1. Le taux de participation élevé, près de 78%,
confirme le grand intérêt des Français pour l'élection
présidentielle. Rien à voir avec les Américains par exemple. Toutefois, le taux 2017 est en baisse par rapport
aux élections de 2012 et de 2007. Malgré une offre politique riche
et variée, des centaines de milliers d'électeurs se sont désintéressés de
l'élection de cette année. C'est sans doute en rapport avec une
campagne électorale et médiatique parasitée pendant trop longtemps par le PenelopeGate.
2. Pour la première fois de l'histoire récente, les deux grands partis
politiques français, de droite et de gauche, Les Républicains
et le Parti socialiste, ne seront pas présents au 2e tour. Pire
encore, ce n'est pas la première fois de l'histoire récente,
l'extrême droite est présente au 2e tour, et l'extrême gauche
était à deux doigts de l'être. Il est donc clair que les partis
traditionnels ne répondent plus aux attentes des électeurs. Leur prestation depuis une quarantaine d'années y est pour beaucoup. Ce constat
confirme par ailleurs que la planète traverse bel et bien une ère de glaciation populiste, en France comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni comme en Turquie.
3. Inconnu du grand public à l'investiture de François Hollande, Emmanuel Macron
arrive en tête de la course présidentielle à la fin du quinquennat, récoltant 24,01% des voix exprimées, sans réelle surprise pour les uns et à l'étonnement général pour les autres. Il faut dire qu'on n'a pas voulu comprendre que son
jeune âge était le gage d'un sang neuf et du renouveau pour beaucoup d'électeurs, que son parcours professionnel -banquier d'affaires chez
Rothschild & Cie, inspecteur des Finances et ministre de
l'Economie- et même le fait qu'il n'ait jamais été confronté au suffrage
universel, plaidaient en faveur d'une bonne connaissance à la fois
du secteur privé et du secteur public, et que son positionnement au
centre sur l'échiquier politique prouvait aux yeux d'un grand nombre
de Français qu'il est ouvert aux opinions les plus variées et il a
la capacité de rassembler. Alors qu'il a séduit plus de 8,6 millions d'électeurs, on trouve toujours de mauvais perdants de
mauvaise foi, des soutiens de Mélenchon comme de Fillon, pour
répéter encore que le candidat d'En Marche a un programme creux.
Avec des adversaires dans leur genre, souffrant gravement du déni de
l'autruche, le triomphe de Macron n'a rien étonnant. Beaucoup n'ont
pas compris que si le climat politique à notre époque favorise l'extrémisme, l'isolationnisme, le populisme et l'intolérance, il est aussi favorable à la
modération, l'ouverture, la politique autrement et la tolérance. Emmanuel Macron l'a très bien compris, il a très bien su l'exprimer dans son programme
présidentiel et ça c'est très bien traduit dans les urnes. Ses positions de principe clairement en faveur de l'Union européenne et de l'Euro ont été sans l'ombre d'un doute
un autre élément déterminant dans le choix des électeurs français.
4. Créditée de 28% des voix et placée en tête des sondages, Marine
Le Pen ne récolte finalement que 21,3% et doit se contenter de la
2e place, avec une finale sans suspense. C'est une grande victoire des esprits démocrates contre les esprits populistes. Après l'Autriche et les Pays-Bas c'est au tour de la France, de circonscrire la trumpisation des esprits, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. La candidate du Front national n'a aucune
chance d'aller plus loin. Comme son père Jean-Marie Le Pen en 2002, son aventure présidentielle est renvoyée à 2022. Pire encore, d'ici là, il est
fort probable qu'elle soit déchue de ses droits civiques, enfin,
inéligible, à cause de ses magouilles financières et des
nombreuses casseroles qu'elle traine depuis un moment, que ce soit
dans les emplois fictifs d'assistants parlementaires européens, dans le financement illégal de ses campagnes électorales ou dans les manquements lors de la déclaration légale de son patrimoine. La demande de la levée de son immunité parlementaire européenne est en cours, elle devrait comparaître prochainement devant les juges et elle est actuellement poursuivie par la justice française pour "escroquerie en bande organisée". Désolé pour ses fans, mais pour elle, c'est probablement fini. Enfin, pas avant 2027.
5. De nouveau un « front républicain », regroupant
des élus de droite du parti Les Républicains et des élus de gauche
du Parti socialiste, se constituera pour faire barrage au parti
d'extrême droite, le Front national. Dans ce cadre, il faut donc
saluer les positions nobles des deux partis républicains, notamment des candidats François Fillon et Benoît Hamon,
mais aussi celles d'Alain Juppé et de François Baroin, et tous les socialistes
sans exceptions, de Manuel Valls à Bernard Cazeneuve, qui ont appelé leurs sympathisants, clairement et
sans hésitation, à voter pour Emmanuel Macron et contre Marine Le
Pen. Dans ce cadre aussi, il faut dénoncer les positions honteuses
des leaders d'extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, Nathalie Arthaud
et Philippe Poutou, incapables d'appeler leurs partisans à voter
pour Emmanuel Macron ou ne serait-ce que de s'engager à titre personnel
à voter contre Marine Le Pen. En tout cas, si tous les Français suivaient ces trois candidats, le Front national camperait dans les jardins de l'Elysée pendant cinq ans. Et si le fanatisme et la rancune les aveuglent au point de les empêcher de voir la moindre différence entre les deux qualifiés pour le 2e tour, ceci prouve qu'ils étaient des candidats totalement irresponsables, leur élimination de la course n'est qu'une délivrance pour la nation.
6. Il est intéressant de constater que les candidats qui ont gagné
haut la main les primaires de la droite et de la gauche,
François Fillon et Benoît Hamon, n'ont pas réussi à se qualifier
pour le 2e tour de l'élection présidentielle proprement dite. Ce
constat me réconforte dans les vives critiques que j'ai formulées
dans le passé contre le principe de la primaire. Celle-ci biaise
l'expression démocratique puisqu'elle permet de verrouiller la
bataille présidentielle avec un nom unique, lors d'une consultation
privée qui ne mobilise qu'un faible pourcentage des électeurs,
moins de 10%. Pour améliorer la vie démocratique en France et tenir compte de
l'évolution de la société, il faudrait : primo, durcir les
conditions de candidatures à l'élection présidentielle pour éviter
les farfelus qui parasitent la campagne et ne présentent aucune
valeur ajoutée au débat; secundo, accepter d'avoir deux candidats
par parti, le choix final se fera le jour de l'élection qui mobilise 80%
des électeurs (et non le jour de la primaire qui n'intéresse que
10% d'entre eux); tertio, faire des triangulaires au 2e tour de
l'élection présidentielle, quand les candidats sont au coude-à-coude, en qualifiant le tiercé arrivé en tête du 1er tour, au lieu d'un duo actuellement.
7. Naturellement, François Fillon restera dans les chroniques et
les annales comme le grand perdant de la course présidentielle de
2017. Il y a seulement quatre mois, on pensait qu'il pouvait la gagner
les mains dans les poches et le doigt dans le nez. Et puis il y a eu
ces maudits mercredis à partir de la fin du mois de janvier. Après,
ce n'était plus qu'une course d'obstacles. Eh bien non, la situation
était plus compliquée. Les partisans de Fillon ont commis trois
erreurs d'appréciation. Primo, aucune élection n'est gagnée
d'avance. Ils sont les mieux placés pour le comprendre. Ils
n'étaient pas censés gagner la primaire de la droite et pourtant,
ce fut la première des grandes surprises de la présidentielle 2017.
Secundo, expliquer ce mauvais score par le « cabinet noir »
du manitou de l'Elysée, François Hollande, était ridicule. Ce qui
a principalement fait perdre à François Fillon l'élection
présidentielle, c'est exactement ce qui lui a fait gagné la
primaire, son programme présidentiel pur et dur. Le peuple
français n'est pas prêt pour cela. On peut spéculer à souhait sur
ce point, mais une chose est sûre, le mandat de Fillon aurait connu
des mouvements sociaux sans précédent. Tertio, certes les affaires
ont été exploitées par ses adversaires politiques et une frange de laicards christianophobes n'a pas beaucoup apprécié qu'il ait trop mis en avant ses valeurs patriotes et chrétiennes. Mais d'une part, on ne lui a quand même pas créé un scandale sur mesure, comme le prouve sa mise en examen, et d'autre part, sa "mort politique", qu'il a lui-même annoncée, était parfaitement prévisible, comme le prouvent les réflexions de bon sens
et les sondages effectués avant le 1er tour. A partir de là, il fallait réagir vite et
bien, en passant rapidement à la candidature de l'ex-favoris de la
primaire, Alain Juppé. Bonus supplémentaire, avant de s'en prendre
à Hollande, celui qui a causé le plus de tort à Fillon, c'est
Nicolas Dupont-Aignan évidemment. L'ironie de l'histoire, c'est que "Ducon gnangnan" est au-dessous de la barre des 5%, ses frais de
campagne ne seront donc pas remboursés. Tant mieux, ça fera des économies pour l'Etat.
8. L'autre grand perdant de cette élection est Benoît Hamon. Il
n'a jamais réussi à décoller. D'abord, parce qu'il y avait un
désir d'alternance très fort. Or, Hamon était trop socialiste pour
se démarquer du président sortant, comme Jean-Luc Mélenchon, pas
assez non-socialiste pour se distinguer de François Hollande, comme
Emmanuel Macron. Ensuite, parce qu'il n'a pas su convaincre malgré un
programme ambitieux, sur les plans économique, humaniste et
écologique. Les électeurs, ici et encore plus ailleurs, aux
Etats-Unis comme au Liban, sont instinctivement portés vers les
valeurs de droite, centrées sur l'individualisation, que vers les valeurs de
gauche, centrées sur le partage. Voilà pourquoi une mesure aussi originale que le « revenu universel » n'a pas séduit grand monde,
même au sein de la gauche. Enfin, comment pouvait-il en être autrement quand
tous les grands lieutenants du Parti socialiste ont quitté le bateau du PS, pour
rejoindre le paquebot d'En Marche, alors qu'ils s'étaient engagés à
soutenir le vainqueur de la primaire de la gauche? C'était donc
prévisible. En tout cas, il est difficile de dire du bien de tous les déserteurs. On en dénombre trois espèces à ce jour : les adhérants, ceux qui croient vraiment au programme
de Macron; les sincères, ceux qui voulaient sincèrement barrer la route au Front
national par un vote utile au 1er tour; et les opportunistes, ceux
qui pour rien au monde, n'auraient manqué cette belle occasion pour éviter une longue
traversée du désert et se faire une place à l'ombre.
9. La suite de l'histoire est écrite d'avance. Avec un million de voix acquises et plusieurs millions de reserve, Emmanuel Macron sera très probablement élu le 7 mai comme président de la République française. Aussitôt, on s'engagera dans une bataille bien plus importante. En dépit du prestige de l'élection présidentielle, seules les élections législatives détermineront le poids politique réel des différents protagonistes. Et sur ce point, Emmanuel Macron a un grand défi à relever. Il devra prouver qu'il est capable de faire cohabiter des gens d'horizons différents au sein d'une majorité présidentielle stable pour mener à bien son programme présidentiel. Le défi est immense. Il va falloir qu'il soit très habile. Il dispose de quelques semaines supplémentaires pour convaincre davantage de monde. Sinon, on se dirigera peut-être vers une cohabitation. Avant que je n'oublie, la fête à La Rotonde hier soir n'avait pas vraiment de raison d'être. C'était une bourde, à mettre sans doute sur le compte de l'euphorie du moment. Il fallait se montrer discret et humble. En tout cas, de grâce, pas de bling-bling, on en a eu plus qu'assez avec Nicolas Sarkozy.
10. Reste une question importante, au lendemain de ce 1e tour: est-ce qu'il y a aura un débat TV avant le 2e tour le 7 mai, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen? Aucun intérêt. Les programmes sont connus et les positions diamétralement opposées, sur le pouvoir d'achat des Français comme sur les moyens de relance de l'economie française, sur la laïcité de la République comme sur la sécurité de la population, sur l'Union européenne comme sur Vladimir Poutine et Bachar el-Assad. Et si ça ne tenait qu'à moi, j'opposerais une fin de non-recevoir. Comme Jacques Chirac en 2002. On ne débat pas avec des personnes populistes et malhonnêtes qui n'ont aucune décence politique.