mercredi 30 mars 2016

Chrétiens d’Orient et Bachar el-Assad : lettre ouverte aux cinq députés « Les Républicains » après ce méprisable mélange des genres (Art.347)


Comme c’est gentil de votre part, vous députés de la nation française appartenant au parti Les Républicains, de vous rendre à Damas via Beyrouth, afin « d’être auprès des chrétiens d’Orient » (Valérie Boyer) et de « soutenir ceux qui combattent Daech (régime syrien) » (Thierry Mariani). Sachez d’emblée qu’une partie des premiers rejette votre solidarité empoisonnée, honteuse car sélective, méprisable car élective, elle en fait de ce tyran, Bachar el-Assad, le sauveur de ses opprimés, les peuples syrien et libanais. C’est le comble ! Non merci. Non seulement vous ne correspondez pas aux normes, celles de la politique officielle de la France, instaurée par Laurent Fabius, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, mais en plus, vous êtes d’une naïveté affligeante à croire la moitié d’un quart de seconde, comme on dit en Orient, que Bachar el-Assad peut encore jouer un rôle dans l’avenir de la Syrie et dans le combat contre Daech. Foutaises.

Je fais partie de cette espèce menacée qu’on appelle les « chrétiens d’Orient » que vous vous obstinez à vouloir défendre. J’en ai vu défiler depuis Saint-Louis. J’ai beaucoup écrit en long et en large sur la tyrannie des Assad, père et fils, que vous voulez soutenir coûte que coûte. Voyez-vous, les Assad sont sans l'ombre d'un doute l'une des pires malédictions pour le Moyen-Orient, au moins depuis ce sinistre coup d'Etat en 1970, pour l’ensemble des Libanais et des Syriens, et pour les chrétiens libanais et syriens particulièrement. J’ai expliqué à de nombreuses reprises dans mes articles comment Bachar el-Assad a tout fait pour radicaliser la révolte démocratique du 15 mars 2011. Comme par exemple, en réprimant dans la douleur et le sang les manifestations pacifiques, en lâchant des centaines d’islamistes emprisonnés, en ciblant expressément les populations civiles, en institutionnalisant la torture ou en concentrant ses attaques militaires sur les « rebelles modérées », afin qu’il ne subsiste sur le terrain des combats que deux protagonistes, le régime syrien et les djihadistes de Daech & Co. Et tout cela dans un seul et unique but, pour que justement des Occidentaux crédules comme vous, gobent la propagande officielle et décrètent naïvement après un séjour touristique à Damas, que « nous avons une alliance à faire contre le terrorisme » (Valérie Boyer). En gros, qu’il n’y a pas de choix en Syrie, pour combattre les fanatiques, il faut soutenir les tyranniques. Et encore, si vous aviez le courage d’appeler un chat un chat !

Initiateur de ce déplacement, vous Monsieur le député Thierry Mariani, vous estimez que « Bachar el-Assad est incontournable » et que « nous avons les mêmes ennemis ». Vous peut-être, la bande des cinq députés du parti des Républicains, mais surement pas nous, les Orientaux du Liban et de Syrie, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues, et les Occidentaux, de France, d’Europe et d’ailleurs.

Massacre chimique au gaz sarin de Ghouta
(banlieue de Damas), commis par le régime de
Bachar el-Assad, survenu dans la nuit du 21 août 2013,
et qui a fait 1 429 morts, dont 426 enfants.
Voyons un peu. Alors que nous sommes à 300 000 morts en Syrie et 10 millions de déplacés, vous n’avez pas jugé utile de rencontrer par exemple les survivants du massacre chimique d’al-Ghouta dans la banlieue de Damas, survenu en août 2013 et qui a emporté en quelques minutes la vie de 1 429 personnes dont 426 enfants. Pourquoi, parce que vous n’y avez pas pensé ? Ou parce que leur drame ne vous touche pas autant que celui des chrétiens, étant a priori, musulmans en majorité ? En tout cas, vous n’y avez pas pensez surement parce que l’auteur de ce « crime de guerre » est précisément le régime de Bachar el-Assad que vous cherchez aujourd’hui à réhabiliter en vous cachant derrière les « chrétiens d’Orient » et de la « lutte contre le terrorisme ».

Cela dit, en regardant votre album photos, j'ai consta que vous avez trouvé quand même le temps de profiter de cet agréable weekend pascal que vous vous êtes offerts comme hôtes dans le fief de Bachar et Asma, pour aller déambuler dans ce superbe souk de Damas et pour photographier comme vous l’avez dit Monsieur le député de la 11e circonscription des Français de l'étranger, celle qui englobe l’Europe de l'Est, l’Asie et le Pacifique, donc, le Liban et la Syrie : « le mug qui fait fureur, en reconnaissance de l'intervention de la Russie face à Daech ». Vous ne vous êtes pas rendu compte Thierry Mariani, que votre tweet relève de l’imposture à l’état pur. Tout le monde sait que les frappes des avions russes avaient comme principal objectif d’avantager la tyrannie des Assad et n’ont visé Daech que secondairement. Alors, pourquoi pas vous ?

Et comme le hasard fait parfois bien les choses, la bataille de Palmyre est venue vous réconforter dans votre choix d'alignement sur l’axe Damas-Téhéran-Moscou et de pavoiser : « Pendant que la bataille fait rage pour la reprise de Palmyre, la foule se presse au souk de Damas ». En d'autres termes, qu'est-ce qu'on est bien en sécurité chez Bachar et Asma ? En temps normal, on en rirait Thierry Mariani, tellement c'est grotesque. Vous avez raison sur la partie touristique de votre tweet, mais surement pas sur la partie militaire, qui relève là aussi, de l’imposture. Les batailles de Palmyre à l’aller comme au retour n’ont jamais fait rage. Je ne sais pas où vous êtes allés chercher ce délire. Elles se sont apparentées dans les faits à des passations de pouvoir entre les troupes d’Assad et de Daech, selon les circonstances et les intérêts. Et pour cause, Tadmor-Palmyre est une double ville du désert de Syrie qui n’a pas un grand intérêt stratégique dans la guerre syrienne, ni pour les uns ni pour les autres. Sa chute, en mai 2015, comme sa reprise, en mars 2016, n’est pas un grand enjeu militaire de par sa géographie désertique et son éloignement des grandes villes syriennes (Damas, Homs, Hama, Alep, Rakka, Deir el-Zour). Son intérêt majeur est médiatique. A part pour étendre son territoire, Daech voulait s’en emparer pour deux raisons : d’une part, pour récupérer les petites œuvres d’art à vendre sur le marché noir (comme l’a confirmé le drame de l’ancien directeur des Antiquités, Khaled Assaad, qui a refusé d’indiquer aux djihadistes où il avait caché certaines d’entre elles, ce qui lui a coûté la vie d'une manière atroce), et d’autre part, pour détruire quelques monuments non islamiques, comme un pied de nez à la communauté internationale. Vous devez savoir aussi, qu'Assad l’a livré à Daech pour deux raisons également : d’une part, afin de concentrer ses troupes autour de Damas, de la région de Lattaquié et tout au long de la frontière libanaise alors qu’il se trouvait en difficulté au printemps 2015, et d’autre part, pour se positionner devant quelques crédules occidentaux comme vous, comme un rempart aux barbares, destructeurs de la mémoire de l’humanité. Tous vos tweets et certains articles sur le sujet, pour saluer la bravoure des assaillants dans la bataille de Palmyre, le trio Assad-Nasrallah-Poutine (Robert Fisk qui souffre d'un syndrome de Stockholm par procuration depuis les années 80, parle même de « la plus grande défaite de l'EIIL »), relève de la mythologie. Il faut reconnaitre que les lieux s’y prêtent.

Une visite comme ça se prépare à l’avance. On peut éventuellement compenser le manque de préparation par l’observation du terrain et les discussions sur place. Tenez, à votre descente d’avion à Beyrouth vous auriez dû remarquer la présence massive de réfugiés et de migrants syriens au Liban. Le pays du Cèdre accueille pour ces deux catégories confondues près de 1,5 million de Syriens pour 4,5 millions d’habitants. Rapportés à la population française, c’est comme si la France accueillait 22 millions d’étrangers de la même nationalité. De quoi dissiper vos belles chevelures et brider vos grands sourires pour les photos souvenirs ! Vous auriez cherché à comprendre pourquoi il y avait autant, et pourquoi l’Europe croule sous l’afflux massif de migrants de Syrie, vous auriez découvert entre autres, que c’est à cause de l’obstination de Bachar el-Assad à garder le pouvoir (et à capoter les négociations de Genève dans le passé), des quatre vétos de la Russie et de la Chine (pour bloquer quatre résolutions de l’ONU sur la Syrie en 5 ans de conflit), des atrocités commises à la fois par le régime syrien et par les djihadistes de tout poil, de la barbarie des troupes syriennes (ex. le massacre chimique de Ghouta et l’album de César ; mais aussi, des bombardements des populations civiles aux barils d’explosifs et au chlore), de l’implication massive de la République islamique d’Iran et de la milice chiite du Hezbollah aux côtés de Bachar el-Assad (notamment tout le long de l’axe nord-sud longeant le Liban, d’Alep à Deraa), et de la violence des bombardements russes (qui n’a laissé aucun refuge à la population). Enfin bref, à cause de Bachar el-Assad, qui selon vous, Valérie Boyer, « travaille déjà à l’après-guerre et à la réconciliation ». Non mais, vous avez une forme grave de tourista madame la députée !

Au Liban, si vous aviez cherché à sortir des sentiers battus, des Libanais chrétiens et musulmans vous auraient plongé rapidement par exemple dans le dossier Michel Samaha. Cet ancien ministre libanais a été jugé et condamné il n’y a pas si longtemps, sur ses propres aveux et des preuves irréfutables, le flagrant délit de posséder 24 charges explosives fournies par le régime syrien, de vouloir mener des dizaines d’attentats terroristes et d’assassinats politiques au Liban, à caractère confessionnel (comme les innombrables actes terroristes survenus lors des 29 ans d’occupation syrienne du Liban par la tyrannie des Assad, père et fils, et qui ont couté la vie, entre autres, à deux présidents de la République chrétiens, Bachir Gemayel et René Mouawad, et à deux Premiers ministres sunnites, Rachid Karamé et Rafic Hariri), dont un devait être réalisé lors du séjour du patriarche chrétien maronite dans une région musulmane sunnite, et tout cela à la demande du régime syrien de Bachar el-Assad svp, afin de plonger le Liban dans une guerre confessionnelle islamo-chrétienne. Ah oui, je vous l’accorde, on est en Orient et c’est trop compliqué, mieux vaut se contenter des clichés.

A ce propos, sur la route de Damas, dans le bus qui vous emmenait pour aller serrer la main du tyran des lieux, une simple connexion internet vous aurait permis de passer le temps de la traversée des magnifiques paysages du Mont-Liban, de la Bekaa et de l’Anti-Liban, à découvrir le terrible album de César. Vous pouvez toujours le faire et constatez vous-mêmes à quel point votre visite est déplacée, vos tweets sont grotesques et votre message de réhabilitation d’Assad fait honte. 

Exposition de quelques-uns des 55 000 clichés de
l'album de César au siège de l'ONU à New York.
Photo: Lucas Jackson / Reuters
L'album de César compte 55 000 photos de 11 000 Syriens, hommes, femmes et enfants, affamés, torturés, mutilés et tués dans les conditions les plus abominables par le régime tyrannique de Damas, dont certaines ont été exposées au siège même de l’ONU à New York. Alors dites-nous, ces victimes, ne méritent-elles pas elles aussi votre compassion soi-disant chrétienne ? Si oui, comment pouvez-vous voir dans ce grand criminel, un homme « incontournable », protecteur de qui que ce soit ? Si non, vous êtes de faux-chrétiens, comme dirait le pape François en toute simplicité. Ce seul « crime contre l’humanité » fait tomber à l’eau toutes les tentatives dont la vôtre, pour redorer le blason de ce régime fasciste qui a institutionnalisé la torture et qui n’a rien à apprendre à Daech en matière de barbarie. 


Et puisque vous êtes connectés à internet, vous pourrez plonger également dans les rapports de la Commission d'enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, celle qui a été créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. Dans celui du 5 février 2015 par exemple, vous apprendrez que « le recours à la torture était généralisé et systématique dans les locaux de plusieurs institutions (du régime)... Les informations recueillies (par la Commission d’enquête de l’ONU) dénotent l’existence d’une politique d’État mise en œuvre dans les différents gouvernorats ». Comme le prouve l’album de César justement ! Alors, Thierry Mariani, « Bachar el-Assad attend le retour de la France » pour quoi faire au juste ? L’aider dans la gestion de la torture ? Sinon, prenez le dernier rapport, celui du 11 février 2016, vous apprendrez que « Des crimes contre l’humanité continuent d’être commis par les forces gouvernementales et par l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL). Les crimes de guerre commis par les belligérants (en Syrie) sont monnaie courante ». Alors, dites-nous braves gens, c’est avec le chef de ce régime que vous souhaitez s’allier contre le terrorisme ? Mais, il est LE terroriste des terroristes ! Dans ce rapport, vous apprendrez aussi que « Les sunnites, qui constituent la communauté religieuse la plus importante de Syrie, comptent le plus de victimes et de prisonniers civils. Par ses attaques illégales et ses actes constitutifs de disparition forcée, le Gouvernement a visé les communautés dont il estimait qu’elles appuyaient des groupes armés ou dont l’allégeance lui semblait douteuse. Cette stratégie a touché de manière disproportionnée la majorité sunnite, en particulier dans les zones insurgées. » Voilà, Thierry Mariani, Valérie Boyer, et les autres, comment le régime de Bachar el-Assad combat et combattra Daech ! Je vous laisse maintenant imaginer les conséquences de cette stratégie criminelle et stupide, en Syrie et pour l'Europe.


Dans une interview accordée à BFM, Thierry Mariani, vous le respectable député des Français de l'étranger, vous dites clairement « je souhaite la victoire de l’armée syrienne ». De votre côté Valérie Boyer, députée de Marseille, vous nous rassurez dans le quotidien La Provence que « Bachar est serein... il va gagner la guerre ». J'ai envie de vous dire, tout ça, ce voyage, pour ça, ce constat ! Enfin, vous êtes entièrement libres de soutenir une tyrannie. Faites-le pour toutes les raisons possibles et imaginables, mais dorénavant évitez le mélange des genres, Bachar el-Assad et chrétiens d’Orient, ces derniers se passeraient bien de l’expression fâcheuse de votre naïveté en matière de politique moyen-orientale. 

Pour votre gouverne, tout ce qui renforce le régime alaouite de Bachar el-Assad, qui est issu d’une communauté minoritaire qui ne représente que 10% de la population syrienne, renforcera les islamistes de Daech & Co, qui sont issus d’une communauté majoritaire sunnite qui représente 70 % de la population syrienne et de dizaines de milliers de combattants étrangers sunnites sensibles à l’agonie du peuple syrien et réceptifs à la propagande djihadiste. Je vais vous simplifier davantage la formule : Assad va de pair avec Daech. En soutenant Bachar el-Assad, vous renforcez son pouvoir tyrannique nuisible pour les peuples syrien et libanais en général, et pour les communautés sunnite et chrétienne en particulier. Par votre démarche de réhabilitation de ce régime criminel, vous renforcez naturellement ses alliés, les extrémistes chiites pro-Bachar, comme le Hezbollah et la République islamique d’Iran, dont l’objectif reste l’établissement d’une République islamique chiite au Liban, comme l’a rappelé le numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Qassem, en début d’année. Pire encore, en soutenant Assad, vous poussez une frange de personnes anti-Bachar de confession sunnite, de Syrie et du monde arabe, comme de France et d’ailleurs, à se radicaliser pour venir grossir les rangs de ces organisations terroristes. Ainsi, par votre soutien irresponsable, vous menacez l’ensemble des populations syrienne et libanaise, les chrétiens et les musulmans en Orient, vous prolongez le conflit syrien et vous jetez davantage de migrants syriens sur les routes de l’Europe. Assad et Daech sont deux formes différentes de fascisme, d’une barbarie comparable. Que ça vous plaise ou non, les deux sont condamnés à disparaitre. En attendant, vous êtes du mauvais côté de l’histoire.

Post-scriptum

Avant que je n'oublie, pitié, enlevez ce « ن » qui accompagne le nom de certains d'entre vous, Thierry Mariani et Valérie Boyer, sur les réseaux sociaux. Cette lettre noun, de l'alphabet arabe, a été apposée par Daech sur les murs des résidences des Irakiens de confession chrétienne de Mossoul, à l'été 2014. C'est très honorable de votre part d'y faire référence, il n'empêche que votre soutien à un tyran de la trempe de Bachar el-Assad, est totalement incompatible avec les enseignements de Jésus de Nazareth, le premier des nasara, les Nazaréens, ces fameux chrétiens d'Orient. Parole d'évangile.