mercredi 23 mars 2016

Attaques terroristes (de Bruxelles et de Paris) : faut-il sacrifier les libertés et les valeurs sur l’autel du tout-sécuritaire ? (Art.345)


Le terrorisme a encore frappé, à Bruxelles cette fois, avec la même lâcheté qui s’est exprimée à Paris, Istanbul et Beyrouth auparavant. 31 personnes tuées à l’aveugle par des kamikazes, quatre jours seulement après l’arrestation de Salah Abdeslam. Le lien est évident, les objectifs sont clairs.

Et pourtant, il ne s’agit nullement de venger ce dernier ou d’une revanche après son arrestation, comme le laissent entendre certains médias. Tout le monde sait, Daech en premier, que Salah Abedslam s’est révélé n’être qu’un terroriste tocard, depuis le 13 novembre 2015. Son nom ne figure pas dans le panthéon terroriste. « Son équipe » a totalement foiré l’attaque du Stade de France, heureusement. Trois kamikazes se sont fait explosés, ils n’ont tué qu’un seul passant, de trop, mais quand on pense qu’il y avait des dizaines de milliers de personnes qui assistaient au match France-Allemagne ce soir-là, le bilan aurait pu être très lourd. Lui-même aurait foiré « sa mission » dans le 18e arrondissement, annoncée par Daech en grande pompe dans son communiqué de revendication des attaques terroristes de Paris. Effrayé, il a abandonné sa ceinture explosive à Montrouge sans même être fichu de se suicider. En venant le chercher pour le ramener en Belgique, ses amis terroristes ont trouvé une loque. Tellement abruti, il est resté dans son quartier de Molenbeek, à défaut d'une planque de secours. A son arrestation vendredi dernier, il n’a montré aucune résistance ou presque. Il aurait couru vers les policiers, en espérant qu’un de ces derniers l’abattrait. Pour sauver sa peau, on imagine qu’un misérable comme lui a dû promettre à ses collègues de Raqqa, d’organiser un attentat terroriste de rattrapage. Raté encore. Les renseignements franco-belges ne lui ont pas laissé le temps. Au final, ce terroriste minable peut s’estimer heureux d’avoir été arrêté par la police belge et d’être jugé par la justice française. S’ils l’avaient eu entre leurs mains, les psychopathes de Daech l’auraient défenestré.

En menant les attaques odieuses de Bruxelles, l’organisation terroriste autoproclamée « Etat islamique » (EI) a voulu démontrer qu’en dépit des mesures sécuritaires prises par les pays occidentaux et des opérations de police en cours depuis plusieurs mois, qui ont conduit à la mise hors d’état de nuire de plusieurs terroristes de ses rangs, elle a les moyens humains et logistiques de frapper au cœur de la capitale de l’Union européenne. Par ailleurs, Daech cherche à remonter le moral de ses djihadistes, écrasés par la double puissance de feu arabo-occidentale et russe en Syrie, ainsi que par les préparatifs d’une offensive terrestre pour l’anéantir.

Au lendemain de ce drame, il faut tacher de se souvenir de trois évidences. Primo, il faut être particulièrement naïf pour penser que quelques arrestations par-ci par-là, mettraient les pays occidentaux à l’abri des menaces de l’EI, quand on sait que 29 000 djihadistes étrangers combattent en Syrie et en Irak dans les rangs des groupes islamistes, dont 2 400 de Russie, 2 100 de Turquie, 1 700 de France, 760 d'Allemagne, 760 du Royaume Uni et 470 de Belgique. Secundo, il est évident que lorsqu’on part en Syrie, avec autant de haine déclarée ou sous-jacente contre l’Occident, on ne revient pas apaisé, mais fou furieux. Le gavage idéologique sur place, la cruauté de la vie quotidienne sous Daech, la barbarie de la tyrannie des Assad, la violence des alliés du régime syrien (l’Iran et le Hezbollah), l’imposture des frappes russes (dont l’objectif premier est de sauver le régime), les dommages collatéraux des frappes arabo-occidentales, l’enlisement de la guerre civile, enfin, tout ce qui se passe en Syrie fait en sorte qu’on ne quitte pas l’Europe djihadiste, pour y revenir bouddhiste ! Près de 500 d’entre eux sont déjà de retour dans l’Hexagone, soit dit au passage. Tertio, il n’y a rien de plus aisé que de commettre des actes terroristes avec l’organisation urbaine et le mode de vie occidentaux. Il est même impossible de les prévenir complètement. Comment peut-on protéger le métro de Paris par exemple, avec ses 302 stations et ses milliers d’entrées, où passent 5,23 millions de voyageurs par jour, soit 1,909 milliard de personnes par an ? Idem pour le réseau de bus parisiens et franciliens qui comporte près de 12 000 arrêts sur 353 lignes, avec une fréquentation de 3,6 millions par jour, soit 1,314 milliard de personnes par an ! Et que faire pour sécuriser les centres commerciaux, les zones touristiques, les cafés, les restaurants, les marchés, les cinémas, les musées, les théâtres, les salles de concert, les expositions, les écoles, les universités, les lieux de cultes, les manifestations sportives, les fêtes nationales et religieuses, les gares, les ports, les aéroports et les rues ? Rajoutez à cela, qu’on sait aujourd’hui, notamment après les attaques du 13-Novembre, que la fabrication d'explosifs, même si elle reste compliquer, est faisable à partir d’éléments qu’on trouve facilement en Europe.

Il faut donc se rendre à l’évidence, le monde occidental se trouve dans une phase délicate qui durera un moment. Le terrorisme sévit, d’une manière sporadique, le risque zéro n’existera pas. Alors, que faire pendant cette période de fortes turbulences ? Je vois deux grandes options.

La première option consistera à changer radicalement les politiques suivies dans tous les domaines. Un vaste chantier qui concernera aussi bien la libre circulation des personnes et le contrôle des frontières, que la protection des données personnelles, la liberté d’expression,l a protection de la vie privée, l’intégration des immigrés, l’accueil des migrants, la tolérance religieuse, la pratique de l’islam, les perquisitions, les fouilles, les contrôles au faciès, les flux financiers, la lutte contre la fraude, j’en passe et des meilleures. C’est la voie à suivre réclamée par beaucoup de monde de tous les bords politiques, les partis d’extrêmes droites en tête. Hier, quelques heures seulement après ce funeste 22-Mars, Manuel Valls, le Premier ministre français, a sommé le groupe socialiste et les écolos du Parlement européen, à « prendre leur responsabilité », faisant allusion au vote du texte relatif au PNR (passenger name record), le fichier européen qui doit centraliser diverses informations sur les passagers aériens en Europe. Le projet de loi traine depuis quelques semaines à Bruxelles. Il faudra sans doute le faire (c'est prévu pour le mois d'avril), sauf que tous les terroristes du 13-Novembre, ont circulé à pied et non par avion, en suivant la route des migrants, et rien n’indique pour l’instant que ceux du 22-Mars ont fait autrement. Idem, à l’Assemblée nationale en France. Là, c’est Bruno Le Roux, le chef du groupe socialiste qui s’est montré impatient : « Attentats terroristes et protection de notre pays, la droite sénatoriale qui bloque la révision constitutionnelle est irresponsable ». Du populisme à 5 centimes ! Du côté des Républicains, on ne fait guère mieux. C’est le jeune loup, Laurent Wauquiez, qui charge et martèle son idée fixe : « l’internement des individus fichés S et de ceux qui reviennent du jihad ». La palme d’or du grand n’importe quoi revient Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate présidentielle : « Combien de temps Salah Abdeslam restera-t-il vraiment en prison, monsieur le Premier ministre ? » En parallèle, le Sénat insiste pour réserver la déchéance de la nationalité française aux binationaux, les « terroristes de souche française » ne seraient plus concernés.

Le durcissement général est aussi demandée à cor et à cri par certains ressortissants d’Orient, ayant ou

pas la nationalité française. Certes, ils sont en général de confession chrétienne, mais on y trouve aussi des athées, comme Waleed al-Husseini. Cet activiste palestinien notoire, frappé d’anathème par les siens après l’apostasie de sa religion musulmane, réfugié politique en France depuis quelques années, coqueluche de Libération et du Monde, a appelé les musulmans du pays, tenez-vous bien, « à prouver qu’ils sont intégrables ». Joli programme !

Non seulement un tel virage coûtera très cher aux économies occidentales, mais en plus, s’il est mal maitrisé, sachant qu'il peut déraper à tout moment, comme on l’a vu précédemment, revient tout simplement à aider les terroristes à atteindre leurs objectifs avec peu de moyens : chambouler les modes de vie, terroriser la population, paralyser les sociétés et infléchir la politique des Etats occidentaux. En plus, cette radicalisation créera, comme le souhaitent vivement les islamistes, des clivages dans les sociétés occidentales, et conduira inévitablement à la stigmatisation des populations musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de « l’Etat islamique » au caractère « croisé » de ses cibles européennes, dans les attaques de Bruxelles comme dans celles de Paris, Daech veut absolument placer la confrontation actuelle dans une perspective religieuse d’un conflit islamo-chrétien, condition nécessaire pour marginaliser les ressortissants européens de confession musulmane, avant de les embrigader et en faire des « djihadistes sans frontières ».

Selon la deuxième option, on intègre le risque terroriste dans la vie quotidienne, en prenant des mesures efficaces mais raisonnables pour y faire face, sans panique et sans hystérie. Plus facile à dire qu’à faire diraient certains, mais n’oublions pas qu’on risque plus de mourir d'accidents de la route (1,23 million de morts par an dans le monde, 25-50 millions de blessés ; soit plusieurs dizaines de millions de morts en quelques décennies) que d’attaques terroristes islamistes (plus de 11 200 morts dans le monde, en 37 ans, entre 1979-2016 ; quelques centaines seulement en Europe occidentale !). Même si la comparaison peut paraître déplacée, cela reviendra à appliquer en quelque sorte, le modèle de gestion des vols dans les grands magasins : pour les limiter, on n’installe pas un vigile devant chaque stand et on ne fouille pas tous les clients, on met des caméras de surveillance et des antivols !

Nous devons lutter d’une manière impitoyable contre les terroristes islamistes, pour mettre toutes les sociétés de ce monde à l’abri de leur barbarie. Mais pas à n’importe quel prix. Il faut constamment réfléchir à l’efficacité des mesures prises, à leurs coûts et à leurs risques. Il y va essentiellement de la sauvegarde des valeurs fondamentales qui caractérisent la civilisation occidentale en général, européenne en particulier, auxquelles s’attaquent les djihadistes de Daech. Il y va également de notre capacité de résilience, mais aussi de l’efficacité de cette lutte. Les lois liberticides prises par les néocons américains après le 11-Septembre (comme la détention sans inculpation et sans limite dans le temps des personnes soupçonnées de projet terroriste et l’accès aux données informatiques sans autorisation préalable et sans en informer les utilisateurs), la stupide invasion de l’Irak par George W. Bush (à l’origine directe de la création de « l’Etat islamique en Irak et au Levant »), l’ouverture de Guantanamo (d’où vient la tenue orange des prisonniers de Daech !), les révélations de Snowden (sur les programmes de surveillance de masse américains et britanniques), les déboires de François Hollande après le 13-Novembre (et les mesures contestées: état d’urgence, loi relative au renseignement, déchéance de la nationalité et révision de la Constitution), l’hébétement devant l’imposture de Vladimir Poutine en Syrie (en bloquant 4 résolutions du Conseil de sécurité, il a permis au régime syrien de survivre et à Daech de se développer et de s’épanouir), la complaisance de l’Occident à l’égard de la République islamique d’Iran (qui nourrit la rancune sunnite contre l’hégémonie chiite-alaouite en Irak, en Syrie et au Liban), sont autant d’exemples qui prouvent qu’on ne gouverne pas sous l’emprise de l’émotion, du populisme et des projections à courte vue.

Comme l’a bien résumé le magistrat français Denis Salas, dans une interview accordée à Amnesty International quelques mois après le 7-Janvier, « le paradoxe est que nous acceptons ces atteintes graves (aux libertés fondamentales), qui seront sans doute irréversibles, alors que nous ne connaîtrons jamais vraiment leur efficacité ». C’est sans doute le bras de fer engagé entre le FBI et Apple qui permet le mieux de comprendre le danger du « tout sécuritaire ».

Tout commence après les attaques terroristes de San Bernardino aux Etats-Unis, le 2 décembre 2015, qui ont fait 14 morts. Le FBI demande à Apple de lui fournir un logiciel afin de déverrouiller l’iPhone d’un des terroristes. Jusqu’à la version iOS 8, disponible depuis septembre 2014, les barbouzes américains se débrouillaient bien. Mais depuis, ils se cassent les dents. Après plusieurs tentatives de pénétrer dans l'appareil, les données de l’iPhone sont effacées. Le fabricant américain refuse. Rien que sur le plan technique, un tel travail nécessite l’intervention d’une dizaine d’ingénieurs d’Apple pendant quatre semaines. Un juge lui ordonne d’obtempérer. Comme Apple se défend fermement, la stratégie du FBI a consisté à porter l’affaire devant le public. Ainsi, le gouvernement américain profite de l’émotion et de la frayeur des attaques terroristes, pour franchir un nouveau pas dans la violation des libertés individuelles aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde, où 231 millions d'iPhone ont été livrés au cours de l'année 2015.

Apple persiste et signe et s’explique. Une telle démarche créerait un précédent, en permettant aux autorités administratives, policières ou judiciaires, de faire le même genre de demande pour d’autres raisons, comme la fraude fiscale, les crimes ou l’adultère par exemple, mais aussi, aux régimes totalitaires dans le monde, en Iran comme en Chine, de jeter un coup d’œil aux contenus des iPhone des opposants. Pire encore, si l’accès aux données privées est rendu possible grâce à un logiciel et sans le consentement des personnes, rien ne pourrait alors empêcher des réseaux terroristes et mafieux d’exploiter cette faille de sécurité, qui se retournerait du coup contre la société et les citoyens. Dans son refus catégorique de briser le verrouillage des iPhone, Tim Cook, le successeur de Steve Jobs, a reçu le soutien des patrons de Google, Facebook, Twitter, WhatsApp, Mozilla, et même d’Amnesty International, à l’exception de l’ancien patron de Microsoft, Bill Gates, qui a été pendant longtemps, l’ennemi historique d’Apple. Quant aux candidats à la présidence des Etats-Unis, leurs positions dans cette affaire sont claires. Du côté des Démocrates, Hillary Clinton comprend les deux camps et Berni Sanders ne comprend aucun des deux. Du côté des Républicains, Donald Trump a appelé au boycott d’Apple. Eh bien, ça veut tout dire !

Pour conclure, Apple cite l’implacable constat d’un juge de la Cour suprême des Etats-Unis, Louis Brandeis : « Les plus grands dangers pour la liberté résident dans les intrusions insidieuses d’hommes zélés, bien intentionnés, sans (chercher à) comprendre. » La citation date de 1928. Elle résonne aujourd’hui comme un avertissement aux sociétés occidentales.