vendredi 3 mars 2017

Ô François Fillon, pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée, il ne suffit pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner une primaire, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds et de rentrer ! (Art.419)


Et le prévisible devint inéluctable. C'est pratiquement sûr, le 15 mars, François Fillon sera mis en examen dans le Penelope Gate. Ça sera un mercredi. Il ne fallait pas être devin pour le prédire. Ceci pour au moins deux raisons. Au fur et à mesure que le dossier judiciaire de François Fillon s'épaississait, depuis les 25 janvier et 1er février, des mercredis, où Le Canard Enchainé a révélé les affaires Fillon, le candidat de la droite et du centre n'a cessé d'aggraver son cas, à chaque fois qu'il s'est exprimé. Et pourtant, il devait bien savoir, que si la parole est d'argent, le silence est d'or.

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Ce qui se passe depuis le 1er mars, résume bien toute la tragédie du favori d'un laps de temps de la présidentielle en France. Ce mercredi-là, encore un, François Fillon reçoit une convocation pour comparaitre devant les juges deux semaines plus tard. Aussitôt, il annule sa visite au Salon de l'agriculture, d'autant plus qu'Emmanuel Macron s'y trouvait et rencontrait un grand succès, vu les attroupements qu'il déclenchait dans son sillage. Il se précipite dans son QG de campagne et organise une conférence de presse épique, qui restera dans les annales.

Il commencera par annoncer la mauvaise nouvelle à ses supporters, « Mon avocat a été informé que je serai convoqué le 15 mars par les juges d’instruction afin d’être mis en examen », avant d'attaquer tous azimuts. L'arrogance de François Fillon est manifeste. Son mépris est triple.

Primo, le mépris des magistrats 

« Il est sans exemple, dans une affaire de cette importance, qu’une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges, sans qu’ils aient pris connaissance du dossier ni procédé à des investigations supplémentaires, sur la simple base d’un rapport de police manifestement à charge, c’est-à-dire pour condamner... Cette convocation s’inscrit dans la ligne d’une enquête menée dès le début exclusivement à charge... Depuis l’origine, et contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas été traité comme un justiciable comme les autres... Que je ne sois pas un justiciable comme les autres, on le voit au simple choix de cette date du 15 mars, deux jours avant la clôture des parrainages, entièrement calculée pour m’empêcher d’être candidat à la présidentielle, et, au-delà, pour empêcher que la droite et le centre disposent d’un tel candidat... Les avocats ont demandé que la chambre de l’instruction de la cour d’appel statue immédiatement sur les irrégularités nombreuses et graves de la procédure. Cela leur a été refusé... Ma volonté de servir est plus grande que les accusations qui sont portées contre moi... L’Etat de droit a été systématiquement violé. » Il faut dire que depuis le début de l'affaire, François Fillon n'a cessé de dénoncer les institutions de la République. Il n'a pas hésité à un moment pour parler de « coup d'Etat institutionnel » et de l'existence de « quelque chose de pourri dans notre démocratie ».

Si on suit bien la logique de François Fillon, le parquet national financier (càd le ministère public), la police judiciaire, les magistrats, la chambre d'instruction et la cour d'appel, sont tous des pourris qui ont un parti pris dans « son affaire ». Ils le poursuivent injustement dans un but bassement politicien. Que l'on soit de droite ou de gauche, il faut tout de même reconnaître que jamais au grand jamais, personne n'a osé manifesté autant de mépris pour la justice en France, à part l'extrême droite. La logique de François Fillon est dangereuse pour l'Etat de droit.

Secundo, le mépris des journalistes 

« La presse s’est fait l’écho des convictions des enquêteurs et d’elles seules (…) Les arguments de fait que j’ai présentés n’ont pas été entendus, ni relayés (…) La France est plus grande... que les partis pris d’une large part de la presse. » Là aussi, il faut se souvenir que depuis le début de l'affaire, François Fillon n'a cessé de dénoncer les médias. « La séquence des boules puantes est ouverte... Je suis scandalisé par le mépris et par la misogynie de cet article (du Canard Enchainé)... C'est une avalanche de calomnies... »

Si on suit bien la logique de François Fillon, les médias sont eux aussi des pourris qui ont un parti pris dans « son affaire ». Là encore, jamais au grand jamais, un homme politique de son poids -Premier ministre, ministre, député et sénateur- n'a manifesté autant de mépris pour le travail des journalistes.

Tertio, le mépris des électeurs

« Nombre de mes amis politiques, et de ceux qui m’ont soutenu à la primaire et ses 4 millions de voix, parlent d’un assassinat politique. C’est un assassinat en effet, mais par ce déchaînement disproportionné, sans précédent connu, par le choix de ce calendrier, ce n’est pas moi seulement qu’on assassine. C’est l’élection présidentielle (…) Au-delà de la procédure judiciaire, c’est au peuple français et à lui seul que j’en appelle désormais. C’est au peuple français que je m’en remets, parce que seul le suffrage, et non une procédure menée à charge, peut décider qui sera le prochain président de la république française (...) Au-delà de ma personne, c’est la démocratie qui est défiée. Je vous demande de me suivre. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, de mes droits, ou de la présomption d’innocence. C’est de vous, dont la volonté souveraine ne peut être annulée, annihilée, détruite... La France est plus grande que (...) les emballements de l’opinion elle-même. » Et même sur ce point et depuis le début de l'affaire, François Fillon n'a cessé de fustiger l'opinion publique. Il y a quelques jours, il n'a pas hésité à accuser le gouvernement de laisser « se développer dans le pays un climat de quasi-guerre civile »

Si on suit bien la logique de François Fillon, les Français choqués par ce scandale politico-financier, seraient eux aussi des pourris qui ont un parti pris dans son affaire. Jamais au grand jamais, un candidat à la présidence de la République n'a manifesté autant de mépris pour les électeurs qui osent demander de leurs élus d'être « irréprochables ». Et dire qu'il fut un temps où il n'avait que ce mot à la bouche.

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La suite des événements est tout aussi prévisible qu'inéluctable. Le 15 mars François Fillon sera d'abord entendu par les trois magistrats en charge d'instruire cette affaire depuis le 24 février, interrogé ensuite, aussi longtemps qu'il le faut, et enfin, en fonction des éléments du dossier et de l'audition, soit mis en examen pour « détournements de fonds publics, d’abus de biens sociaux, trafic d’influence et manquement aux obligations déclaratives devant la Haute Autorité de la vie publique », c'est le cas le plus probable, soit placé sous le statut de « témoin assisté », une adaptation juridique depuis l'an 2000, de la fameuse formule de Georgina Dufoix prononcée en 1991 dans l'affaire du sang contaminé, « responsable mais pas coupable ». Penelope Fillon est convoquée trois jours plus tard, elle sera probablement mise en examen aussi.

Cela étant dit, François Fillon a le choix. Il peut demander à être reçu avant. Il peut même refuser de se présenter comme Marine Le Pen. Dans les deux cas, la justice ne peut pas les contraindre, comme pour n'importe quel quidam. Tous les deux bénéficient d'une immunité parlementaire, nationale pour l'un et européenne pour l'autre. D'ici là, les avocats de Fillon auront le droit de consulter le dossier secret constitué par les enquêteurs du parquet national financier et de préparer la défense de leurs clients. Ils pourront contester l'existence même de la procédure, après la mise en examen, et demander son annulation pure et simple. A la fin de l'instruction, qui peut durer des mois, les magistrats décideront d'un non-lieu ou enverront François et Penelope Fillon en correctionnel. Il y aura tribunal et procès.

Contrairement à la propagande en vogue chez les désespérés des camps de François Fillon et de Marine Le Pen, il n'y a rien de nouveau sous le ciel de la justice de la République française. C'est du déjà vu à quelques nuances près. Quant au pouvoir des juges dénoncé par Fillon, il est le fruit du renforcement de la législation française dans ce domaine, votée justement par la droite. Il n'empêche que l'histoire retient à ce stade, que Fillon et sa famille politique, Juppé et Sarkozy compris, ont combattu et voté contre la moralisation de la vie politique introduite par la gauche après l'affaire Cahuzac (2013), la loi sur la transparence (obliger les élus à rendre publique leur déclaration d'activités et à déposer à la préfecture leur déclaration de patrimoine). A l'époque François Fillon était scandalisé. « Comme si la vie politique était immorale. Moi, je n’ai rien à cacher. Je ne voterai pas ce texte parce qu’il n’a aucun intérêt. » Aujourd'hui, on comprend mieux pourquoi.

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On a toujours dit que c'est dans les épreuves qu'on découvre la vraie nature des hommes et des femmes. Il faut rappeler que Penelope Gate concerne au final des soupçons de détournement de plus d'un million d'euros, dont 90% d'argent public. La justice reproche à François Fillon entre autres, d'avoir embauché ou fait embaucher sa femme, par son suppléant et par un ami milliardaire qui a décroché la Légion d'honneur, en la payant pendant des années pour un travail discret qui n'a laissé aucune trace en tant qu'assistante parlementaire, et peu de traces, en tant que conseillère stratégique d'une revue littéraire, entre 4 600 €/mois et 10 100 €/mois, soit parfois plus que le député qu'elle était censée assister. Elle aurait même eu un double emploi à plein temps pendant longtemps. Pour un salarié français gagnant près de 2 000 €/mois brut (1,35 fois le SMIC), la somme qui aurait été détournée, représente une vie entière de travail, soit 42 ans de dur labeur, pour obtenir une retraite à taux plein.

Les faits sont là et ils sont accablants. Les journalistes les ont porté à la connaissance des Français et ils ont fait leur boulot. La justice s'est saisie pour faire la lumière sur ce scandale et les justiciables ne peuvent que s'en réjouir. François Fillon se défend et il en a le droit. Rien ne semble ébranler sa détermination pour l'instant. « Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas. Je ne me retirerai pas. J’irai jusqu’au bout... je serai candidat à la présidence de la République  » (1er mars). Et pourtant, il y a quelque jours seulement il disait le contraire aux Français. « Il n'y a qu'une seule chose qui m'empêcherait d'être candidat, c'est si mon honneur était atteint, si j'étais mis en examen. » (26 fév.) Qu'il reste dans la course ou pas et qu'il manifeste place du Trocadéro le 5 mars sous une pluie battante ou un soleil radieux, tout cela ne regarde que sa famille politique et ses sympathisants. Le moment venu, tous les électeurs français en tireront les conséquences qui s'imposent.

En attendant, les défections dans le camp de base se multiplient. Une trentaine de lieutenants du QG de campagne et d'importants soutiens, partisans d'Alain Juppé, Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy se mettent en retrait. Alain Juppé refuse d'apparaitre aux côtés de François Fillon, lors de la conférence de presse épique, mais reste loyal: il ne remplacera pas Fillon que si le vainqueur de la Primaire le lui demande. Bruno Le Maire en charge des questions internationales, claquent la porte. Nicolas Sarkozy fait profil bas, il met tout son poids pour barrer la route à l'option Juppé, en espérant faire office de joker. Autour de Fillon, en première ligne, on ne retrouve pratiquement plus que des fillonnistes. De nombreux responsables politiques, députés, sénateurs et maires de droite et du centre réclament le désistement de François Fillon au profit d'un autre candidat. Et lorsqu'on l'a interrogé sur l'hémorragie en cours, le candidat de la droite n'a pas hésité à afficher son mépris, comme pour les policiers, les juges, les journalistes et les électeurs : « Les élus ? Bah, on fera sans eux ! » Non mais, que l'on soit pour ou contre Fillon, de droite ou de gauche, à quoi peut-on encore s'attendre avec un candidat aussi contesté, déconnecté de la réalité et qui s'est mis tout le monde sur le dos ?

On savait que pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée, il ne suffisait pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner la Primaire de la droite, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds et de rentrer. François Fillon devait convaincre beaucoup de monde. Fort de sa représentation de 2,9 millions de Français inscrits sur les listes électorales, score obtenu lors du 2er tour de la primaire de la droite (soit 6,5% de l'électorat), il s'était lancé sereinement dans la séduction des 18,5 millions d'électeurs Français (soit 41% de l'électorat), moyenne du candidat élu lors du 2e tour des élections présidentielles clivantes de 2007 et 2012, pour atteindre son objectif. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ces maudits mercredis ! Et là franchement, c'est très mal barré. Il y a encore beaucoup de mercredis jusqu'au jour J.