jeudi 6 avril 2017

Elysée 2017, le Grand débat ou la Foire du Trône de la présidence de la République française (Art.424)


La confrontation politique a duré quatre heures. On s'attendait à un débat cacophonique. Et pourtant, le deuxième Grand débat de l'élection présidentielle française, diffusé sur les chaines BFM-TV et CNews avant-hier, a eu le mérite de diviser nettement les onze candidats en lice en deux catégories.

D'un côté, on avait un groupe de quatre politiciens dont la candidature est disons plutôt sérieuse. Toutes les tendances politiques étaient représentées. Jean-Luc Mélenchon, gauche-gauche radicale, Benoit Hamon, gauche de la gauche, Emmanuel Macron, gauche-centre-droite, et François Fillon, droite-droite extrême. A l'issue du débat, il était clair que deux éléments unissent ces quatre hommes aux idées politiques qui peuvent être diamétralement opposées. Non seulement, ils exposent leurs programmes sans agressivité, mais en plus, ils ont des chances de gagner l'élection présidentielle et ils le savent.

En écoutant les uns et les autres, d'une manière impartiale, je crois qu'on peut dire que tout est débattable. Indéniablement, il y a du pour et du contre dans chaque proposition, sur l'économie, la santé, l'éducation, la sécurité, etc. Alors comment se retrouver? Pour faire une présélection des présidentiables, via un premier tri, le mieux c'est de fixer des lignes rouges au-delà desquelles on n'accepte pas de s'y aventurer. Personnellement, j'en ai trois, qui sont en rapport avec mes convictions géo-politiques profondes, qui découlent de mon positionnement à cheval entre l'Orient et l'Occident. Pour moi, les franchir conduit à une notation négative du candidat, voire à son élimination pure et simple de la compétition.

Primo, il y a une ligne rouge locale, la remise en cause de la laïcité telle qu'elle est établie par la loi de 1905, portant sur la séparation des Eglises et de l'Etat, quelques soient le motif avancé et les subterfuges pour miner la loi la plus visionnaire de la législation française. Secundo, il y a une ligne rouge régionale, la sortie de l'Union européenne, quels que soient la raison évoquée et les défauts de cette merveilleuse aventure humaine. Tertio, il y a une ligne rouge internationale, l'indulgence à l'égard de la Russie de Vladimir Poutine et de la Syrie de Bachar el-Assad, quels que soient le prétexte invoqué et les avantages qu'on voit dans une telle alliance.

Certes, aucun des quatre candidats ne remet en cause la loi de 1905. Mais le quatuor devrait se montrer plus ferme à ce sujet. Quant on voit les ravages polico-sociaux du communautarisme au Moyen-Orient, on ne peut envisager le moindre « accommodement » avec un des piliers de la République française. Cela étant dit, deux actualités nous ont montré récemment combien François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, sont à côté de la plaque sur les autres points.

Depuis le 20 janvier 2017, l'Union européenne a un ennemi qui ne se cache pas. Pas seulement Daech-Etat islamique. C'est le président des Etats-Unis d'Amérique, la plus grande puissance du monde. Il s'est réjoui du Brexit et a prédit d'autres sorties. C'est loin d'être étonnant de sa part, l'Union européenne est le seul concurrent sérieux des Etats-Unis où il fait si bon de vivre. Et sur tous les plans svp. La rencontre foireuse entre Angela Merkel et Donald Trump il y a quelques semaines, est venue confirmer le mépris du locataire de la Maison Blanche pour l'Allemagne, le fer de lance de l'Europe, la plus importante digue contre la trumpisation des esprits. Idem pour les déclarations de ce dernier sur l'OTAN. Son affinité avec Vladimir Poutine s'inscrit dans ce cadre également. L'Europe doit faire face par ailleurs à l'insécurité due à la politique impériale de la Russie et à l'hégémonie économique de la Chine. Pour ce faire, elle a donc besoin d'être unie et renforcée, afin d'espérer faire le poids. Ainsi, il est inimaginable dans un contexte géopolitique aussi grave, d'installer sur le trône de l'Elysée un eurosceptique, comme Jean-Luc Mélenchon, ou une europhobe, comme Marine Le Pen, qui pulvérisera le bi-réacteur franco-allemand de l'Union européenne, le souhait russo-sino-américain le plus profond.

Ghouta-Damas, le 21 août 2013
Le hasard a voulu qu'une nouvelle attaque chimique, probablement au gaz sarin, ait lieu au petit matin du jour du Grand débat dans la région d'Idlib. Elle a été perpétuée sans l'ombre d'un doute par les troupes de Bachar el-Assad. Elle aurait fait selon un bilan provisoire 86 morts, dont 30 enfants. Aussitôt, le parrain russe est monté aux créneaux pour justifier l'attaque, par le ciblage d'un entrepôt jihadiste, et empêcher le vote par le Conseil de sécurité d'une résolution défendue par la France, le Royaume Uni et les Etats-Unis, pour condamner le régime syrien et imposer une enquête internationale. Depuis la sinistre attaque de Ghouta-Damas le 21 août 2013, qui a fait 1 429 morts dont 426 enfants, la tyrannie des Assad a gazé la population civile à plusieurs reprises. Malgré ces crimes contre l'humanité et des crimes de guerre flagrants, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, et d'autres petits candidats comme Jean Lassalle, pensent que Bachar el-Assad (qui est issu d'une communauté alaouite ne représentant que 10% de la population), a encore un rôle à jouer dans l'avenir des Syriens (sunnites à plus de 70% et chrétiens à 10%), et que Vladimir Poutine fait du bon boulot en Syrie. Croire à de telles aberrations, c'est n'avoir rien compris à la Syrie et au Moyen-Orient. Le faire au nom de la protection des Chrétiens d'Orient, c'est être d'une naïveté affligeante. Benoit Hamon a dénoncé durant le Grand débat cet énième crime odieux commis par le régime syrien. Emmanuel Macron a laissé entendre le lendemain qu'il pourrait ordonner une action militaire contre ce dernier s'il est élu. Seuls Benoit Hamon et Emmanuel Macron se positionnent clairement contre Bachar el-Assad et se méfient de Vladimir Poutine comme de la peste. 

La tyrannie des Assad, père et fils, est sans l'ombre d'un doute la pire malédiction qui soit arrivée à la Syrie et au Liban ces 50 dernières années. Quant au président russe, il faut savoir que si Daech-Etat islamique a deux pères géniteurs, George W. Bush et Nouri el-Maliki, l'organisation terroriste a trois mères nourricières, Bachar el-Assad, Ali Khamenei et Vladimir Poutine

De l'autre côté, hélas, c'était vraiment la Foire du Trône et à qui crie le plus fort. On a tous droit à un quart d'heure de célébrité comme disait Andy Warhol, sauf que chaque membre de ce groupe a même eu trois minutes de plus. Là aussi, toutes les tendances politiques étaient représentées. Philippe Poutou, extrême gauche, Nathalie Arthaud, extrême gauche, Jacques Cheminade, extrême gauche-extrême droite, Jean Lassalle, centre-droite, François Asselineau, droite-extrême droite, et Nicolas Dupont-Aignan, droite-extrême droite. Force est de constater qu'ils franchissement tous au moins une de mes lignes rouges, voire deux. En plus, à l'inverse de l'autre catégorie, les six petits candidats ne parviennent pas à exposer leurs idées politiques sans agressivité (on ne peut pas parler de véritable programme) et ils n'ont aucune chance d'accéder à la magistrature suprême. Et ça, ils le savent et ils en profitent pour perturber la campagne des grands candidats.

Il reste Marine Le Pen, inclassable. Elle fait bande à part. Elle se veut sérieuse et responsable, ce qui aurait dû la placer avec le premier groupe. Mais vouloir n'est pas pouvoir. Ce fond belliqueux et cette agressivité latente la classent avec le deuxième groupe. C'est la grande perdante du débat élargi. Dans le débat réduit à cinq, elle n'avait aucun mal à se présenter « seule contre tous », Mélenchon-Hamon-Macron-Fillon. Mais à onze, ce n'était plus le cas. Les petits candidats lui ont volé la vedette, sans parler de la charge de Macron sur « la baisse du pouvoir d'achat » et « la guerre économique » qu'engendrerait l'application de son programme, et la claque de Mélenchon, « vous ne servez à rien ! ». Avant-hier, Marine Le Pen n'avait plus le monopole du populisme, de la démagogie, de la défense du peuple français, de la diabolisation de l'Union européenne, et j'en passe et des meilleures.

Toujours est-il que la présidente du Front national est la seule candidate que j'élimine d'emblée de la compétition présidentielle française puisqu'elle franchit mes trois lignes rouges : elle remet en cause la laïcité en voulant installer des crèches dans les mairies, elle prône une alliance renforcée avec le duo Assad-Poutine d'où sa visite récente au Kremlin et ses déclarations déplacées à Beyrouth sur le tyran de Damas, et elle veut faire sortir la France de l'Union européenne.

Sur ce dernier point, Marine Le Pen a déclaré à la BBC il y a quelques jours que « l'Union européenne brille avec la lumière d'une étoile morte ». Nous l'aurions cru volontiers si son allégation politique n'était pas un vœu pieux qui arrangerait bien ses affaires judiciaires et lui éviterait des condamnations certaines, au pluriel svp, voire l'inéligibilité pour un bon bout de temps. Il faut dire que les casseroles de madame sont nombreuses, très nombreuses : la casserole des emplois fictifs des assistants parlementaires européens (qui concernerait 20 des 24 assistants des députés du FN ; les services financiers de l'UE se font déjà rembourser les 340 000 € de sommes indues) ; deux casseroles concernant Jeanne, un micro parti qui est étroitement lié au FN (qui aurait mis en place un système frauduleux à partir de 2011 pour financer les campagnes électorales du FN) ; deux casseroles concernant les fausses déclarations de patrimoine ; la casserole de l'emprunt russe (9 millions d'euros que le FN doit à une banque tchéco-russe qui a fait faillite depuis ; Poutine décidera si elle doit rembourser ou pas, une raison de plus pour faire les yeux doux au maitre du Kremlin!). Casserole par-ci, casserole par-là, au point où on en est, il faut admettre que la cheffe du FN traine toute une batterie de cuisine derrière elle de nos jours. Au total, une douzaine de cadres du FN et des proches collaborateurs de Marine Le Pen sont déjà mis en examen. En se basant sur le rapport de l’Office européen de lutte antifraude, l'enquête préliminaire menée en France a aboutit à l'ouverture récente d'une information judiciaire à l'encontre de Marine Le Pen, pour « abus de confiance, escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux, et travail dissimulé ».

A la violation de ces trois lignes rouges s'ajoutent trois bonus qui rendent le repêchage de Marine Le Pen impossible. D'abord, ses magouilles financières qu'on vient d'évoquer. Ensuite, son mépris et sa malhonnêteté, très bien illustrées à travers le cirque qu'elle a fait à Beyrouth devant le siège du mufti de la communauté sunnite. Enfin, l'engagement numéro 27 qu'elle prend de « supprimer la double nationalité », une déchéance de la nationalité qui frappera durement les ressortissants franco-libanais dont une frange vote pour elle.

Allez, terminons cet article dans la joie et la bonne humeur avec la tirade de Philippe Poutou (1:56:53-2:00:00), en réponse à la question, « Un président exemplaire, c'est quoi pour vous? ». Lisez, écoutez et regardez, c'est un régal. « Question de moralité politique, on est servi depuis quelque temps. On a Dassault qui a été condamné récemment. Dassault c'est un homme politique, milliardaire, patron du Figaro et ... » Ruth Elkrief tente de l'interrompre : « Il y a beaucoup d'autres qui ont été condamnés. Mais quelles sont vos propositions? » Le candidat d'extrême gauche ne se laisse pas impressionner et balance à la journaliste imprudente : « Non mais, ce n'est pas parce que je n'ai pas de cravate, qu'il faut me couper ! » Ruth : « Ah non! » Poutou reprend de plus belle : « Dassault ne fait pas de prison parce que le monsieur est un peu trop vieux. Clause humanitaire, tant mieux. A côté de ça, on a les Balkany. C'est tout une œuvre. Le père, le fils, tout le monde triche. Et là, depuis janvier, alors là, c'est le régal. Une campagne superbe, Fillon, il est là en face moi. Que des histoires. Plus on fouille et plus on sent la corruption, plus on sent la triche. En plus, ce sont des bonhommes qui nous expliquent qu'il faut de la rigueur, il faut de l'austérité. Et eux-mêmes piquent dans les caisses publiques. » Avec un admirable calme olympien, Fillon l'interrompt et lui dit calmement : « On n'accuse pas comme ça ! ». Poutou lui répond gentiment : « Oui, bon, d'accord ». Fillon cède un petit « merci ».

Le sprinter reprend son souffle et enchaine : « Il y a aussi Le Pen, à côté. Elle va peut-être réagir aussi. Le Pen pareil, on pique dans les caisses publiques. Alors là, ce n'est pas ici, c'est l'Europe. Pour quelqu'un qui est anti-européen, elle ne se gêne pas de piquer de l'argent de l'Europe. Le pire c'est qu'en plus, le FN qui se dit anti-système, ne s'emmerde pas du tout et se protège grâce aux lois du système, grâce à l'immunité parlementaire et refuse d'aller aux convocations policières. Peinarde ». La candidate d'extrême droite, qui tire une tronche depuis que Poutou a ouvert la bouche et qui bouillonne de rage depuis qu'elle est contrainte d'écouter le candidat d'extrême gauche, ne trouve rien à répondre qu'une cette banale réplique : « Sur ce coup-là, vous êtes pour la police! ». Ce à quoi Philippe Poutou répond: « Quand nous, on est convoqués par la police, nous ouvriers par exemple, on n'a pas d'immunité ouvrière. Désolé, on y va. Vous, vous avez une chance, le système vous protège, tant mieux pour vous. Mais ça permet de dire, que l'anti-système, c'est de la foutaise. »

Continuant sur sa lancée, il ajoute : « Le problème du politicien corrompu... c'est la professionnalisation de la politique. On a des gens déconnectés de la population, surpayés, 6 000, 7 000, 10 000 euros. Députés, sénateurs, ministres. C'est scandaleux. Je rappelle que le salaire minimum est 1 100 euros et il y a plein de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté... On pense qu'il faut limiter le salaire des politiciens, maximum le salaire moyen d'un salarié, il faut arrêter le cumul des mandats ... » La journaliste Laurence Ferrari l'interrompt croyant avoir trouvé la faille : « Ça les rendra moins corrompus de baisser leur salaire ? » Et là, c'est l'apothéose pour Philippe Poutou : « Déjà ils courront moins après le poste car ça sera moins bien payé. L'autre truc qui peut être avantageux, c'est qu'ils auront peut-être envie d'augmenter plus facilement le smic et les salaires puisqu'ils seront directement concernés. » Les autres candidats, comme Macron et Mélenchon, ont beaucoup du mal à ne pas sourire ou même à applaudir. Le public est hilare.