Et
le prévisible devint inéluctable. C'est pratiquement sûr,
le 15 mars, François Fillon sera mis en examen dans le Penelope
Gate. Ça sera un mercredi. Il ne fallait pas être devin pour
le prédire. Ceci pour au moins deux raisons. Au fur et à mesure
que le dossier judiciaire de François Fillon s'épaississait, depuis
les 25 janvier et 1er février, des mercredis, où Le Canard
Enchainé a révélé les affaires Fillon, le candidat de la
droite et du centre n'a cessé d'aggraver son cas, à chaque fois
qu'il s'est exprimé. Et pourtant, il devait bien savoir, que si
la parole est d'argent, le silence est d'or.
*
Ce
qui se passe depuis le 1er mars, résume bien toute la
tragédie du favori d'un laps de temps de la présidentielle en
France. Ce mercredi-là, encore un, François Fillon reçoit
une convocation pour comparaitre devant les juges deux semaines plus
tard. Aussitôt, il annule sa visite au Salon de l'agriculture,
d'autant plus qu'Emmanuel Macron s'y trouvait et rencontrait un grand
succès, vu les attroupements qu'il déclenchait dans son sillage. Il
se précipite dans son QG de campagne et organise une conférence de presse épique, qui restera dans les annales.
Il
commencera par annoncer la mauvaise nouvelle à ses supporters, « Mon
avocat a été informé que je serai convoqué le 15 mars par les
juges d’instruction afin d’être mis en examen », avant
d'attaquer tous azimuts. L'arrogance de François Fillon est
manifeste. Son mépris est triple.
Primo,
le mépris des magistrats
« Il
est sans exemple, dans une affaire de cette importance, qu’une
convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à
peine après la désignation des juges, sans
qu’ils aient pris connaissance du dossier
ni procédé à des investigations supplémentaires, sur la simple
base d’un rapport de police
manifestement à charge, c’est-à-dire pour condamner... Cette
convocation s’inscrit dans la ligne d’une enquête menée dès le
début exclusivement à charge... Depuis l’origine, et
contrairement à ce qui a été dit, je
n’ai pas été traité comme un justiciable
comme les autres... Que
je ne sois pas un justiciable comme les autres, on le voit au simple
choix de cette date du 15 mars, deux jours avant la clôture des
parrainages, entièrement
calculée
pour m’empêcher d’être candidat à la présidentielle, et,
au-delà, pour empêcher que la droite et le centre disposent d’un
tel candidat... Les avocats ont demandé que la
chambre de l’instruction de la cour d’appel
statue immédiatement sur les irrégularités nombreuses et graves de
la procédure. Cela leur a
été refusé...
Ma volonté de servir est plus grande que les accusations qui sont
portées contre moi... L’Etat
de droit a été systématiquement violé.
»
Il faut dire que depuis le début de l'affaire, François Fillon n'a
cessé de dénoncer les institutions de la République. Il n'a pas
hésité à un moment pour parler de « coup
d'Etat institutionnel »
et de l'existence de « quelque
chose de pourri dans notre démocratie ».
Si
on suit bien la logique de François Fillon, le parquet national
financier (càd le ministère public), la police judiciaire, les
magistrats, la chambre d'instruction et la cour d'appel, sont tous
des pourris qui ont un parti pris
dans « son affaire ». Ils le poursuivent injustement dans
un but bassement politicien. Que l'on soit de droite ou de gauche, il
faut tout de même reconnaître que jamais
au grand jamais, personne n'a osé manifesté autant de mépris pour
la justice en France,
à part l'extrême droite. La logique de François Fillon est
dangereuse pour l'Etat de droit.
Secundo,
le mépris des journalistes
« La
presse s’est fait l’écho des convictions des enquêteurs et
d’elles seules (…) Les arguments de fait que j’ai
présentés n’ont pas été entendus, ni relayés (…) La France
est plus grande... que les partis pris d’une large part de la
presse. » Là aussi, il faut se souvenir que depuis le
début de l'affaire, François Fillon n'a cessé de dénoncer les
médias. « La séquence des boules puantes
est ouverte... Je suis scandalisé par le mépris et par la misogynie
de cet article (du Canard Enchainé)... C'est une avalanche de
calomnies... »
Si
on suit bien la logique de François Fillon, les médias sont eux
aussi des pourris qui ont un parti pris dans « son affaire ».
Là encore, jamais au grand jamais, un homme politique de son
poids -Premier ministre, ministre, député et sénateur- n'a
manifesté autant de mépris pour le travail des journalistes.
Tertio,
le mépris des électeurs
« Nombre
de mes amis politiques, et de ceux qui m’ont soutenu à la primaire
et ses 4 millions de voix, parlent d’un assassinat
politique. C’est un assassinat en effet, mais par ce
déchaînement disproportionné, sans précédent connu, par
le choix de ce calendrier, ce n’est pas moi seulement qu’on
assassine. C’est l’élection présidentielle (…) Au-delà de la
procédure judiciaire, c’est au peuple français et à lui seul
que j’en appelle désormais. C’est au peuple français que je
m’en remets, parce que seul le suffrage, et non une procédure
menée à charge, peut décider qui sera le prochain président de la
république française (...) Au-delà de ma personne, c’est la
démocratie qui est défiée. Je vous demande de me suivre. Ce
n’est pas de moi qu’il s’agit, de mes droits, ou de la
présomption d’innocence. C’est de vous, dont la volonté
souveraine ne peut être annulée, annihilée, détruite... La France
est plus grande que (...) les emballements de l’opinion
elle-même. » Et
même sur ce point et depuis le début de l'affaire, François Fillon
n'a cessé de fustiger l'opinion publique. Il y a quelques jours, il
n'a pas hésité à accuser le gouvernement de laisser «
se développer dans le pays un climat de quasi-guerre civile ».
Si on suit bien la logique de François Fillon, les
Français choqués par ce scandale politico-financier, seraient eux
aussi des pourris qui ont un parti pris dans son affaire. Jamais
au grand jamais, un candidat à la présidence de la République n'a
manifesté autant de mépris pour les électeurs qui osent demander de
leurs élus d'être « irréprochables ». Et dire qu'il fut un temps où il n'avait que ce mot à la bouche.
*
La
suite des événements est tout aussi prévisible qu'inéluctable.
Le 15 mars François Fillon sera d'abord entendu par les trois
magistrats en charge d'instruire cette affaire depuis le 24 février,
interrogé ensuite, aussi longtemps qu'il le faut, et enfin,
en fonction des éléments du dossier et de l'audition, soit mis
en examen pour « détournements de fonds publics,
d’abus de biens sociaux, trafic d’influence et manquement aux
obligations déclaratives devant la Haute Autorité de la vie
publique », c'est le cas le plus probable, soit placé
sous le statut de « témoin assisté », une
adaptation juridique depuis l'an 2000, de la fameuse formule de
Georgina Dufoix prononcée en 1991 dans l'affaire du sang contaminé,
« responsable mais pas coupable ». Penelope Fillon
est convoquée trois jours plus tard, elle sera probablement mise en
examen aussi.
Cela
étant dit, François Fillon a le choix. Il peut demander à
être reçu avant. Il peut même refuser de se présenter comme
Marine Le Pen. Dans les deux cas, la justice ne peut pas les contraindre, comme pour n'importe quel quidam. Tous les deux bénéficient
d'une immunité parlementaire, nationale pour l'un et européenne
pour l'autre. D'ici là, les avocats de Fillon auront le droit de
consulter le dossier secret constitué par les enquêteurs du parquet
national financier et de préparer la défense de leurs clients.
Ils pourront contester l'existence même de la procédure, après la
mise en examen, et demander son annulation pure et simple. A la fin
de l'instruction, qui peut durer des mois, les magistrats
décideront d'un non-lieu ou enverront François et Penelope Fillon
en correctionnel. Il y aura tribunal et procès.
Contrairement
à la propagande en vogue chez les désespérés des camps de
François Fillon et de Marine Le Pen, il n'y a rien de nouveau
sous le ciel de la justice de la République française. C'est du
déjà vu à quelques nuances près. Quant au pouvoir des juges
dénoncé par Fillon, il est le fruit du renforcement de la
législation française dans ce domaine, votée justement par la
droite. Il n'empêche que l'histoire retient à ce stade, que Fillon
et sa famille politique, Juppé et Sarkozy compris, ont combattu et
voté contre la moralisation de la vie politique introduite par
la gauche après l'affaire Cahuzac (2013), la loi sur la transparence
(obliger les élus à rendre publique leur déclaration d'activités et à déposer à la préfecture leur déclaration de patrimoine). A
l'époque François Fillon était scandalisé. « Comme si la vie
politique était immorale. Moi, je n’ai rien à cacher.
Je ne voterai pas ce texte parce qu’il n’a aucun
intérêt. » Aujourd'hui, on comprend mieux pourquoi.
*
On
a toujours dit que c'est dans les épreuves qu'on découvre la vraie
nature des hommes et des femmes. Il faut rappeler que Penelope Gate concerne au final des soupçons de détournement de plus d'un
million d'euros, dont 90% d'argent public. La justice reproche à
François Fillon entre autres, d'avoir embauché ou fait embaucher sa
femme, par son suppléant et par un ami milliardaire qui a décroché la Légion d'honneur, en la payant pendant des années pour un travail discret qui
n'a laissé aucune trace en tant qu'assistante parlementaire, et peu de traces, en tant que conseillère stratégique d'une revue littéraire, entre 4 600 €/mois et 10 100 €/mois,
soit parfois plus que le député qu'elle était censée assister. Elle aurait même eu un double emploi à plein temps pendant longtemps.
Pour un salarié français gagnant près de 2 000 €/mois brut (1,35
fois le SMIC), la somme qui aurait été détournée, représente une
vie entière de travail, soit 42 ans de dur labeur, pour
obtenir une retraite à taux plein.
Les
faits sont là et ils sont accablants. Les journalistes les ont porté
à la connaissance des Français et ils ont fait leur boulot. La
justice s'est saisie pour faire la lumière sur ce scandale et les
justiciables ne peuvent que s'en réjouir. François Fillon se défend
et il en a le droit. Rien ne semble ébranler sa détermination
pour l'instant. « Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas.
Je ne me retirerai pas. J’irai jusqu’au bout... je serai candidat
à la présidence de la République » (1er mars). Et
pourtant, il y a quelque jours seulement il disait le contraire aux
Français. « Il n'y a qu'une seule chose qui m'empêcherait
d'être candidat, c'est si mon honneur était atteint, si j'étais
mis en examen. » (26 fév.) Qu'il reste dans la course
ou pas et qu'il manifeste place du Trocadéro le 5 mars sous une pluie battante ou un soleil radieux, tout cela ne regarde que sa famille politique et ses sympathisants. Le moment venu, tous les
électeurs français en tireront les conséquences qui s'imposent.
En
attendant, les défections dans le camp de base se multiplient.
Une trentaine de lieutenants du QG de campagne et d'importants
soutiens, partisans d'Alain Juppé, Bruno Le Maire et Nicolas
Sarkozy se mettent en retrait. Alain Juppé refuse d'apparaitre
aux côtés de François Fillon, lors de la conférence de presse
épique, mais reste loyal: il ne remplacera pas Fillon que si le
vainqueur de la Primaire le lui demande. Bruno Le Maire en charge des
questions internationales, claquent la porte. Nicolas Sarkozy fait
profil bas, il met tout son poids pour barrer la route à l'option
Juppé, en espérant faire office de joker. Autour de Fillon, en
première ligne, on ne retrouve pratiquement plus que des
fillonnistes. De nombreux responsables politiques, députés,
sénateurs et maires de droite et du centre réclament le désistement
de François Fillon au profit d'un autre candidat. Et lorsqu'on
l'a interrogé sur l'hémorragie en cours, le candidat de la droite
n'a pas hésité à afficher son mépris, comme pour les policiers, les juges, les journalistes et les électeurs : « Les élus ? Bah, on
fera sans eux ! » Non mais, que l'on soit pour ou contre
Fillon, de droite ou de gauche, à quoi peut-on encore s'attendre
avec un candidat aussi contesté, déconnecté de la réalité et qui
s'est mis tout le monde sur le dos ?
On
savait que pour passer de l'hôtel Matignon au palais de l'Elysée,
il ne suffisait pas de connaître l'adresse des lieux, de gagner la
Primaire de la droite, de traverser la Seine, de s'essuyer les pieds
et de rentrer. François Fillon devait convaincre beaucoup de monde.
Fort de sa représentation de 2,9 millions de Français inscrits
sur les listes électorales, score obtenu lors du 2er tour de la
primaire de la droite (soit 6,5% de l'électorat), il s'était
lancé sereinement dans la séduction des 18,5 millions d'électeurs
Français (soit 41% de l'électorat), moyenne du candidat élu
lors du 2e tour des élections présidentielles clivantes de 2007 et
2012, pour atteindre son objectif. Tout allait pour le mieux dans
le meilleur des mondes jusqu'à ces maudits mercredis ! Et là
franchement, c'est très mal barré. Il y a encore beaucoup de mercredis jusqu'au jour J.