Le
président américain, Donald Trump, a ordonné une série de frappes aériennes en Syrie contre une base du régime syrien. Celle-ci
fait suite au massacre chimique commis par ce dernier à Khan
Cheikhoun (Idlib) le 4 avril et qui a couté la vie à une centaine
de personnes dont une trentaine d'enfants. Les spéculations vont bon
train autour de cette action unilatérale des Etats-Unis. Onze réflexions à chaud.
1. Le principe selon lequel la communauté internationale ne puisse pas tolérer que le régime syrien use d'armes chimiques de destruction massive dans la guerre civile en cours a été instauré par l'ancien président américain, Barack Obama. C'était sa fameuse « ligne rouge ». On ne peut que se féliciter que Trump suit la jurisprudence Obama.
2.
Si la frappe aérienne de Trump a été décidé pour des
raisons purement humanitaires, « aucun enfant de Dieu ne
devrait avoir à subir une telle horreur », sans réflexion
stratégique, à savoir comment mettre un terme à l'interminable
drame syrien, je suis désolé d'avoir à le dire, mais elle
devrait nous inquiéter plutôt que de nous rassurer. Dans un tel
cas, il est indispensable de mettre les points sur les « i ».
Ceci prouve que Donald Trump demeure un président impulsif,
imprévisible et inconsistant. Tenez, après une attaque
jihadiste odieuse, le bonhomme serait capable de faire exactement le
contraire, envoyer des armes au régime syrien et soutenir la
nomination de Bachar el-Assad pour le prochain prix Nobel de la Paix.
Ce qui est demandé au président de la plus grande puissance au
monde c'est d'être un stratège intelligent et non un émotif
primaire. Ce n'est pas une frappe aérienne qui arrêtera le
drame de la population en Syrie et ramènera les millions de Syriens
dans leur pays, c'est une véritable stratégie pour mettre un terme à la guerre.
3.
Après le massacre d'al-Ghouta commis par les troupes de
Bachar el-Assad le 21 août 2013 avec du gaz sarin, les menaces de
Barack Obama de lancer des frappes aériennes contre le régime
syrien et la culpabilité certaine du tyran de Damas ont poussé le
régime syrien a accepté le démantèlement de son arsenal chimique
sous l'égide de l'ONU. Celui-ci était évalué à l'époque à près
de 1 000 tonnes. A Ghouta, quelques dizaines de litres seulement
étaient suffisants pour provoquer 1 429 morts dont 426 enfants. On
peut critiquer autant qu'on veut Barack Obama, mais on ne pourra pas
zapper ce constat qui s'impose avec le recul et que l'actualité
tragique de cette semaine est venue nous le rappeler : tout
aventurisme en Syrie avant le démantèlement de l'arsenal chimique
de Bachar el-Assad, aurait conduit à la dissémination sûre et
certaine des armes chimiques aux groupes jihadistes sunnites et aux
milices chiites.
4.
Le régime syrien est censé ne plus être en possession d'armes
chimiques. Le massacre chimique qu'il a commis à Khan Cheikhoun est
donc une violation flagrante des résolutions de l'ONU. Elle doit
conduire à une lourde sanction de la part du Conseil de sécurité.
Voyons donc ce que Trump est capable de faire sur ce point.
5.
Le discours de Donald Trump pour annoncer les frappes aériennes mérite
qu'on s'y arrête un instant. « J’appelle toutes les nations
civilisées à chercher à mettre fin au massacre et au carnage en
Syrie. » On ne l'a pas attendu pour cela ! Cela fait six ans
qu'on essaie, en vain. Le président américain a justifié le
lancement de 59 missiles Tomahawk sur la base aérienne par «
il est dans l’intérêt vital de la sécurité nationale des
Etats-Unis d’empêcher et de dissuader la dissémination et
l’utilisation d’armes chimiques mortelles ». Justement,
c'était exactement la stratégie de Barack Obama en Syrie. On
ne peut que se féliciter que Trump suit Obama sur ce point. En tout cas, jamais un président des Etats-Unis n'a été entouré par autant de généraux à la retraite, dont James Mattis, secrétaire américain à la Défense. Il faut tout de même rappeler que ce dernier poste doit être normalement confié à un civil (depuis au moins 10 ans), sauf exception, la dernière datant de 1950. Ceci donne une idée des orientations de la nouvelle administration américaine. Il est donc évident que ce facteur a joué un rôle déterminant dans cette décision militaire. La dernière déclaration de Donald Trump ne peut que le confirmer.
6.
Selon les premières informations, la base aérienne syrienne a
été détruite complètement par les 59 missiles Tomahawk lancés
depuis le destroyer USS Porter, qui fait partie de la 6e flotte
américaine opérant en mer Méditerranée. Néanmoins, selon
d'autres informations, les Russes ont été prévenus (info certaine), le régime syrien aurait évacué les avions
avant (mis au courant par ces derniers) et deux avions syriens ont pu décoller après l'opération pour mener des raids du côté de Palmyre (ce qui signifierait que toutes les avions et les pistes n'ont pas été détruites complètement ; l'info a été confirmée par les Américains). En tout cas, la capacité terroriste et criminelle du régime de Bachar
el-Assad, demeure entière. L'opération dont l'efficacité est loin d'être confirmée, aurait couté une centaine de millions de dollars.
7.
Le soutien apporté par la Turquie et l'Arabie saoudite à Donald
Trump nous rappelle que la frappe est une vaste opération de communication, qui n'a pas été conduite pour des raisons humanitaires, encore moins stratégiques. Donald Trump vise avant tout un triple objectif, classé par ordre crescendo :
.
D'abord, à effacer le tollé provoqué par ses décrets
discriminatoires « Muslim Ban » aux Etats-Unis, dans
les pays musulmans et dans l'Union européenne.
.
Ensuite, à montrer au monde entier que sur le dossier syrien, et sur d'autres (l'Iran et la Corée du Nord notamment), il ira
plus loin que son prédécesseur. Il ne faut pas oublier que
Donald Trump souffre du « complexe d'Obama ».
C'est ce qui l'a poussé récemment à délirer en affirmant que
l'ancien président américain l'avait placé sous écoute.
.
Enfin, à faire oublier aux Américains les soupçons qui pèsent sur
lui et son entourage, à propos des relations secrètes qu'ils auraient eues avec la Russie. Et dans ce dossier les choses commencent à devenir très embarrassantes pour le président américain. Il y a à peine un mois, le Washington
Post avait révélé que le ministre américain de la Justice, avait
rencontré à deux reprises l'ambassadeur russe aux Etats-Unis, alors
que Donald Trump était en campagne électorale. Pire encore, Jeff
Sessions a menti devant le Sénat, alors qu'il était sous serment,
au cours de l'audition qui devait le confirmer à son poste, en niant
ces accusations. Rajoutez à cela, le scandale de Michael Flynn, un ancien haut gradé de l'armée américaine contraint à démissionner le 13 février 2014, 24 jours seulement après sa nomination comme 25e conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis car il avait menti sur la nature des contacts qu'il a eus avec l'ambassadeur russe aux Etats-Unis durant la période de transition. On a appris par la suite que le général à la retraite avait reçu près de 50 000 dollars en 2015 d'entreprises russes ou liées à la Russie. Et c'est sans parler du rapport conjoint publié au début de l'année par les agences américaines de renseignement -FBI, CIA et NSA- qui accuse Vladimir Poutine d'avoir oeuvré pour favoriser l'élection de Donald Trump au détriment de celle d'Hillary Clinton. Il est donc clair que les frappes de Donald
Trump en Syrie constituent une manœuvre qui vise à détourner l'attention
des Américains de la collusion qui a bel et bien existé entre Donald Trump et Vladimir Poutine.
8. La ferme condamnation de la frappe par l'Iran et la Russie prouve que si la frappe n'est pas suivie de pressions diplomatiques, elle n'aura aucun effet notable sur le cours des événements et l'issue de la guerre en Syrie. Pire encore, elle aggravera la situation.
«
Un regard rétrospectif sur le Twitteur
Americans for Bernie Sandersen chef, lorsque le président Obama a fait face à un scénario de guerre en Syrie » |
10. Des frappes aériennes c'est bien, une résolution onusienne c'est
mieux. Si nous sommes arrivés à ce chaos en Syrie, c'est à
cause de l'obstination de la Russie et de la Chine de bloquer
toute résolution du Conseil de sécurité condamnant le régime
terroriste de Bachar el-Assad. Au total, ils en ont bloqué au
moins une demi-douzaine ! La première c'était en octobre 2011, on
n'était qu'à quelques milliers de morts. Nous sommes aujourd'hui à
quelques centaines de milliers de morts. Ainsi, ce qui est demandé
de Trump réside ailleurs. Il faut une résolution du Conseil de
sécurité particulièrement contraignante pour Bachar el-Assad.
11.
Le revirement superficiel des Etats-Unis est une bonne chose, un revirement
profond est vivement recommandé. Il y a à peine une semaine, T-Rex, le
secrétaire d'Etat de Donald Trump, Rex Tillerson, avait déclaré
que « le sort du président Assad, à long terme, sera décidé
par le peuple syrien ». Plus grave encore, l’ambassadrice
américaine aux Nations unies, Nikki Haley, avait déclaré « notre
priorité n’est plus de rester assis là à nous concentrer pour
faire partir Assad ». Encore une fois, on ne peut qu'avoir de
sérieux doutes sur la cohérence et la consistance de la politique
étrangère de Donald Trump. Celle-ci ne saurait être dictée par
l'émotion et le bluff. Bachar el-Assad ne peut plus faire partie
de l'avenir de la Syrie. C'est la clé de voûte pour mettre fin à
la guerre civile syrienne. Donald Trump ne l'a jamais dit urbi et
orbi. Par conséquent, les frappes aériennes d'hier s'inscrivent dans le
cadre d'une manœuvre politicienne qui ne changera rien au cours des
événements en Syrie.