les pays occidentaux à l’abri des menaces de l’EI, quand on sait que 29 000 djihadistes étrangers combattent en Syrie et en Irak dans les rangs des groupes islamistes, dont 2 400 de Russie, 2 100 de Turquie, 1 700 de France, 760 d'Allemagne, 760 du Royaume Uni et 470 de Belgique. Secundo, il est évident que lorsqu’on part en Syrie, avec autant de haine déclarée ou sous-jacente contre l’Occident, on ne revient pas apaisé, mais fou furieux. Le gavage idéologique sur place, la cruauté de la vie quotidienne sous Daech, la barbarie de la tyrannie des Assad, la violence des alliés du régime syrien (l’Iran et le Hezbollah), l’imposture des frappes russes (dont l’objectif premier est de sauver le régime), les dommages collatéraux des frappes arabo-occidentales, l’enlisement de la guerre civile, enfin, tout ce qui se passe en Syrie fait en sorte qu’on ne quitte pas l’Europe djihadiste, pour y revenir bouddhiste ! Près de 500 d’entre eux sont déjà de retour dans l’Hexagone, soit dit au passage. Tertio, il n’y a rien de plus aisé que de commettre des actes terroristes avec l’organisation urbaine et le mode de vie occidentaux. Il est même impossible de les prévenir complètement. Comment peut-on protéger le métro de Paris par exemple, avec ses 302 stations et ses milliers d’entrées, où passent 5,23 millions de voyageurs par jour, soit 1,909 milliard de personnes par an ? Idem pour le réseau de bus parisiens et franciliens qui comporte près de 12 000 arrêts sur 353 lignes, avec une fréquentation de 3,6 millions par jour, soit 1,314 milliard de personnes par an ! Et que faire pour sécuriser les centres commerciaux, les zones touristiques, les cafés, les restaurants, les marchés, les cinémas, les musées, les théâtres, les salles de concert, les expositions, les écoles, les universités, les lieux de cultes, les manifestations sportives, les fêtes nationales et religieuses, les gares, les ports, les aéroports et les rues ? Rajoutez à cela, qu’on sait aujourd’hui, notamment après les attaques du 13-Novembre, que la fabrication d'explosifs, même si elle reste compliquer, est faisable à partir d’éléments qu’on trouve facilement en Europe.

Il faut donc se rendre à l’évidence, le monde occidental se trouve dans une phase délicate qui durera un moment. Le terrorisme sévit, d’une manière sporadique, le risque zéro n’existera pas. Alors, que faire pendant cette période de fortes turbulences ? Je vois deux grandes options.

La première option consistera à changer radicalement les politiques suivies dans tous les domaines. Un vaste chantier qui concernera aussi bien la libre circulation des personnes et le contrôle des frontières, que la protection des données personnelles, la liberté d’expression,l a protection de la vie privée, l’intégration des immigrés, l’accueil des migrants, la tolérance religieuse, la pratique de l’islam, les perquisitions, les fouilles, les contrôles au faciès, les flux financiers, la lutte contre la fraude, j’en passe et des meilleures. C’est la voie à suivre réclamée par beaucoup de monde de tous les bords politiques, les partis d’extrêmes droites en tête. Hier, quelques heures seulement après ce funeste 22-Mars, Manuel Valls, le Premier ministre français, a sommé le groupe socialiste et les écolos du Parlement européen, à « prendre leur responsabilité », faisant allusion au vote du texte relatif au PNR (passenger name record), le fichier européen qui doit centraliser diverses informations sur les passagers aériens en Europe. Le projet de loi traine depuis quelques semaines à Bruxelles. Il faudra sans doute le faire (c'est prévu pour le mois d'avril), sauf que tous les terroristes du 13-Novembre, ont circulé à pied et non par avion, en suivant la route des migrants, et rien n’indique pour l’instant que ceux du 22-Mars ont fait autrement. Idem, à l’Assemblée nationale en France. Là, c’est Bruno Le Roux, le chef du groupe socialiste qui s’est montré impatient : « Attentats terroristes et protection de notre pays, la droite sénatoriale qui bloque la révision constitutionnelle est irresponsable ». Du populisme à 5 centimes ! Du côté des Républicains, on ne fait guère mieux. C’est le jeune loup, Laurent Wauquiez, qui charge et martèle son idée fixe : « l’internement des individus fichés S et de ceux qui reviennent du jihad ». La palme d’or du grand n’importe quoi revient Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate présidentielle : « Combien de temps Salah Abdeslam restera-t-il vraiment en prison, monsieur le Premier ministre ? » En parallèle, le Sénat insiste pour réserver la déchéance de la nationalité française aux binationaux, les « terroristes de souche française » ne seraient plus concernés.

Le durcissement général est aussi demandée à cor et à cri par certains ressortissants d’Orient, ayant ou

pas la nationalité française. Certes, ils sont en général de confession chrétienne, mais on y trouve aussi des athées, comme Waleed al-Husseini. Cet activiste palestinien notoire, frappé d’anathème par les siens après l’apostasie de sa religion musulmane, réfugié politique en France depuis quelques années, coqueluche de Libération et du Monde, a appelé les musulmans du pays, tenez-vous bien, « à prouver qu’ils sont intégrables ». Joli programme !

Non seulement un tel virage coûtera très cher aux économies occidentales, mais en plus, s’il est mal maitrisé, sachant qu'il peut déraper à tout moment, comme on l’a vu précédemment, revient tout simplement à aider les terroristes à atteindre leurs objectifs avec peu de moyens : chambouler les modes de vie, terroriser la population, paralyser les sociétés et infléchir la politique des Etats occidentaux. En plus, cette radicalisation créera, comme le souhaitent vivement les islamistes, des clivages dans les sociétés occidentales, et conduira inévitablement à la stigmatisation des populations musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de « l’Etat islamique » au caractère « croisé » de ses cibles européennes, dans les attaques de Bruxelles comme dans celles de Paris, Daech veut absolument placer la confrontation actuelle dans une perspective religieuse d’un conflit islamo-chrétien, condition nécessaire pour marginaliser les ressortissants européens de confession musulmane, avant de les embrigader et en faire des « djihadistes sans frontières ».

Selon la deuxième option, on intègre le risque terroriste dans la vie quotidienne, en prenant des mesures efficaces mais raisonnables pour y faire face, sans panique et sans hystérie. Plus facile à dire qu’à faire diraient certains, mais n’oublions pas qu’on risque plus de mourir d'accidents de la route (1,23 million de morts par an dans le monde, 25-50 millions de blessés ; soit plusieurs dizaines de millions de morts en quelques décennies) que d’attaques terroristes islamistes (plus de 11 200 morts dans le monde, en 37 ans, entre 1979-2016 ; quelques centaines seulement en Europe occidentale !). Même si la comparaison peut paraître déplacée, cela reviendra à appliquer en quelque sorte, le modèle de gestion des vols dans les grands magasins : pour les limiter, on n’installe pas un vigile devant chaque stand et on ne fouille pas tous les clients, on met des caméras de surveillance et des antivols !

Nous devons lutter d’une manière impitoyable contre les terroristes islamistes, pour mettre toutes les sociétés de ce monde à l’abri de leur barbarie. Mais pas à n’importe quel prix. Il faut constamment réfléchir à l’efficacité des mesures prises, à leurs coûts et à leurs risques. Il y va essentiellement de la sauvegarde des valeurs fondamentales qui caractérisent la civilisation occidentale en général, européenne en particulier, auxquelles s’attaquent les djihadistes de Daech. Il y va également de notre capacité de résilience, mais aussi de l’efficacité de cette lutte. Les lois liberticides prises par les néocons américains après le 11-Septembre (comme la détention sans inculpation et sans limite dans le temps des personnes soupçonnées de projet terroriste et l’accès aux données informatiques sans autorisation préalable et sans en informer les utilisateurs), la stupide invasion de l’Irak par George W. Bush (à l’origine directe de la création de « l’Etat islamique en Irak et au Levant »), l’ouverture de Guantanamo (d’où vient la tenue orange des prisonniers de Daech !), les révélations de Snowden (sur les programmes de surveillance de masse américains et britanniques), les déboires de François Hollande après le 13-Novembre (et les mesures contestées: état d’urgence, loi relative au renseignement, déchéance de la nationalité et révision de la Constitution), l’hébétement devant l’imposture de Vladimir Poutine en Syrie (en bloquant 4 résolutions du Conseil de sécurité, il a permis au régime syrien de survivre et à Daech de se développer et de s’épanouir), la complaisance de l’Occident à l’égard de la République islamique d’Iran (qui nourrit la rancune sunnite contre l’hégémonie chiite-alaouite en Irak, en Syrie et au Liban), sont autant d’exemples qui prouvent qu’on ne gouverne pas sous l’emprise de l’émotion, du populisme et des projections à courte vue.

Comme l’a bien résumé le magistrat français Denis Salas, dans une interview accordée à Amnesty International quelques mois après le 7-Janvier, « le paradoxe est que nous acceptons ces atteintes graves (aux libertés fondamentales), qui seront sans doute irréversibles, alors que nous ne connaîtrons jamais vraiment leur efficacité ». C’est sans doute le bras de fer engagé entre le FBI et Apple qui permet le mieux de comprendre le danger du « tout sécuritaire ».

Tout commence après les attaques terroristes de San Bernardino aux Etats-Unis, le 2 décembre 2015, qui ont fait 14 morts. Le FBI demande à Apple de lui fournir un logiciel afin de déverrouiller l’iPhone d’un des terroristes. Jusqu’à la version iOS 8, disponible depuis septembre 2014, les barbouzes américains se débrouillaient bien. Mais depuis, ils se cassent les dents. Après plusieurs tentatives de pénétrer dans l'appareil, les données de l’iPhone sont effacées. Le fabricant américain refuse. Rien que sur le plan technique, un tel travail nécessite l’intervention d’une dizaine d’ingénieurs d’Apple pendant quatre semaines. Un juge lui ordonne d’obtempérer. Comme Apple se défend fermement, la stratégie du FBI a consisté à porter l’affaire devant le public. Ainsi, le gouvernement américain profite de l’émotion et de la frayeur des attaques terroristes, pour franchir un nouveau pas dans la violation des libertés individuelles aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde, où 231 millions d'iPhone ont été livrés au cours de l'année 2015.

Apple persiste et signe et s’explique. Une telle démarche créerait un précédent, en permettant aux autorités administratives, policières ou judiciaires, de faire le même genre de demande pour d’autres raisons, comme la fraude fiscale, les crimes ou l’adultère par exemple, mais aussi, aux régimes totalitaires dans le monde, en Iran comme en Chine, de jeter un coup d’œil aux contenus des iPhone des opposants. Pire encore, si l’accès aux données privées est rendu possible grâce à un logiciel et sans le consentement des personnes, rien ne pourrait alors empêcher des réseaux terroristes et mafieux d’exploiter cette faille de sécurité, qui se retournerait du coup contre la société et les citoyens. Dans son refus catégorique de briser le verrouillage des iPhone, Tim Cook, le successeur de Steve Jobs, a reçu le soutien des patrons de Google, Facebook, Twitter, WhatsApp, Mozilla, et même d’Amnesty International, à l’exception de l’ancien patron de Microsoft, Bill Gates, qui a été pendant longtemps, l’ennemi historique d’Apple. Quant aux candidats à la présidence des Etats-Unis, leurs positions dans cette affaire sont claires. Du côté des Démocrates, Hillary Clinton comprend les deux camps et Berni Sanders ne comprend aucun des deux. Du côté des Républicains, Donald Trump a appelé au boycott d’Apple. Eh bien, ça veut tout dire !

Pour conclure, Apple cite l’implacable constat d’un juge de la Cour suprême des Etats-Unis, Louis Brandeis : « Les plus grands dangers pour la liberté résident dans les intrusions insidieuses d’hommes zélés, bien intentionnés, sans (chercher à) comprendre. » La citation date de 1928. Elle résonne aujourd’hui comme un avertissement aux sociétés occidentales.