D'après
les résultats quasi définitifs, le "oui" l'a emporté
dans le référendum organisée par Recep Tayyip Erdogan sur la
réforme de la Constitution de la République de Turquie. Avant de
pavoiser les bords du Bosphore, dix réflexions.
1.
Dans un pays de plus 80 millions d'habitants, où la consultation
nationale a mobilisé 87% des 55,3 millions d'électeurs, ce
référendum est un succès indéniable. Pas pour Erdogan.
En tout cas, pas en premier. La Turquie prouve encore une
fois, en dépit de ce que les mauvaises langues de mauvaise foi
diront, qu'elle est bel et bien une grande démocratie et les
Turcs des citoyens dynamiques, concernés par leur avenir.
2.
Petit bémol, et non des moindres, une polémique entache le bon
déroulement de ce référendum et concerne la validation de 2,5
millions de bulletins non conformes par le Haut conseil des
élections (YSK). Si ces soupçons d'irrégularités sont
confirmés, ils pourraient invalider le résultat du référendum. On
le saura les prochains jours. Dans tous les cas, la démocratie turque peut faire mieux.
3.
Contrairement aux prévisions, le "oui" ne l'emporte que de
peu (51,41%). Ainsi, 48,59% des Turcs ont rejeté la réforme. C'est
donc un sérieux désaveu pour Erdogan. Ses envolées
nationalistes et ses délires anti-européens, ont eu l'effet inverse
de ce qui était escompté. L'hostilité kurde à Erdogan est
loin d'expliquer à elle seule, ce score élevé pour le "non".
Ce qui a dû peser lourd dans les urnes, c'est la purge massive de
la société turque, engagée par le régime d'Erdogan depuis le coup
d'Etat raté du 15 juillet 2016, qui a conduit à près de 150
000 arrestations et limogeages, qui prouvent que des listes étaient
établies d'avance. La tentative de putsch était comme
disait Erdogan « une bénédiction d'Allah » pour
écraser ses adversaires politiques et préparer l'opinion publique à
la réforme de la Constitution. Le peuple turc n'est pas dupe. Il l'a
bien compris et il l'a fait savoir hier. Erdogan a été sanctionné.
4.
Les grandes villes comme Istanbul et Ankara ont rejeté la
réforme. Les chiffres sont inversés. Le "non" a
obtenu près de 51,3% des voix, 68,8% à Izmir. C'est comme pour Londres
qui a voté contre le Brexit. Ceci prouve une constante internationale, les
milieux urbains sont moins sensibles à la politique populiste que
les milieux ruraux.
5.
Les Turcs de l'étranger ont voté pour le "oui", à
hauteur de 60,1%, notamment en Allemagne (63,1%), en France
(64,4%), Pays-Bas (70%), Autriche (73%) et en Belgique (77,7%), mais pas en Arabie saoudite (41,7%), au Canada (27,2%) et aux Etats-Unis (15,6%). La
propagande d'Erdogan contre l'Europe ces derniers mois y est pour
quelque chose. Mais ce n'est pas tout. Les Turcs d'Europe ont la
chance de bénéficier de cette précieuse liberté qui règne dans
l'Union européenne. Ils n'ont pas à subir la répression d'Erdogan.
Leur vote est avant tout un plébiscite nationaliste pour le
gardien fort de la Sublime Porte.
6.
Le problème de cette réforme n'est évidemment pas de forme, mais
de fond. Ce n'est pas le fait d'avoir un régime présidentiel en
Turquie qui inquiète. Certes, les Etats-Unis sont un régime
présidentiel, mais d'une part, le président américain n'a pas
de prérogatives exceptionnelles et d'autre part, il a d'importants
contre-pouvoirs. Sa marge de manœuvre est finalement assez limité.
On l'a bien vu avec Donald Trump, qui a beaucoup de mal à abolir
l'Obamacare et à faire appliquer le Muslim Ban. La réforme
constitutionnelle turc renforce le pouvoir du président de la
République. Erdogan Ier d'Anatolie, pourrait rester au pouvoir
jusqu'en 2029 pour un règne de 26 ans. Si elle entre en vigueur, le
président turc pourra contrôler tous les pouvoirs, législatif,
exécutif et judiciaire. Il pourra par exemple nommer et révoquer
les ministres, déclarer l'Etat d'urgence et gouverner par décrets.
Plus grave encore, il pourra nommer 12 des 15 membres du Conseil
constitutionnel. Pire encore, il pourra nommer 6 des 13 membres du
Conseil supérieur des juges et des procureurs (HSYK), le reste étant
nommé par le Parlement. Mais comme il y a de fortes chances que la
majorité parlementaire soit de la même couleur politique que le
président, un homme et un seul, le chef d'un parti islamo-conservateur, une personnalité
charismatique mais autoritaire, démocrate avec un penchant islamiste, aura donc
le pouvoir de contrôler entièrement cette haute instance judiciaire
turque. On le voit bien, la nouvelle réforme de la Constitution
menace sérieusement la démocratie turque et l'État de droit en
Turquie.
8.
Le jour même du référendum, Erdogan a rappelé qu'il sera
peut-être amené à réintroduire la peine de mort en Turquie.
Le piétinement de la laïcité instaurée par le père
fondateur, Mustafa Kemal Atatürk, et l'islamisation soft de
la société, ne font plus débat. Les ambiguïtés d'un temps du
président turc à l'égard des jihadistes en Syrie sont
largement démontrées. La répression de ses adversaires et
de ses opposants, ainsi que les restrictions de la liberté
d'expression régissent la vie politique quotidienne dans le
pays. Depuis qu'Erdogan est au pouvoir, la Turquie ne cesse de
s'éloigner de l'Union européenne. La réforme constitutionnelle
constitue un nouveau élément qui vient nous rappeler que la
Turquie n'a pas vocation à rejoindre l'Union européenne, une
adhésion qui engendrera beaucoup de problèmes de part et d'autre, et dont on peut s'en passer des deux côtés.
La
vocation historique de la Turquie est de représenter un modèle
réussi de développements politique, économique, industriel et
touristique pour le monde arabo-musulman en général et les pays du
Moyen-Orient en particulier.
9. Il faut donc mettre un terme à l'hypocrisie mutuelle des interminables négociations et à ce « mariage forcé », l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, pour repartir sur les nouvelles bases plus saines d'une « union libre », des relations privilégiées entre l'Asie mineure et l'Europe.
9. Il faut donc mettre un terme à l'hypocrisie mutuelle des interminables négociations et à ce « mariage forcé », l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, pour repartir sur les nouvelles bases plus saines d'une « union libre », des relations privilégiées entre l'Asie mineure et l'Europe.
10.
Faire passer une réforme aussi grave avec une si faible marge,
dégagée d'un référendum entaché d'irrégularités massives, n'est
pas de nature à apaiser la société turque, qui n'est pas encore
sortie de l'épreuve du coup d'Etat manqué de l'été dernier.
Il est encore temps pour Erdogan, de revenir à la raison, d'en
prendre conscience et de renoncer à cette réforme
mégalomaniaque, qui n'a pas sa place dans un pays démocratique
et qui n'est pas dans l'intérêt du peuple turc.