La
confrontation politique a duré quatre heures. On s'attendait
à un débat cacophonique. Et pourtant, le deuxième Grand débat
de l'élection présidentielle française, diffusé sur les chaines
BFM-TV et CNews avant-hier, a eu le mérite de diviser nettement
les onze candidats en lice en deux catégories.
D'un
côté, on avait un groupe de quatre politiciens dont la candidature
est disons plutôt sérieuse. Toutes les tendances politiques
étaient représentées. Jean-Luc Mélenchon, gauche-gauche
radicale, Benoit Hamon, gauche de la gauche, Emmanuel
Macron, gauche-centre-droite, et François Fillon,
droite-droite extrême. A l'issue du débat, il était clair que deux
éléments unissent ces quatre hommes aux idées politiques qui
peuvent être diamétralement opposées. Non seulement, ils
exposent leurs programmes sans agressivité, mais en plus, ils
ont des chances de gagner l'élection présidentielle et ils le
savent.
En
écoutant les uns et les autres, d'une manière impartiale, je crois
qu'on peut dire que tout est débattable. Indéniablement, il
y a du pour et du contre dans chaque proposition, sur l'économie, la
santé, l'éducation, la sécurité, etc. Alors comment se
retrouver? Pour faire une présélection des présidentiables,
via un premier tri, le mieux c'est de fixer des lignes rouges
au-delà desquelles on n'accepte pas de s'y aventurer.
Personnellement, j'en ai trois, qui sont en rapport avec mes
convictions géo-politiques profondes, qui découlent de mon
positionnement à cheval entre l'Orient et l'Occident. Pour moi, les
franchir conduit à une notation négative du candidat, voire à son
élimination pure et simple de la compétition.
Primo,
il y a une ligne rouge locale, la remise en cause de la laïcité
telle qu'elle est établie par la loi de 1905, portant sur la
séparation des Eglises et de l'Etat, quelques soient le motif avancé
et les subterfuges pour miner la loi la plus visionnaire de la
législation française. Secundo, il y a une ligne rouge
régionale, la sortie de l'Union européenne, quels que soient la
raison évoquée et les défauts de cette merveilleuse aventure
humaine. Tertio, il y a une ligne rouge internationale,
l'indulgence à l'égard de la Russie de Vladimir Poutine et de la
Syrie de Bachar el-Assad, quels que soient le prétexte invoqué
et les avantages qu'on voit dans une telle alliance.
Certes,
aucun des quatre candidats ne remet en cause la loi de 1905. Mais
le quatuor devrait se montrer plus ferme à ce sujet. Quant on
voit les ravages polico-sociaux du communautarisme au Moyen-Orient,
on ne peut envisager le moindre « accommodement » avec un
des piliers de la République française. Cela étant dit, deux
actualités nous ont montré récemment combien François Fillon et
Jean-Luc Mélenchon, sont à côté de la plaque sur les autres
points.
Depuis
le 20 janvier 2017, l'Union européenne a un ennemi qui ne se
cache pas. Pas seulement Daech-Etat islamique. C'est le
président des Etats-Unis d'Amérique, la plus grande puissance du monde. Il
s'est réjoui du Brexit et a prédit d'autres sorties. C'est loin
d'être étonnant de sa part, l'Union européenne est le seul
concurrent sérieux des Etats-Unis où il fait si bon de vivre. Et sur
tous les plans svp. La rencontre foireuse entre Angela Merkel et Donald Trump il y a quelques semaines, est venue confirmer le mépris du locataire de la Maison Blanche pour l'Allemagne, le fer de lance de l'Europe, la plus
importante digue contre la trumpisation des esprits. Idem pour les déclarations de ce dernier sur l'OTAN. Son affinité avec Vladimir Poutine
s'inscrit dans ce cadre également. L'Europe doit faire face par
ailleurs à l'insécurité due à la politique impériale de la Russie et à l'hégémonie
économique de la Chine. Pour ce faire, elle a donc besoin d'être
unie et renforcée, afin d'espérer faire le poids. Ainsi, il est
inimaginable dans un contexte géopolitique aussi grave,
d'installer sur le trône de l'Elysée un eurosceptique, comme
Jean-Luc Mélenchon, ou une europhobe, comme Marine Le Pen, qui
pulvérisera le bi-réacteur franco-allemand de l'Union européenne,
le souhait russo-sino-américain le plus profond.
Ghouta-Damas, le 21 août 2013 |
Le
hasard a voulu qu'une nouvelle attaque chimique, probablement
au gaz sarin, ait lieu au petit matin du jour du Grand débat dans la
région d'Idlib. Elle a été perpétuée sans l'ombre d'un
doute par les troupes de Bachar el-Assad. Elle aurait fait
selon un bilan provisoire 86 morts, dont 30 enfants. Aussitôt, le parrain russe est monté aux créneaux pour justifier
l'attaque, par le ciblage d'un entrepôt jihadiste, et
empêcher le vote par le Conseil de sécurité d'une résolution
défendue par la France, le Royaume Uni et les Etats-Unis, pour
condamner le régime syrien et imposer une enquête internationale.
Depuis la sinistre attaque de Ghouta-Damas le 21 août 2013, qui a fait 1 429
morts dont 426 enfants, la tyrannie des Assad a gazé la population
civile à plusieurs reprises. Malgré ces crimes contre l'humanité
et des crimes de guerre flagrants, François Fillon, Jean-Luc
Mélenchon et Marine Le Pen, et d'autres petits candidats comme
Jean Lassalle, pensent que Bachar el-Assad (qui est issu d'une
communauté alaouite ne représentant que 10% de la population), a
encore un rôle à jouer dans l'avenir des Syriens (sunnites à
plus de 70% et chrétiens à 10%), et que Vladimir Poutine fait du
bon boulot en Syrie. Croire à de telles aberrations, c'est
n'avoir rien compris à la Syrie et au Moyen-Orient. Le faire au nom de la protection des Chrétiens d'Orient, c'est être d'une naïveté affligeante. Benoit
Hamon a dénoncé durant le Grand débat cet énième crime odieux commis par le régime syrien. Emmanuel Macron a laissé entendre le lendemain qu'il pourrait ordonner une action militaire contre ce dernier s'il est élu. Seuls Benoit Hamon et Emmanuel Macron se positionnent clairement contre Bachar el-Assad et se méfient de Vladimir Poutine comme de la peste.
La
tyrannie des Assad, père et fils, est sans l'ombre d'un doute la
pire malédiction qui soit arrivée à la Syrie et au Liban ces 50
dernières années. Quant au président russe, il faut savoir que si
Daech-Etat islamique a deux pères géniteurs, George W. Bush et
Nouri el-Maliki, l'organisation terroriste a trois mères
nourricières, Bachar el-Assad, Ali Khamenei et Vladimir Poutine.
De
l'autre côté, hélas, c'était vraiment la Foire du Trône et à
qui crie le plus fort. On a tous droit à un quart d'heure de
célébrité comme disait Andy Warhol, sauf que chaque membre de ce groupe a même eu trois minutes
de plus. Là aussi, toutes les tendances politiques étaient
représentées. Philippe Poutou, extrême gauche, Nathalie
Arthaud, extrême gauche, Jacques Cheminade, extrême
gauche-extrême droite, Jean Lassalle, centre-droite, François
Asselineau, droite-extrême droite, et Nicolas Dupont-Aignan,
droite-extrême droite. Force est de constater qu'ils
franchissement tous au moins une de mes lignes rouges, voire deux.
En plus, à l'inverse de l'autre catégorie, les six petits candidats
ne parviennent pas à exposer leurs idées politiques sans
agressivité (on ne peut pas parler de véritable programme)
et ils n'ont aucune chance d'accéder à la magistrature
suprême. Et ça, ils le savent et ils en profitent pour
perturber la campagne des grands candidats.
Il
reste Marine Le Pen, inclassable. Elle fait bande à part. Elle
se veut sérieuse et responsable, ce qui aurait dû la placer avec le
premier groupe. Mais vouloir n'est pas pouvoir. Ce fond belliqueux et
cette agressivité latente la classent avec le deuxième groupe.
C'est la grande perdante du débat élargi. Dans le débat
réduit à cinq, elle n'avait aucun mal à se présenter « seule
contre tous », Mélenchon-Hamon-Macron-Fillon. Mais à onze, ce
n'était plus le cas. Les petits candidats lui ont volé la vedette,
sans parler de la charge de Macron sur « la baisse du
pouvoir d'achat » et « la guerre économique »
qu'engendrerait l'application de son programme, et la claque de
Mélenchon, « vous ne servez à rien ! ». Avant-hier, Marine Le Pen n'avait
plus le monopole du populisme, de la démagogie, de la défense
du peuple français, de la diabolisation de l'Union européenne, et
j'en passe et des meilleures.
Toujours
est-il que la présidente du Front national est la seule candidate que j'élimine
d'emblée de la compétition présidentielle française puisqu'elle
franchit mes trois lignes rouges : elle remet en cause la laïcité
en voulant installer des crèches dans les mairies, elle prône une
alliance renforcée avec le duo Assad-Poutine d'où sa visite récente
au Kremlin et ses déclarations déplacées à Beyrouth sur le tyran
de Damas, et elle veut faire sortir la France de l'Union européenne.
Sur
ce dernier point, Marine Le Pen a déclaré à la
BBC il y a quelques jours que « l'Union européenne brille avec la lumière d'une étoile morte ». Nous
l'aurions cru volontiers si son allégation politique n'était pas
un vœu pieux qui arrangerait bien ses affaires judiciaires et lui
éviterait des condamnations certaines, au pluriel svp, voire
l'inéligibilité pour un bon bout de temps. Il faut dire que les
casseroles de madame sont nombreuses, très nombreuses : la
casserole des emplois fictifs des assistants parlementaires européens
(qui concernerait 20 des 24 assistants des députés du FN ; les
services financiers de l'UE se font déjà rembourser les 340 000 €
de sommes indues) ; deux casseroles concernant Jeanne, un micro parti
qui est étroitement lié au FN (qui aurait mis en place un système
frauduleux à partir de 2011 pour financer les campagnes électorales
du FN) ; deux casseroles concernant les fausses déclarations de
patrimoine ; la casserole de l'emprunt russe (9 millions d'euros que
le FN doit à une banque tchéco-russe qui a fait faillite depuis ; Poutine
décidera si elle doit rembourser ou pas, une raison de plus pour
faire les yeux doux au maitre du Kremlin!). Casserole par-ci,
casserole par-là, au point où on en est, il faut admettre que la cheffe du FN traine toute une batterie de cuisine derrière elle de nos jours. Au total, une douzaine de cadres du FN et des proches
collaborateurs de Marine Le Pen sont déjà mis en examen. En se
basant sur le rapport de l’Office européen de lutte antifraude, l'enquête préliminaire menée en France a aboutit à
l'ouverture récente d'une information judiciaire à l'encontre de
Marine Le Pen, pour « abus de confiance, escroquerie en
bande organisée, faux et usage de faux, et travail dissimulé ».
A
la violation de ces trois lignes rouges s'ajoutent trois bonus qui
rendent le repêchage de Marine Le Pen impossible. D'abord, ses
magouilles financières qu'on vient d'évoquer. Ensuite, son mépris et sa malhonnêteté, très bien
illustrées à travers le cirque qu'elle a fait à Beyrouth devant le
siège du mufti de la communauté sunnite. Enfin, l'engagement numéro
27 qu'elle prend de « supprimer la double nationalité », une déchéance de la nationalité qui frappera durement les ressortissants franco-libanais dont une frange vote pour elle.
Allez,
terminons cet article dans la joie et la bonne humeur avec la tirade de Philippe Poutou (1:56:53-2:00:00), en réponse à la
question, « Un président exemplaire, c'est quoi pour
vous? ». Lisez, écoutez et regardez, c'est un
régal. « Question de moralité politique, on est servi
depuis quelque temps. On a Dassault qui a été
condamné récemment. Dassault c'est un homme politique,
milliardaire, patron du Figaro et ... » Ruth Elkrief tente
de l'interrompre : « Il y a beaucoup d'autres qui ont été
condamnés. Mais quelles sont vos propositions? » Le
candidat d'extrême gauche ne se laisse pas impressionner et balance
à la journaliste imprudente : « Non mais, ce n'est pas
parce que je n'ai pas de cravate, qu'il faut me couper ! » Ruth
: « Ah non! » Poutou reprend de plus belle :
« Dassault ne fait pas de prison parce que le monsieur est
un peu trop vieux. Clause humanitaire, tant mieux. A côté de ça,
on a les Balkany. C'est tout une œuvre. Le
père, le fils, tout le monde triche. Et là, depuis janvier, alors
là, c'est le régal. Une campagne superbe, Fillon,
il est là en face moi. Que des histoires. Plus on fouille et plus on
sent la corruption, plus on sent la triche. En plus, ce sont des
bonhommes qui nous expliquent qu'il faut de la rigueur, il faut de
l'austérité. Et eux-mêmes piquent dans les caisses publiques. »
Avec un admirable calme olympien, Fillon l'interrompt et lui dit
calmement : « On n'accuse pas comme ça ! ».
Poutou lui répond gentiment : « Oui, bon, d'accord ».
Fillon cède un petit « merci ».
Le
sprinter reprend son souffle et enchaine : « Il y a aussi Le
Pen, à côté. Elle va peut-être réagir aussi. Le Pen
pareil, on pique dans les caisses publiques. Alors là, ce n'est pas
ici, c'est l'Europe. Pour quelqu'un qui est anti-européen, elle ne
se gêne pas de piquer de l'argent de l'Europe. Le pire c'est qu'en
plus, le FN qui se dit anti-système, ne s'emmerde pas du tout et se
protège grâce aux lois du système, grâce à l'immunité
parlementaire et refuse d'aller aux convocations
policières. Peinarde ». La candidate d'extrême droite,
qui tire une tronche depuis que Poutou a ouvert la bouche et qui bouillonne
de rage depuis qu'elle est contrainte d'écouter le candidat
d'extrême gauche, ne trouve rien à répondre qu'une cette banale
réplique : « Sur ce coup-là, vous êtes pour la police! ».
Ce à quoi Philippe Poutou répond: « Quand nous, on est
convoqués par la police, nous ouvriers par exemple, on n'a pas d'immunité ouvrière.
Désolé, on y va. Vous, vous avez une chance, le système vous
protège, tant mieux pour vous. Mais ça permet de dire, que
l'anti-système, c'est de la foutaise. »
Continuant
sur sa lancée, il ajoute : « Le problème du politicien
corrompu... c'est la professionnalisation de la politique. On a des
gens déconnectés de la population, surpayés, 6 000, 7 000, 10 000
euros. Députés, sénateurs, ministres. C'est scandaleux. Je
rappelle que le salaire minimum est 1 100 euros et il y a plein de
gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté... On pense qu'il
faut limiter le salaire des politiciens, maximum le
salaire moyen d'un salarié, il faut arrêter le cumul des mandats
... » La journaliste Laurence Ferrari l'interrompt croyant avoir
trouvé la faille : « Ça les rendra moins corrompus de
baisser leur salaire ? » Et là, c'est l'apothéose
pour Philippe Poutou : « Déjà ils courront moins après
le poste car ça sera moins bien payé. L'autre truc qui peut être
avantageux, c'est qu'ils auront peut-être envie d'augmenter plus
facilement le smic et les salaires puisqu'ils seront directement
concernés. » Les autres candidats, comme Macron et
Mélenchon, ont beaucoup du mal à ne pas sourire ou même à
applaudir. Le public est hilare.