Retrait de la Russie de Syrie. Source Sputnik, d'après le ministère russe de la Défense |
L’annonce faite par Vladimir Poutine du retrait
de l’essentiel des troupes russes de la Syrie des Assad, nous renvoie à l’une des hypothèses suivantes, voire à
toutes ces hypothèses réunies et concoctées selon un savant dosage, dont seul
un ex-officier du KGB, nostalgique de l’empire de l’URSS, en est capable.
1. Le retrait sera réel,
d’envergure et effectif. Dans ce cas, il s’agit indéniablement d’une bonne nouvelle pour le Moyen-Orient en
général et la Syrie en particulier. Cette pression inattendue sur le régime
syrien, conduira forcément Bachar
el-Assad à mettre de l’eau dans son vin sur la table des négociations à
Genève. Mais, dans ce cas, cette décision s’apparenterait alors à une volte-face surprenante du nouveau tsar.
Depuis six mois, la Russie a tout fait pour permettre aux troupes du régime de
reprendre l’initiative. Les frappes russes ont visé essentiellement à renforcer
le régime, plutôt qu’à s’attaquer aux djihadistes de tout poil. D’ailleurs,
selon le site d’information Sputnik, considéré par certains comme « l’arme de propagande russe », la Russie a mené 9 000 raids en Syrie. « Grâce à l'assistance russe, les
troupes gouvernementales syriennes ont réussi à reprendre aux terroristes plus
de 10 000 kilomètres carrés de territoire, y compris des localités d'importance
stratégique ». Précision utile, le terme « terroristes »
englobe tous ceux qui n’ont pas fait allégeance au tyran de Damas.
En tout cas, si Vladimir Poutine a pris une décision sage et sincère, il l’a prise
avec plus de 4 ans de retard ! Nul ne peut oublier que la Russie et la Chine ont bloqué en
5 ans de conflit, 4 résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU portant sur la Syrie :
en octobre 2011, en février 2012, en juillet 2012 et en mai 2014. Pour mieux mesurer la culpabilité de ces
deux pays, il faut savoir que la veille du vote de la 2e résolution sur la
Syrie au début de l’année 2012, bloquée par le duo Russie-Chine, on venait à
peine de dépasser le seuil des 5 000 morts (et 5 000 réfugiés au Liban). Après
et faute d’option diplomatique, les Syriens sont passés par l’erreur de la militarisation
du conflit. Au moment de voter la 3e résolution sur la Syrie au milieu de
l’année 2012, nous n’étions qu’à 15 000 morts (et 25 000 réfugiés au Liban).
Par la suite et toujours faute d’option diplomatique, les Syriens sont passés par l’erreur de la
généralisation du conflit. Aujourd’hui, faute d’options diplomatiques, nous
sommes à près de 300 000 morts, 10 millions de déplacés, dont 1 500 000 de
réfugiés au Liban, et une Europe submergée par l’afflux de migrants, notamment
de Syrie.
Les
vétos russe et chinois ont permis à Bachar el-Assad de s’offrir le luxe de
l’intransigeance dès le départ, et d’avoir les coudés franches dans la
répression sanglante et grandissante du soulèvement populaire syrien. Il en
résulta, d’une part, un durcissement de la Révolution syrienne, dont on
commémore aujourd’hui même le 5e anniversaire, qui a conduit à la
militarisation et la généralisation du conflit, et d’autre part, un enlisement
de la guerre civile syrienne, qui a offert à « l'Etat islamique en Irak et au
Levant », Daech, les meilleures conditions de se développer, de s’épanouir et de s’exporter. On a donc raté quatre occasions historiques
d’exercer d’importantes pressions sur le régime syrien, qui auraient conduit
ce tyran pragmatique à être plus conciliant et auraient évité à la Syrie ce
grand désastre. Mais, comme on dit, mieux vaut tard que jamais. Espérons que
celle d’aujourd’hui sera la bonne.
2. « Le Poutine ou L’Imposteur » fait du bluff. Sa décision est une mascarade, c’est
une annonce creuse, c’est un non-événement, c’est du Poutine tout craché,
appelez cela comme vous voulez, rien ne changera en réalité sur le terrain. Enfin,
presque rien ! Preuve à l’appui : Poutine a annoncé qu’il garde les deux bases russes de
Lattaquié (aérienne) et de Tartous (navale), dans le Pays des Alaouites, officiellement pour
surveiller le cessez-le-feu et officieusement pour voler au secours du régime à
tout moment, comme il l'a fait en septembre dernier.
3. C’est
une campagne marketing sur le plan international pour redorer le blason de la
Russie
alors que les négociations intersyriennes piétinent à Genève et que la trêve en
Syrie est violée d’une manière sporadique. Tout peut dégénérer d’un instant à
l’autre. C’est tout bénef si la situation évolue positivement, il n’y a rien à
perdre si elle se détériore. Etranglée économiquement, la Russie espère assouplir les sanctions prises par les pays occidentaux
après ses mésaventures à la fois en Ukraine, le soutien aux séparatistes et
le rattachement de la Crimée, et en
Syrie, le soutien à la tyrannie des Assad et les bombardements concentrés
sur les rebelles, épargnant sciemment Daech & Co et ne se souciant pas
beaucoup des dommages collatéraux. Deux mésaventures qui coutent très chers à
la Russie, en termes d’image, mais aussi sur le plan financier, pour ce qui est
du coût des opérations militaires et des sanctions économiques.
4. Si Daech représente une menace pour le monde entier, celle qui vise spécifiquement la Russie est particulièrement importante du fait de l'engagement russe aux côtés du régime syrien. Trois éléments permettent de prendre conscience de la gravité de la situation. Primo, il y a l'attentat du 31 octobre 2015, qui a visé l'avion reliant Charm el-Cheikh à Saint-Pétersbourg. Il a fait 224 victimes, en grande majorité russes. Secundo, il y a les menaces précises, proférées à l'encontre de la Russie la veille des attaques parisiennes du 13-Novembre (2015), à travers une vidéo où l'organisation terroriste promet que « bientôt, très bientôt, le sang se répandra comme un océan » dans les villes de Russie, et que « le Kremlin sera à nous ». Tertio, il y a ce fait dont on parle peu mais qui est très inquiétant pour la Russie : d'après un rapport publié le 8 décembre 2015 par The Soufan Group, un institut spécialisé dans le renseignement, créé par l'américano-libanais Ali Soufan (un ex-agent du FBI, grand admirateur de Khalil Gibran, qui a failli prévenir le 11-Septembre!), on compte près de 2 400 ressortissants russes du côté des djihadistes au Moyen-Orient. La Russie serait de ce fait, le 2e fournisseur de combattants étrangers en Syrie et en Irak, après la Tunisie (6 000). Elle en a presque autant que l'Arabie saoudite (2 500), bien plus que la Turquie (2 100), 41% plus que la France (1 700), 1500% plus que les Etats-Unis (150). Si on comptabilise tous les djihadistes originaires des ex-Républiques soviétiques, on grimpe à 4 700 combattants, autant que toute l'Europe occidentale (5 000), 17 fois le nombre de combattants d'Amérique du Nord (280).
Alors, si sauver le régime syrien est bien, éviter le retour de ces milliers de djihadistes russes dans le Caucase c'est beaucoup mieux. Poutine sait, comme tout le monde, qu’il faut passer par une offensive terrestre en Syrie pour donner le coup de grâce à Daech. A ce moment-là, il vaut mieux être du bon côté pour une fois. Mieux encore, il faut tout faire pour que l'offensive terrestre se fasse. Aucun des protagonistes en Syrie n'est capable d'assumer cette tâche. Les Occidentaux en ont la capacité, mais pas la volonté. Ils n'y participeront pas. Les Russes non plus.
Or, le « Tonnerre du Nord » ne retentira pas en Syrie, et les troupes sunnites d’Arabie saoudite, de Turquie, d’Egypte, du Maroc, du Pakistan, du Soudan et d’autres pays arabo-musulmans, ne s’engageront pas dans cette guerre terrestre si l’offensive n’est pas puissamment et militairement couverte par les Etats-Unis (pour assurer un succès net et rapide), si elle n’est pas facilitée par la Russie (en s'assurant aussi de la neutralité de l’Iran et de ses satellites !), et si elle a une chance infime de permettre au régime de Bachar el-Assad d’en profiter pour rester au pouvoir et se renforcer. C'est d'ailleurs l’enjeu principal des négociations qui se déroulent actuellement à Genève et qui conditionneront directement la faisabilité de l'offensive terrestre contre Daech: s’assurer que tous les protagonistes de l'échiquier syrien sont sur la même longueur d'onde, Bachar el-Assad est fini.
Alors, si sauver le régime syrien est bien, éviter le retour de ces milliers de djihadistes russes dans le Caucase c'est beaucoup mieux. Poutine sait, comme tout le monde, qu’il faut passer par une offensive terrestre en Syrie pour donner le coup de grâce à Daech. A ce moment-là, il vaut mieux être du bon côté pour une fois. Mieux encore, il faut tout faire pour que l'offensive terrestre se fasse. Aucun des protagonistes en Syrie n'est capable d'assumer cette tâche. Les Occidentaux en ont la capacité, mais pas la volonté. Ils n'y participeront pas. Les Russes non plus.
Or, le « Tonnerre du Nord » ne retentira pas en Syrie, et les troupes sunnites d’Arabie saoudite, de Turquie, d’Egypte, du Maroc, du Pakistan, du Soudan et d’autres pays arabo-musulmans, ne s’engageront pas dans cette guerre terrestre si l’offensive n’est pas puissamment et militairement couverte par les Etats-Unis (pour assurer un succès net et rapide), si elle n’est pas facilitée par la Russie (en s'assurant aussi de la neutralité de l’Iran et de ses satellites !), et si elle a une chance infime de permettre au régime de Bachar el-Assad d’en profiter pour rester au pouvoir et se renforcer. C'est d'ailleurs l’enjeu principal des négociations qui se déroulent actuellement à Genève et qui conditionneront directement la faisabilité de l'offensive terrestre contre Daech: s’assurer que tous les protagonistes de l'échiquier syrien sont sur la même longueur d'onde, Bachar el-Assad est fini.
Nota Bene
Pour revenir à la politique libanaise, la
décision de Poutine de changer de cap (au moins officiellement), rajoutée à tout ce qui se passe
actuellement au Moyen-Orient (l'aisance financière de l’Iran, ce qui peut le
rendre plus interventionniste ; la détermination de l’Arabie saoudite à
freiner l’expansionnisme iranien ; la classification du Hezbollah sur la
liste des organisations terroristes par la Ligue arabe ; les manœuvres militaires
d’envergure en Arabie saoudite ; le test d’un tir de missile balistique de longue portée par l’Iran ; etc.), prouvent à quel point Saad Hariri et Samir Geagea se sont trompés
en appuyant deux candidats proches du régime syrien et du Hezbollah libanais, et de l'Iran en conséquence,
respectivement Sleimane Frangié et Michel Aoun, pour briguer la magistrature suprême de la République libanaise.