vendredi 7 avril 2017

La frappe américaine en Syrie ou la nouvelle tromperie de Trump (Art.425)


Le président américain, Donald Trump, a ordonné une série de frappes aériennes en Syrie contre une base du régime syrien. Celle-ci fait suite au massacre chimique commis par ce dernier à Khan Cheikhoun (Idlib) le 4 avril et qui a couté la vie à une centaine de personnes dont une trentaine d'enfants. Les spéculations vont bon train autour de cette action unilatérale des Etats-Unis. Onze réflexions à chaud.


1. Le principe selon lequel la communauté internationale ne puisse pas tolérer que le régime syrien use d'armes chimiques de destruction massive dans la guerre civile en cours a été instauré par l'ancien président américain, Barack Obama. C'était sa fameuse « ligne rouge ». On ne peut que se féliciter que Trump suit la jurisprudence Obama.

2. Si la frappe aérienne de Trump a été décidé pour des raisons purement humanitaires, « aucun enfant de Dieu ne devrait avoir à subir une telle horreur », sans réflexion stratégique, à savoir comment mettre un terme à l'interminable drame syrien, je suis désolé d'avoir à le dire, mais elle devrait nous inquiéter plutôt que de nous rassurer. Dans un tel cas, il est indispensable de mettre les points sur les « i ». Ceci prouve que Donald Trump demeure un président impulsif, imprévisible et inconsistant. Tenez, après une attaque jihadiste odieuse, le bonhomme serait capable de faire exactement le contraire, envoyer des armes au régime syrien et soutenir la nomination de Bachar el-Assad pour le prochain prix Nobel de la Paix. Ce qui est demandé au président de la plus grande puissance au monde c'est d'être un stratège intelligent et non un émotif primaire. Ce n'est pas une frappe aérienne qui arrêtera le drame de la population en Syrie et ramènera les millions de Syriens dans leur pays, c'est une véritable stratégie pour mettre un terme à la guerre.

3. Après le massacre d'al-Ghouta commis par les troupes de Bachar el-Assad le 21 août 2013 avec du gaz sarin, les menaces de Barack Obama de lancer des frappes aériennes contre le régime syrien et la culpabilité certaine du tyran de Damas ont poussé le régime syrien a accepté le démantèlement de son arsenal chimique sous l'égide de l'ONU. Celui-ci était évalué à l'époque à près de 1 000 tonnes. A Ghouta, quelques dizaines de litres seulement étaient suffisants pour provoquer 1 429 morts dont 426 enfants. On peut critiquer autant qu'on veut Barack Obama, mais on ne pourra pas zapper ce constat qui s'impose avec le recul et que l'actualité tragique de cette semaine est venue nous le rappeler : tout aventurisme en Syrie avant le démantèlement de l'arsenal chimique de Bachar el-Assad, aurait conduit à la dissémination sûre et certaine des armes chimiques aux groupes jihadistes sunnites et aux milices chiites.

4. Le régime syrien est censé ne plus être en possession d'armes chimiques. Le massacre chimique qu'il a commis à Khan Cheikhoun est donc une violation flagrante des résolutions de l'ONU. Elle doit conduire à une lourde sanction de la part du Conseil de sécurité. Voyons donc ce que Trump est capable de faire sur ce point.

5. Le discours de Donald Trump pour annoncer les frappes aériennes mérite qu'on s'y arrête un instant. « J’appelle toutes les nations civilisées à chercher à mettre fin au massacre et au carnage en Syrie. » On ne l'a pas attendu pour cela ! Cela fait six ans qu'on essaie, en vain. Le président américain a justifié le lancement de 59 missiles Tomahawk sur la base aérienne par « il est dans l’intérêt vital de la sécurité nationale des Etats-Unis d’empêcher et de dissuader la dissémination et l’utilisation d’armes chimiques mortelles ». Justement, c'était exactement la stratégie de Barack Obama en Syrie. On ne peut que se féliciter que Trump suit Obama sur ce point. En tout cas, jamais un président des Etats-Unis n'a été entouré par autant de généraux à la retraite, dont James Mattis, secrétaire américain à la Défense. Il faut tout de même rappeler que ce dernier poste doit être normalement confié à un civil (depuis au moins 10 ans), sauf exception, la dernière datant de 1950. Ceci donne une idée des orientations de la nouvelle administration américaine. Il est donc évident que ce facteur a joué un rôle déterminant dans cette décision militaire. La dernière déclaration de Donald Trump ne peut que le confirmer.

6. Selon les premières informations, la base aérienne syrienne a été détruite complètement par les 59 missiles Tomahawk lancés depuis le destroyer USS Porter, qui fait partie de la 6e flotte américaine opérant en mer Méditerranée. Néanmoins, selon d'autres informations, les Russes ont été prévenus (info certaine), le régime syrien aurait évacué les avions avant (mis au courant par ces derniers) et deux avions syriens ont pu décoller après l'opération pour mener des raids du côté de Palmyre (ce qui signifierait que toutes les avions et les pistes n'ont pas été détruites complètement ; l'info a été confirmée par les Américains). En tout cas, la capacité terroriste et criminelle du régime de Bachar el-Assad, demeure entière. L'opération dont l'efficacité est loin d'être confirmée, aurait couté une centaine de millions de dollars. 

7. Le soutien apporté par la Turquie et l'Arabie saoudite à Donald Trump nous rappelle que la frappe est une vaste opération de communication, qui n'a pas été conduite pour des raisons humanitaires, encore moins stratégiques. Donald Trump vise avant tout un triple objectif, classé par ordre crescendo :

. D'abord, à effacer le tollé provoqué par ses décrets discriminatoires « Muslim Ban » aux Etats-Unis, dans les pays musulmans et dans l'Union européenne.

. Ensuite, à montrer au monde entier que sur le dossier syrien, et sur d'autres (l'Iran et la Corée du Nord notamment), il ira plus loin que son prédécesseur. Il ne faut pas oublier que Donald Trump souffre du « complexe d'Obama ». C'est ce qui l'a poussé récemment à délirer en affirmant que l'ancien président américain l'avait placé sous écoute.

. Enfin, à faire oublier aux Américains les soupçons qui pèsent sur lui et son entourage, à propos des relations secrètes qu'ils auraient eues avec la Russie. Et dans ce dossier les choses commencent à devenir très embarrassantes pour le président américain. Il y a à peine un mois, le Washington Post avait révélé que le ministre américain de la Justice, avait rencontré à deux reprises l'ambassadeur russe aux Etats-Unis, alors que Donald Trump était en campagne électorale. Pire encore, Jeff Sessions a menti devant le Sénat, alors qu'il était sous serment, au cours de l'audition qui devait le confirmer à son poste, en niant ces accusations. Rajoutez à cela, le scandale de Michael Flynn, un ancien haut gradé de l'armée américaine contraint à démissionner le 13 février 2014, 24 jours seulement après sa nomination comme 25e conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis car il avait menti sur la nature des contacts qu'il a eus avec l'ambassadeur russe aux Etats-Unis durant la période de transition. On a appris par la suite que le général à la retraite avait reçu près de 50 000 dollars en 2015 d'entreprises russes ou liées à la Russie. Et c'est sans parler du rapport conjoint publié au début de l'année par les agences américaines de renseignement -FBI, CIA et NSA- qui accuse Vladimir Poutine d'avoir oeuvré pour favoriser l'élection de Donald Trump au détriment de celle d'Hillary Clinton. Il est donc clair que les frappes de Donald Trump en Syrie constituent une manœuvre qui vise à détourner l'attention des Américains de la collusion qui a bel et bien existé entre Donald Trump et Vladimir Poutine

8. La ferme condamnation de la frappe par l'Iran et la Russie prouve que si la frappe n'est pas suivie de pressions diplomatiques, elle n'aura aucun effet notable sur le cours des événements et l'issue de la guerre en Syrie. Pire encore, elle aggravera la situation.

« Un regard rétrospectif sur le Twitteur
en chef, 
lorsque le président Obama a fait
face à un 
scénario de guerre en Syrie » 
Americans for Bernie Sanders
9. Frappe ou pas frappe, Donald Trump restera quand même a national disaster, comme le prouvent ses mesures contre l'environnement et l'Obamacare, et an international disaster, comme l'attestent ses décrets Muslim Ban et son Mexican Wall. En tout cas, aujourd'hui on ne peut pas s'empêcher de penser aux tweets de Trump, lorsque le président Obama avait envisagé un moment ordonner des frappes aériennes contre le régime syrien à la suite du massacre de la Ghouta, qui a fait 1 429 morts dont 426 enfants, notamment à celui du 5 septembre 2013, écrit en lettres majuscules svp : « Encore une fois, à notre chef très insensé, n'attaquez pas la Syrie. Si vous le faites, beaucoup de choses très mauvaises se produiront, et de cette lutte les États-Unis n'obtiendront rien ». Non mais, quel bouffon ! Il faut dire qu'à l'époque Donald Trump n'était qu'un animateur d'un jeu de téléréalité. 

10. Des frappes aériennes c'est bien, une résolution onusienne c'est mieux. Si nous sommes arrivés à ce chaos en Syrie, c'est à cause de l'obstination de la Russie et de la Chine de bloquer toute résolution du Conseil de sécurité condamnant le régime terroriste de Bachar el-Assad. Au total, ils en ont bloqué au moins une demi-douzaine ! La première c'était en octobre 2011, on n'était qu'à quelques milliers de morts. Nous sommes aujourd'hui à quelques centaines de milliers de morts. Ainsi, ce qui est demandé de Trump réside ailleurs. Il faut une résolution du Conseil de sécurité particulièrement contraignante pour Bachar el-Assad.

11. Le revirement superficiel des Etats-Unis est une bonne chose, un revirement profond est vivement recommandé. Il y a à peine une semaine, T-Rex, le secrétaire d'Etat de Donald Trump, Rex Tillerson, avait déclaré que « le sort du président Assad, à long terme, sera décidé par le peuple syrien ». Plus grave encore, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, avait déclaré « notre priorité n’est plus de rester assis là à nous concentrer pour faire partir Assad ». Encore une fois, on ne peut qu'avoir de sérieux doutes sur la cohérence et la consistance de la politique étrangère de Donald Trump. Celle-ci ne saurait être dictée par l'émotion et le bluff. Bachar el-Assad ne peut plus faire partie de l'avenir de la Syrie. C'est la clé de voûte pour mettre fin à la guerre civile syrienne. Donald Trump ne l'a jamais dit urbi et orbi. Par conséquent, les frappes aériennes d'hier s'inscrivent dans le cadre d'une manœuvre politicienne qui ne changera rien au cours des événements en Syrie