"Tonnerre du Nord" Photo: Al-Araby Television Network |
Migrants iraniens à Calais Photo: Philippe Nuguen - AFP |
Et pourtant, il y a un bémol. Comme beaucoup
d’observateurs, j’ai soutenu l’accord sur le nucléaire iranien. Non seulement
parce qu’il empêchait l’Iran d’acquérir la bombe, sans avoir à lui faire la guerre, mais surtout, parce qu’il offrait au peuple iranien une belle occasion de pousser le
régime à changer de cap. Certes,
c’est bien parti, mais le pari est loin d’être gagné comme le prouvent les
signes des derniers temps.
A commencer par la visite de Hassan Rohani en Europe. Celle-ci s’est mal déroulée.
En Italie, les conseillers de ce dernier auraient exigé de voiler la Vénus capitoline et ses friends, afin de permettre au président
iranien, de déambuler dans les musées du Capitole, sans avoir à heurter sa
sensibilité pudibonde par les nus gréco-romains, alors que rien ne l’obligeait
de s’y rendre. En France, ces mêmes conseillers voulaient empêcher les convives
non-musulmans et les musulmans non-pratiquants de l’Elysée, de boire du vin à table, pour ne pas
couper l’appétit du pudibond Rohani. Il va de soi que dans ces deux cas, qui
concernent deux visites historiques, les décisions ne pouvaient pas être prises
qu’en étroite collaboration avec Hassan Rohani lui-même. Le problème c’est que
ces deux incidents dépassaient le cadre protocolaire. Ils concernaient une
valeur fondamentale qui dicte les relations diplomatiques et humaines : l’acceptation de la culture des autres, d’autant
plus que l’on se trouve chez eux !
Il y a eu ensuite les élections législatives et cléricales. A entendre certains
experts occidentaux s’enthousiasmaient pour la victoire des
« réformateurs » et des « modérés », on oublierait presque que la République islamique d’Iran, est le seul
pays au monde (et de quelle taille, 78 millions de personnes !), et dans l’histoire de l’humanité (pratiquement !), à être dirigé d’une main de fer par un
régime théocratique et que le chef de ces « réformateurs-modérés »,
Hassan Rohani, est un conservateur religieux chiite, incapable de mettre sa
soutane au vestiaire avant de rentrer dans un temple laïc de la culture
occidentale. Sur le fond, c’est la douche écossaise pour les fervents de l'Iran 2.0
: de quels réformateurs de pacotille parlent-ils, sachant que les
« vrais » d’entre eux, ont été soigneusement écartés par le chef d’orchestre de la mascarade
démocratique iranienne, le Conseil des gardiens de la Constitution, un
organe de censure composé de six hommes religieux nommés
par le Guide suprême, et de six juristes, des clercs en général, élus par
le Parlement sur proposition du chef du pouvoir judiciaire qui est lui-même nommé par le
Guide suprême, Ali Khamenei ? Et au pays des mollahs, le treillis du tamis électoral est
très serré ! C’est ce qui a amené le juriste franco-iranien de l’Université
de Bordeaux, Mohammad Réza Vijeh, à considérer ce soi-disant équivalent du
Conseil constitutionnel français, comme disent naïvement certains experts, comme « un barrage à la démocratie » et « le plus important obstacle à la réalisation de l’Etat de droit » en Iran. Dans tous
les cas, il est non seulement tôt et hasardeux de spéculer sur le degré de
changement dans la République islamique, mais on peut d’ores et déjà dire que rien ne permet
d’avancer que l’espérance de vie du régime des mollahs est écourtée par ces
élections, encore moins que leur pouvoir est sérieusement affaibli.
Justement, il y a enfin et surtout, et
c’est là où le bât blesse, la politique
étrangère particulièrement nuisible suivie par l’Iran depuis 1979. Et sur
ce point, aucun élément ne permet
d’espérer quoi que ce soit. Le changement, ce n’est ni pour maintenant, ni
pour demain, ni pour après-demain. Je l’ai dit, le répète, persiste et
signe : les peuples du Moyen-Orient se demandent que fera l’Iran de l’afflux de capitaux après la levée des
sanctions occidentales et la ruée vers l’or noir des cupides occidentaux ?
Développement intérieur ou amplification
des actions extérieures, l’un n’empêchant pas l’autre, bien entendu ? Ces
peuples sont d’autant plus perplexes de nos jours qu’ils se demandent aussi, comment
les pays occidentaux ont pu agir avec autant de complaisance sur ce
dossier et jusqu’où ira la naïveté
occidentale au sujet de la République islamique d’Iran ? Qui croit qu’il y
a une quelconque exagération dans ce questionnement, doit se mettre illico
presto à la lecture de deux rapports fort intéressants rendus publics à l’été
2015.
Le premier rapport concerne les Country reports on Terrorism 2014, les rapports nationaux américains sur le
terrorisme dans le monde, que le Secrétaire
d’Etat américain a l’obligation de remettre au Congrès avant le 30 avril de
chaque année. Dans sa dernière version, qui fait 389 pages, on apprend sans
surprise que l’Iran (depuis 1984),
comme la Syrie (depuis 1979), sont
les Etats « sponsors du terrorisme » dans le monde, et que le Hezbollah libanais figure sur la liste
américaine des « organisations terroristes » (depuis 1997), comme
Daech (multinationale, syro-irakienne), le Front al-Nosra (syrien), le PKK
(turco-syro-irano-kurde), le Hamas (palestinien), le FPLP (palestinien), Boko Haram (nigérienne),
al-Qaeda (multinationale arabe), l’ETA (basque) et des dizaines d’autres. On
apprend précisément que « l’Iran continue à parrainer des groupes
terroristes dans le monde entier... incluant le Hezbollah, des groupes
chiites irakiens, le Hamas (...) L'Iran a continué de fournir au Hezbollah un
entrainement, des armes et des explosifs, ainsi qu’une aide politique,
diplomatique, monétaire et organisationnelle (...) Depuis la fin du
conflit israélo-hezbollahi de 2006, l'Iran a également aidé à réarmer le
Hezbollah libanais, en violation directe de la résolution 1701 ». Maintenant
que les Occidentaux donnent à l’Iran plus de moyens, la question est de savoir à
quoi et à qui servira cette manne financière ? On apprend par ailleurs que
« l’Iran,
le Hezbollah et d'autres milices chiites, ont continué à fournir un soutien au
régime d’Assad, de façon spectaculaire, renforçant ses capacités, prolongeant
la guerre civile en Syrie, aggravant la situation des droits de l'homme et la
crise des réfugiés. » Alors, si plus de moyens, humains et
financiers, sont affectés par l'Iran à la Syrie, pour sauver la tyrannie de Bachar
el-Assad, on peut s’attendre en toute logique à deux conséquences certaines
: le renforcement de la propagande de Daech et davantage de réfugiés syriens
sur les routes de l’exode. Dans ces conditions, les pays occidentaux vont droit
dans le mur ! Continuons notre lecture. « Le Hezbollah, avec un
soutien considérable de l'Iran, reste le groupe terroriste le plus important et
le plus efficace au Liban, bénéficiant d’un soutien populaire parmi les
Chiites libanais (massif et sans réserve) et certains Chrétiens (des partisans de Sleimane Frangié et de Michel Aoun, les présidentiables en toc de Saad
Hariri et de Samir Geagea !). Le Hezbollah a continué à fonctionner comme une
milice armée au-delà du contrôle de l'Etat et comme un acteur politique
puissant qui peut entraver ou renverser le gouvernement comme il l'entend. Le gouvernement n'a pas été capable de
prendre des mesures importantes pour désarmer le Hezbollah ou éliminer ses
refuges au Liban. » C’est ce qui a poussé l’Arabie saoudite a arrêté
un programme d’aide militaire au Liban de 4 milliards de dollars il y a deux
semaines et à récupérer l’arsenal prévu par la France. Quand on sait que l’Iran et le Hezb bloquent l’élection présidentielle
au Liban depuis deux ans, afin de laisser la milice chiite libanaise se
consacrer à son enlisement dans la guerre civile syrienne et de garder la
« carte présidentielle » pour les jours difficiles, que peut-on espérer à l’avenir quand le
géant chiite disposera de plus de moyens ? Pas grand-chose de positif. D’ores
et déjà, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a
sous-entendu il y a quelques jours à Berlin, que le blocage présidentiel
libanais est fait pour durer. Avis.
Le second rapport concerne « l’assistance iranienne aux groupes armées au Moyen-Orient ». Il a été établi par le Congressional Research Service,
le groupe de réflexion du Congrès américain, qui fournit depuis plus de cent
ans, aux membres de la Chambre et du Sénat américains, les éléments nécessaires
à la prise de décisions. Dans ce rapport qui ne fait que 6 pages, ouf, on
apprend sans surprise que l’Iran finance des groupes armés dans la plupart des
pays arabes. Pour le Liban par exemple, malgré ses grandes difficultés
économiques à l’époque des sanctions, selon les données 2010 du Département
américain de la Défense, la République islamique chiite d’Iran envoyait chaque
année entre 100 et 200 millions $ au
Hezbollah libanais. Cette somme a sans doute considérablement augmenté
depuis l’intervention et l’enlisement du "parti de Dieu" dans la guerre civile
syrienne, à partir de l’année 2012 (le Hezb aurait perdu pas loin de 1 000
combattants en Syrie, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’engagement de la
milice chiite libanaise). Par ailleurs, l’Iran dispatche près de 60 millions $
aux milices chiites et pro-iraniennes en Irak, en Syrie, au Yémen et en
Palestine/Gaza.
Mais c’est évidemment la Syrie qui coute le plus cher à l’Iran. Tout le monde sait que sans le soutien financier iranien, plus que militaire, le régime d’Assad serait tombé. La perfusion financière du régime de Bachar el-Assad assure à l’homme malade du monde arabe, jusqu’à 15-20 milliards de dollars par an selon le rapport du Congrès américain. Cette info est corroborée par les déclarations du porte-parole de l’envoyé spéciale de l’ONU en Syrie, Staffan de Mistura, en juin dernier. « L'envoyé spécial a estimé que l'Iran dépense 6 milliards de dollars annuellement pour soutenir le régime d'Assad en Syrie ». Mais, ne croyez surtout pas que les Iraniens jettent leur argent par les fenêtres. Ils exigent à ce qu’il parait, des garanties foncières et immobilières. On apprend aussi au fil des pages que l’Iran aurait dépensé 1 milliard $ en aides militaires en Irak durant la 2e moitié de l’année 2014 et que les miliciens pro-iraniens qui se battent en Syrie sont payés entre 500 et 1 000 $/mois (il y aurait par exemple entre 5 000 et 10 000 combattants chiites irakiens en Syrie et plusieurs milliers de coreligionnaires libanais).
Mais c’est évidemment la Syrie qui coute le plus cher à l’Iran. Tout le monde sait que sans le soutien financier iranien, plus que militaire, le régime d’Assad serait tombé. La perfusion financière du régime de Bachar el-Assad assure à l’homme malade du monde arabe, jusqu’à 15-20 milliards de dollars par an selon le rapport du Congrès américain. Cette info est corroborée par les déclarations du porte-parole de l’envoyé spéciale de l’ONU en Syrie, Staffan de Mistura, en juin dernier. « L'envoyé spécial a estimé que l'Iran dépense 6 milliards de dollars annuellement pour soutenir le régime d'Assad en Syrie ». Mais, ne croyez surtout pas que les Iraniens jettent leur argent par les fenêtres. Ils exigent à ce qu’il parait, des garanties foncières et immobilières. On apprend aussi au fil des pages que l’Iran aurait dépensé 1 milliard $ en aides militaires en Irak durant la 2e moitié de l’année 2014 et que les miliciens pro-iraniens qui se battent en Syrie sont payés entre 500 et 1 000 $/mois (il y aurait par exemple entre 5 000 et 10 000 combattants chiites irakiens en Syrie et plusieurs milliers de coreligionnaires libanais).
"Tonnerre du Nord", le prélude d'une intervention terrestre en Syrie ? Captures d'écran d'Al-Araby Television Network |
Pire encore, non seulement aucun élément ne permet d’espérer une diminution de la capacité de nuisance du régime des mollahs dans le monde arabe, mais la situation risque fort bien de s’aggraver. Les câbles de Wikileaks, rédigés entre 2008 et 2010, ont permis de bien évaluer la défiance saoudienne à l’égard de son voisin. Pour l’ancien prince héritier Muqrin, fils d’Ibn Saoud, « le croissant chiite (Iran-Irak-Syrie-Liban) est en passe de devenir une pleine lune (incluant Yémen-Bahreïn-Koweït-Arabie saoudite) ». Depuis, les monarques saoudiens ne cessent de prendre des mesures pour gripper la mécanique iranienne. Les mesures d’envergure comprennent l’intervention militaire directe au Yémen et la préparation d’une vaste opération terrestre en Syrie. Les grandes manœuvres militaires qui se déroulent actuellement dans le nord du royaume, « Tonnerre du Nord », avec la participation d’une vingtaine de pays arabo-musulmans et plus de 150 000 soldats, en disent long. Idem, pour l’ouverture des vannes du royaume, afin de maintenir le prix du pétrole bas et gâcher le retour de l’Iran sur le marché international. Les mesures symboliques comprennent la publication officielle récente d’un document qui regroupe tous les actes terroristes commandités et exécutés par la République islamique d’Iran depuis 1979, et le classement du Hezbollah comme une organisation terroriste par le Conseil de Coopération du Golfe. Cette décision a poussé le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a considéré que « Ceux qui qualifient le Hezbollah de terroriste nuisent... à la sécurité et à la stabilité du Liban (...) Nous sommes fiers du Hezbollah qui est au premier plan de la résistance contre le régime sioniste (Israël) et champion de la lutte contre le terrorisme dans la région ». Juste pour rappel, « la résistance contre le régime sioniste » passe de nos jours par Damas et Alep, tandis que « la lutte contre le terrorisme » a conduit cinq membres du Hezbollah à comparaitre devant le Tribunal Spécial pour le Liban à La Haye pour l’assassinat de l’ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, un certain 14 février 2005. De la schizophrénie au sarcasme, il n'y a qu'un pas, que je franchis toujours avec beaucoup d'allégresse.
Certes, il revient au peuple iranien de décider
de son avenir et du mode de gouvernance qui lui sied. Il revient aussi aux
Iraniens de jouir pleinement de la levée des sanctions, qui étaient imposées à
leur pays à cause de la politique désastreuse de leurs dirigeants. Il revient
également aux Occidentaux de profiter de cette manne financière inespérée en
cette période de vaches maigres. Il n’empêche que les pays arabes en général, et le Liban en particulier, attendent trois
« actions concrètes » de la part de cette grande puissance
régionale, qui prouveraient que les termes « réformateur » et
« modéré » ne sont pas aussi abusifs que naïfs, que le nouvel Iran a
réellement changé et que tous les peuples du Moyen-Orient, iranien compris, peuvent enfin espérer un
meilleur avenir.
1.
Mettre fin à la volonté d’exporter la révolution islamique chiite aux quatre coins du
monde islamique, Liban compris, et
d’abandonner le concept idéologique chiite de « wilayat el fakih » qui
lui est lié, où le Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali
Khamenei actuellement, décide des grandes questions géopolitiques concernant
l’ensemble des populations chiites du monde.
2.
Arrêter l’ingérence nuisible de la puissance persane dans les affaires arabes, au Liban, en Irak,
au Yémen, au Bahrein et dans les Territoires palestiniens. Le grand test était,
reste et demeura la Syrie.
3.
Cesser le soutien de la milice chiite libanaise, le Hezbollah.
Rappelons dans ce sillage que parmi les
grands adeptes de l’idéologie chiite iranienne de wilayat el-fakih et de la révolution islamique, et qui ne s’en sont
jamais cachés, figurent le défunt leader chiite saoudien, cheikh Nimr Baqr al-Nimr, et les leaders actuels du Hezbollah libanais. « Quand nous prenons une
décision ou nous marchons sur n’importe quel sentier ou nous entrons dans
une cour, un domaine ou un combat, nous ne nous remettons ni à nos esprits, ni à
nos sciences, ni, ni et ni, nous nous
retournons vers nos juristes-théologiens (fakih), nos ainés, nos autorités, tel est
notre engagement à l’égard de l’imam (Khomeini) et après lui, à l’imam Ali Khamenei (Guide suprême de la République islamique d'Iran, wali el-fakih). » C’était sayyed Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah,
en 2013. Dans ce cadre, il faut rappeler aussi les graves déclarations du
numéro deux du parti chiite libanais, cheikh Naïm Qassem, il y a seulement deux mois, où il a encore affirmé, ce
que le Hezbollah dit et répète depuis sa création par l’Iran en 1982, et ce que lui-même écrit dans un livre édité et mis à jour près d'une dizaine de fois depuis : « En
tant qu’islamiste (chiite), il m’est impossible de ne pas demander
l’établissement d’un Etat islamique (au Liban) parce que cela fait partie
du projet auquel nous croyons aux niveaux idéologique et culturelle... Nous
croyons que l’application de l’islam (chiite) est la solution aux problèmes de
l’homme de tous temps et en tous lieux ». Et
face à cela, tout ce que les leaders du 14-Mars, Saad Hariri et Samir Geagea, ont trouvé de
mieux ces derniers temps, c’est de voir dans deux leaders du 8-Mars, Sleimane
Frangié et Michel Aoun, qui considèrent le leader du Hezbollah, comme le « souverain
de tous » et le « chef exceptionnel », avec qui « ils ne
forment qu’une seule personne », les candidats les plus aptes pour briguer
la magistrature suprême de la République libanaise. Le comble de l'absurde !
A défaut d’actions concrètes, loin de
l’appât des contrats économiques et de quelques timides avancées sociales, les Occidentaux se fourrent le doigt dans
l’œil. L’embellie est en trompe-l’œil. L’éclaircie ne durera pas. Le Moyen-Orient continuera à s’embraser,
avec toutes les conséquences qui en découleront pour toute la région, l'Iran compris, l’Europe et le reste du
monde, tant que la République islamique
d’Iran ne foutra pas la paix aux peuples de la région.
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