Le terrorisme a encore frappé, à Bruxelles cette fois, avec la même lâcheté qui s’est exprimée à Paris, Istanbul et Beyrouth auparavant. 31 personnes tuées à l’aveugle par des kamikazes, quatre jours seulement après l’arrestation de Salah Abdeslam. Le
lien est évident, les objectifs sont clairs.
Et pourtant, il ne s’agit nullement de
venger ce dernier ou d’une revanche après son arrestation, comme le laissent
entendre certains médias. Tout le monde sait, Daech en premier, que Salah Abedslam
s’est révélé n’être qu’un terroriste
tocard, depuis le 13 novembre 2015. Son nom ne figure pas dans le panthéon
terroriste. « Son équipe » a totalement foiré l’attaque du Stade de
France, heureusement. Trois kamikazes se sont fait explosés, ils n’ont tué qu’un
seul passant, de trop, mais quand on pense qu’il y avait des dizaines de milliers
de personnes qui assistaient au match France-Allemagne ce soir-là, le bilan aurait pu être
très lourd. Lui-même aurait foiré « sa mission » dans le 18e arrondissement, annoncée par Daech en grande pompe dans son communiqué de revendication
des attaques terroristes de Paris. Effrayé, il a abandonné sa ceinture
explosive à Montrouge sans même être fichu de se suicider. En venant le
chercher pour le ramener en Belgique, ses amis terroristes ont trouvé une
loque. Tellement abruti, il est resté dans son quartier de Molenbeek, à défaut d'une
planque de secours. A son arrestation vendredi dernier, il n’a montré aucune
résistance ou presque. Il aurait couru vers les policiers, en espérant qu’un de
ces derniers l’abattrait. Pour sauver sa peau, on imagine qu’un misérable comme
lui a dû promettre à ses collègues de Raqqa, d’organiser un attentat terroriste
de rattrapage. Raté encore. Les renseignements franco-belges ne lui ont pas
laissé le temps. Au final, ce terroriste minable peut s’estimer heureux d’avoir
été arrêté par la police belge et d’être jugé par la justice française. S’ils l’avaient eu entre leurs mains, les
psychopathes de Daech l’auraient défenestré.
En menant les attaques odieuses de
Bruxelles, l’organisation terroriste autoproclamée « Etat islamique » (EI)
a voulu démontrer qu’en dépit des
mesures sécuritaires prises par les pays occidentaux et des opérations de
police en cours depuis plusieurs mois, qui ont conduit à la mise hors d’état de
nuire de plusieurs terroristes de ses rangs,
elle a les moyens humains et logistiques de frapper au cœur de la capitale
de l’Union européenne. Par ailleurs, Daech
cherche à remonter le moral de ses djihadistes, écrasés par la double puissance
de feu arabo-occidentale et russe en Syrie, ainsi que par les préparatifs d’une offensive
terrestre pour l’anéantir.
Au lendemain de ce drame, il faut tacher de
se souvenir de trois évidences.
Primo, il faut être particulièrement naïf pour penser que quelques arrestations
par-ci par-là, mettraient les pays occidentaux à l’abri des menaces de l’EI,
quand on sait que 29 000 djihadistes étrangers combattent en Syrie et en Irak dans les rangs des groupes islamistes, dont 2 400 de Russie, 2 100 de Turquie, 1 700 de France, 760 d'Allemagne, 760 du Royaume Uni et 470 de Belgique. Secundo, il est
évident que lorsqu’on part en Syrie, avec autant de haine déclarée ou
sous-jacente contre l’Occident, on ne revient pas apaisé, mais fou furieux. Le
gavage idéologique sur place, la cruauté de la vie quotidienne sous Daech, la
barbarie de la tyrannie des Assad, la violence des alliés du régime syrien
(l’Iran et le Hezbollah), l’imposture des frappes russes (dont l’objectif
premier est de sauver le régime), les dommages collatéraux des frappes arabo-occidentales,
l’enlisement de la guerre civile, enfin, tout ce qui se passe en Syrie fait en
sorte qu’on ne quitte pas l’Europe djihadiste,
pour y revenir bouddhiste ! Près de 500 d’entre eux sont déjà de
retour dans l’Hexagone, soit dit au passage. Tertio, il n’y a rien de plus aisé que de commettre des actes terroristes avec l’organisation
urbaine et le mode de vie occidentaux. Il
est même impossible de les prévenir complètement. Comment peut-on protéger
le métro de Paris par exemple, avec
ses 302 stations et ses milliers d’entrées, où passent 5,23 millions de voyageurs par jour, soit 1,909 milliard de
personnes par an ? Idem pour le réseau de bus parisiens et franciliens qui
comporte près de 12 000 arrêts sur 353 lignes, avec une fréquentation de
3,6 millions par jour, soit 1,314 milliard de personnes par an ! Et que
faire pour sécuriser les centres commerciaux, les zones touristiques, les cafés, les
restaurants, les marchés, les cinémas, les musées, les théâtres, les salles de
concert, les expositions, les écoles, les universités, les lieux de cultes, les
manifestations sportives, les fêtes nationales et religieuses, les gares, les
ports, les aéroports et les rues ? Rajoutez à cela, qu’on
sait aujourd’hui, notamment après les attaques du 13-Novembre, que la fabrication d'explosifs, même si elle reste compliquer, est faisable à partir d’éléments qu’on
trouve facilement en Europe.
Il faut donc se rendre à l’évidence, le monde occidental se trouve dans une
phase délicate qui durera un moment. Le terrorisme sévit, d’une manière
sporadique, le risque zéro n’existera pas. Alors, que faire pendant cette période de fortes turbulences ?
Je vois deux grandes options.
La première option consistera à changer radicalement les politiques suivies dans tous les domaines. Un
vaste chantier qui concernera aussi bien la libre circulation des personnes et le
contrôle des frontières, que la protection des données personnelles, la liberté d’expression,l a protection de
la vie privée, l’intégration
des immigrés, l’accueil des migrants, la tolérance religieuse, la pratique de l’islam, les
perquisitions, les fouilles, les contrôles au faciès, les flux financiers, la lutte contre la
fraude, j’en passe et des meilleures. C’est
la voie à suivre réclamée par beaucoup de monde de tous les bords politiques,
les partis d’extrêmes droites en tête. Hier, quelques heures seulement après ce
funeste 22-Mars, Manuel Valls, le
Premier ministre français, a sommé le groupe socialiste et les écolos du
Parlement européen, à « prendre leur
responsabilité », faisant allusion au vote du texte relatif au PNR
(passenger name record), le fichier européen qui doit centraliser diverses
informations sur les passagers aériens en Europe. Le projet de loi traine depuis quelques
semaines à Bruxelles. Il faudra sans doute le faire (c'est prévu pour le mois d'avril), sauf que tous les
terroristes du 13-Novembre, ont circulé à pied et non par avion, en suivant la
route des migrants, et rien n’indique pour l’instant que ceux du 22-Mars ont
fait autrement. Idem, à l’Assemblée nationale en France. Là, c’est Bruno Le Roux, le chef du groupe socialiste qui s’est montré impatient :
« Attentats terroristes et
protection de notre pays, la droite sénatoriale qui bloque la révision
constitutionnelle est irresponsable ». Du populisme à 5
centimes ! Du côté des Républicains, on ne fait guère mieux. C’est le
jeune loup, Laurent Wauquiez, qui
charge et martèle son idée fixe : « l’internement
des individus fichés S et de ceux qui reviennent du jihad ». La palme d’or
du grand n’importe quoi revient Nathalie
Kosciusko-Morizet, candidate présidentielle : « Combien de temps Salah Abdeslam restera-t-il vraiment en prison,
monsieur le Premier ministre ? » En parallèle, le Sénat insiste pour réserver la déchéance de la nationalité
française aux binationaux, les « terroristes de souche française » ne
seraient plus concernés.
Le durcissement général est aussi demandée à cor et à cri par certains ressortissants d’Orient, ayant ou
pas la nationalité française. Certes, ils sont en général de confession chrétienne, mais on y trouve aussi des athées, comme Waleed al-Husseini. Cet activiste palestinien notoire, frappé d’anathème par les siens après l’apostasie de sa religion musulmane, réfugié politique en France depuis quelques années, coqueluche de Libération et du Monde, a appelé les musulmans du pays, tenez-vous bien, « à prouver qu’ils sont intégrables ». Joli programme !
Le durcissement général est aussi demandée à cor et à cri par certains ressortissants d’Orient, ayant ou
pas la nationalité française. Certes, ils sont en général de confession chrétienne, mais on y trouve aussi des athées, comme Waleed al-Husseini. Cet activiste palestinien notoire, frappé d’anathème par les siens après l’apostasie de sa religion musulmane, réfugié politique en France depuis quelques années, coqueluche de Libération et du Monde, a appelé les musulmans du pays, tenez-vous bien, « à prouver qu’ils sont intégrables ». Joli programme !
Non seulement un tel virage coûtera très cher aux économies occidentales, mais en
plus, s’il est mal maitrisé, sachant qu'il peut déraper à tout moment, comme on l’a vu
précédemment, revient tout simplement à aider
les terroristes à atteindre leurs objectifs avec peu de moyens : chambouler
les modes de vie, terroriser la population, paralyser les sociétés et infléchir
la politique des Etats occidentaux. En plus, cette radicalisation créera, comme le souhaitent
vivement les islamistes, des clivages dans
les sociétés occidentales, et conduira inévitablement à la stigmatisation
des populations musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de
« l’Etat islamique » au caractère « croisé » de ses cibles
européennes, dans les attaques de Bruxelles comme dans celles de Paris, Daech veut absolument placer la confrontation actuelle dans une
perspective religieuse d’un conflit islamo-chrétien, condition nécessaire pour
marginaliser les ressortissants européens de confession musulmane, avant de
les embrigader et en faire des « djihadistes sans frontières ».
Selon
la deuxième option, on intègre le risque terroriste dans la vie quotidienne, en prenant des
mesures efficaces mais raisonnables pour y faire face, sans panique et sans
hystérie. Plus facile à dire qu’à faire diraient certains, mais n’oublions pas qu’on risque plus de mourir d'accidents de
la route (1,23 million de morts par an dans le monde, 25-50 millions de
blessés ; soit plusieurs dizaines de millions de morts en quelques
décennies) que d’attaques terroristes islamistes (plus de 11 200 morts
dans le monde, en 37 ans, entre 1979-2016 ; quelques centaines seulement en Europe occidentale !). Même si la comparaison peut paraître déplacée, cela reviendra à appliquer en quelque
sorte, le modèle de gestion des vols dans les grands magasins : pour
les limiter, on n’installe pas un vigile devant chaque stand et on ne fouille
pas tous les clients, on met des caméras de surveillance et des antivols !
Nous devons
lutter d’une manière impitoyable contre les terroristes islamistes, pour
mettre toutes les sociétés de ce monde à l’abri de leur barbarie. Mais pas à n’importe quel prix. Il faut
constamment réfléchir à l’efficacité des
mesures prises, à leurs coûts et à leurs risques. Il y va essentiellement de la sauvegarde des valeurs fondamentales qui
caractérisent la civilisation occidentale en général, européenne en
particulier, auxquelles s’attaquent les djihadistes de Daech. Il y va également
de notre capacité de résilience, mais aussi de l’efficacité de cette lutte. Les lois
liberticides prises par les néocons américains après le 11-Septembre (comme la
détention sans inculpation et sans limite dans le temps des personnes soupçonnées
de projet terroriste et l’accès aux données informatiques sans autorisation
préalable et sans en informer les utilisateurs), la stupide invasion de l’Irak par
George W. Bush (à l’origine directe de la création de « l’Etat islamique en Irak et au
Levant »), l’ouverture de Guantanamo (d’où vient la tenue orange des
prisonniers de Daech !), les révélations de Snowden (sur les programmes de
surveillance de masse américains et britanniques), les déboires de François
Hollande après le 13-Novembre (et les mesures contestées: état d’urgence, loi relative au renseignement, déchéance
de la nationalité et révision de la Constitution), l’hébétement
devant l’imposture de Vladimir Poutine en Syrie (en bloquant 4 résolutions du Conseil de
sécurité, il a permis au régime syrien de survivre et à Daech de se développer et de s’épanouir),
la complaisance de l’Occident à l’égard de la République islamique d’Iran (qui
nourrit la rancune sunnite contre l’hégémonie chiite-alaouite en Irak, en Syrie
et au Liban), sont autant d’exemples qui
prouvent qu’on ne gouverne pas sous l’emprise de l’émotion, du populisme et des
projections à courte vue.
Comme l’a bien résumé le magistrat français
Denis Salas, dans une interview accordée à Amnesty International quelques mois après le 7-Janvier, « le paradoxe est que
nous acceptons ces atteintes graves (aux libertés fondamentales), qui seront
sans doute irréversibles, alors que nous ne connaîtrons jamais vraiment leur
efficacité ». C’est sans doute le
bras de fer engagé entre le FBI et Apple qui permet le mieux de comprendre le
danger du « tout sécuritaire ».
Tout commence après les attaques terroristes de San
Bernardino aux Etats-Unis, le 2 décembre 2015, qui ont fait 14 morts. Le FBI demande à Apple de
lui fournir un logiciel afin de déverrouiller
l’iPhone d’un des terroristes. Jusqu’à la version iOS 8, disponible depuis
septembre 2014, les barbouzes américains se débrouillaient bien. Mais depuis, ils
se cassent les dents. Après plusieurs tentatives de pénétrer dans l'appareil, les données de l’iPhone
sont effacées. Le fabricant américain refuse. Rien que sur le plan technique, un tel
travail nécessite l’intervention d’une dizaine d’ingénieurs d’Apple pendant
quatre semaines. Un juge lui ordonne d’obtempérer. Comme Apple se défend
fermement, la stratégie du FBI a consisté à porter l’affaire devant le
public. Ainsi, le gouvernement américain profite de l’émotion et de
la frayeur des attaques terroristes, pour franchir un nouveau pas dans la
violation des libertés individuelles aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde, où 231
millions d'iPhone ont été livrés au cours de l'année 2015.
Apple persiste et signe et s’explique. Une telle démarche créerait un précédent,
en permettant aux autorités administratives, policières ou judiciaires, de
faire le même genre de demande pour d’autres raisons, comme la fraude
fiscale, les crimes ou l’adultère par exemple, mais aussi, aux régimes totalitaires dans le monde, en Iran comme en Chine, de jeter
un coup d’œil aux contenus des iPhone des opposants. Pire encore, si l’accès aux données privées est rendu possible
grâce à un logiciel et sans le consentement des personnes, rien ne pourrait
alors empêcher des réseaux terroristes et
mafieux d’exploiter cette faille de sécurité, qui se retournerait du coup
contre la société et les citoyens. Dans son refus catégorique de briser le verrouillage
des iPhone, Tim Cook, le successeur de Steve Jobs, a reçu le soutien des patrons
de Google, Facebook, Twitter, WhatsApp, Mozilla, et même d’Amnesty
International, à l’exception de l’ancien patron de Microsoft, Bill Gates, qui a
été pendant longtemps, l’ennemi historique d’Apple. Quant aux candidats à la
présidence des Etats-Unis, leurs positions dans cette affaire sont claires. Du côté des Démocrates, Hillary
Clinton comprend les deux camps et Berni Sanders ne comprend aucun des deux. Du
côté des Républicains, Donald Trump a
appelé au boycott d’Apple. Eh bien, ça veut tout dire !
Pour conclure, Apple cite l’implacable
constat d’un juge de la Cour suprême des Etats-Unis, Louis Brandeis : « Les plus grands dangers pour la
liberté résident dans les intrusions insidieuses d’hommes zélés, bien intentionnés, sans (chercher à) comprendre. » La citation date de 1928. Elle résonne aujourd’hui comme un avertissement aux sociétés occidentales.