« Les Saoudiens ne sont rien que des esbroufeurs, des tyrans et des lâches. Ils ont l'argent, mais pas le courage ». Eh oui, c'est l'un des 34 931 tweets de @realDonaldTrump, publié à l'occasion du 13e anniversaire du 11-Septembre. Ce qui se passe actuellement sur le plan géopolitique entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite relève tellement du surréalisme que je peux m'autoriser à introduire cet article par une réplique du film Chat noir Chat blanc, une superbe farce du réalisateur franco-serbe, Emir Kusturica. « Comme disent les Bulgares, si tu n'arrives pas à résoudre un problème avec du fric, tu le résoudras avec beaucoup de fric ». Alors, allons-y pour douze réflexions.
1 POURQUOI LA PREMIÈRE TOURNÉE DE DONALD TRUMP L'A CONDUIT EN ARABIE SAOUDITE ET EN ISRAEL?
Le président américain a réservé sa première tournée internationale à l'Arabie saoudite et à Israël, et non à la France ou à l'Allemagne. Il faut dire que dans ces contrées du Moyen-Orient, Donald Trump était sûr que des manifestants n'allaient pas lui servir un menu politique indigeste à sa descente d'avion : une salade de tomates en entrée, des oeufs comme plat de résistance et de la crème pour le dessert. Il ne risquait rien, ni de la part des populations ni de la part des autorités, du fait du grand soulagement éprouvé dans ces deux pays de voir Barack Obama partir et Donald Trump arriver. Le président américain était d'autant plus motivé de venir en Arabie saoudite et en Israël qu'il existe deux raisons particulières qui l'ont poussé dans ce sens. D'une part, parce qu'il se trouve empêtrer dans un scandale politique sans précédent aux Etats-Unis, à propos de son entrave à l'enquête du FBI sur ses relations avec la Russie avant son élection (au point qu'on commence à parler sérieusement des moyens de déclencher une procédure de destitution à son encontre). D'autre part, parce qu'il possède un vrai business dans ces pays, qui l'a d'ailleurs poussé à exclure les ressortissants saoudiens du « Muslim Ban », alors que 15 des 19 terroristes du 11-Septembre étaient de nationalité saoudienne.
2 LES PRO-SAOUDIENS JUBILENT, LES PRO-IRANIENS FULMINENT ET ENTRE LES DEUX, UN NO MAN'S LAND
Je l'ai déjà exprimé dans un article récent, au match aller, à la suite de la réception en grande pompe du vice-prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane Al Saoud, ministre de la Défense et fils du roi Salmane, par le président américain à Washington le 14 mars. « Pendant que des Occidentaux se battent contre Trump, le Muslim Ban et le Mexican Wall, l'Arabie saoudite loue le président américain, défend son décret et approuve son mur ». Certes, le coeur a ses raisons que la raison ne connait point. Mais dans un contexte géopolitique, cet adage de Pascal est valable pour les Etats, pas pour les individus, qu'ils soient politiciens, activistes, journalistes ou intellectuels. Voilà pourquoi en Occident, surtout aux Etats-Unis, alors que certains ont hissé Trump au plus haut sommet de l'Etat, d'autres continuent à se battre tous les jours, pour le faire tomber. En Orient, notamment au Liban, depuis samedi, les pro-Saoudiens, anti-Iraniens forcément, jubilent. A l'opposé, les pro-Iraniens, anti-Saoudiens forcément, fulminent. Et entre les deux, c'est un no man's land. Et pourtant, c'est là où beaucoup de gens comme moi s'y trouvent actuellement.
3 LES RELATIONS ENTRE LES AMÉRICAINS ET LES SAOUDIENS SOUS BARACK OBAMA
La relation entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite est passée par de grandes difficultés sous le mandat de Barack Obama. Ce point explique en partie les démonstrations politiques de ce weekend. Entre Obama et Salmane, il y avait une grande incompréhension. Il faut dire que l'écrasante majorité des dirigeants orientaux sans exception ou presque -des pays du Golfe, aux pays d'entre les deux fleuves et au pays du Cèdre- qui ont une fâcheuse tendance à pratiquer la politique de l'autruche, à refuser de regarder la réalité en face, à fuir leurs responsabilités et à attendre qu'on fasse les choses à leur place, n'ont pas beaucoup apprécié l'extraordinaire lucidité de l'ancien président américain entre 2009 et 2017.
Les critiques acerbes à l'égard d'Obama, sont non seulement injustes mais ils reflètent aussi une certaine ingratitude et une grande méconnaissance des enjeux et des risques dans notre région. Nous devons à Barack Obama trois choses fondamentales au Moyen-Orient.
. Primo, d'avoir débarrassé la région des armes de destruction massive chimiques syriennes. C'est la menace de frappes aériennes en août 2013, après le massacre de Ghouta (près de 1500 morts), qui a forcé le tyran de Damas à se débarrasser de son arsenal chimique et à adhérer à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC). Si on avait attaqué Assad à l'époque, cet arsenal serait aujourd'hui, disséminé en Syrie, en Irak et au Liban, entre les mains des groupes extrémistes sunnites et chiites, Daech, al-Nosra, al-Qaeda, Hezbollah, etc.
. Secundo, d'avoir mis fin au programme de production d'armes de destruction massive nucléaires iraniennes. Tout autre plan en dehors de l'accord négocié et conclu entre la communauté internationale et l'Iran, des sanctions renforcées ou une intervention militaire, aurait couté beaucoup plus cher, ne serait pas parvenu à neutraliser toutes les installations nucléaires iraniennes dispersées et enfouies, n'aurait pas permis d'envisager des contrôles réguliers des activités iraniennes et surtout n'aurait pas poussé les Iraniens à renoncer au nucléaire militaire au profit du nucléaire civil.
. Tertio, d'avoir à la fois freiné l'expansion de l'Etat islamique et engagé les forces américaines massivement dans le but de son anéantissement. Rappelons dans ce sillage que la généalogie du groupe terroriste : si Daech a deux pères adoptifs -George W. Bush et Nouri elMaliki- et trois mères nourricières -Bachar elAssad, Ali Khamenei et Vladimir Poutine- le groupe terroriste a eu des tantes et des oncles bienveillants via le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie. De tous ces acteurs étrangers, seul Obama a assumé pleinement le rôle néfaste joué par son pays dans l'épanouissement de l'Etat islamique. Pour les autres, soit ils continuent à assurer ce rôle, soit ils continuent à renier de l'avoir jouer un jour.
4 LES ERREURS DES SYRIENS ET DES PAYS DU GOLFE EN SYRIE
Avant d'accuser Barack Obama de tous les maux, et de ne plus tarir d'éloges sur Donald Trump, présenté comme « un véritable ami des musulmans, qui servira le monde islamique d'une manière inimaginable » (ben Salmane à Washington), tous les acteurs de la scène moyen-orientale devraient se remettre en question. A commencer justement par les pays du Golfe. Leur passivité face à la montée du radicalisme islamique et leurs actions néfastes face aux groupes jihadistes, en Syrie comme en Irak, ont contribué à envenimer la situation. Daech demeure un problème arabe, mais les pays du Golfe ne veulent rien en savoir, aujourd'hui comme hier. Mettre toute la faute sur l'Iran, c'est plus simpliste et bien plus commode. Les Syriens eux aussi, ont commis une triple erreur, fatale, qui leur a couté très chers : d'islamiser leur révolution, de militariser leur révolte et de généraliser leur conflit à tout le territoire syrien. Ils ont été encouragés dans ce sens par les pays du Golfe et la Turquie, obsédés d'en finir avec le régime alaouite de Bachar el-Assad. Pour rien arranger à leur malheur, les Syriens sont restés si divisés et n'ont jamais réussi à s'unir, afin de convaincre le monde qu'ils avaient la force, l'organisation et la capacité nécessaires pour remplacer le régime syrien.
5 QUAND LE « TONNERRE DU NORD » FAIT PSCHITT
Les manoeuvres militaires qui se sont déroulées en Arabie saoudite entre le 28 fév. et le 10 mars 2016, ont été présentées comme le prélude d'une intervention terrestre en Syrie "Tonnerre du Nord" - Captures d'écran Alaraby TV Network |
Il faut rappeler dans ce sillage que l'Arabie saoudite dépense depuis toujours des sommes phénoménales dans le domaine militaire. Son budget annuel se situe entre 57 et 82 milliards de dollars (pour 2016 et 2015). C'est trois à quatre fois celui de la Turquie ou d'Israël (près de 19 Mds $) et six à huit fois celui de l'Iran (près de 10 Mds $). A un moment on a cru que les Saoudiens allaient utiliser cet arsenal pour s'impliquer davantage en Syrie et faire eux-mêmes ce qu'ils souhaitaient faire faire aux Américains. C'était les fameuses manœuvres militaires « Tonnerre du Nord ». Il y a un peu plus d'un an, 150 000 hommes venant de vingt pays arabo-islamiques, dont plusieurs pays du Golfe, du Machreq et du Maghreb, se sont livrés à un exercice militaire exceptionnel en Arabie saoudite, destiné à « former les troupes engagées à la lutte contre les forces illégales et les groupes terroristes, sur fond de menaces croissantes et d'instabilité politique dans la région ». Ces manoeuvres militaires furent présentées comme un prélude d'une intervention terrestre imminente en Syrie. Tous les espoirs étaient permis. Mais les saisons sont passées et l'offensive terrestre turco-saoudienne sur Raqqa et sur Damas, tant espérée, a fait finalement pschitt. Alep est tombée et Assad est en passe de reprendre la main sur la Syrie vitale. Finalement, ce sont les forces irakiennes chiites qui ont repris Mossoul et les forces syriennes sunnites kurdes qui foncent sur Raqqa. Les Saoudiens eux, se contentent essentiellement de signer des contrats de centaines de milliards de dollars, notamment avec la nouvelle administration américaine, et d'acheter des armes de plus en plus sophistiqués à Trump & Co. Soit, mais c'est pourquoi faire ?
6 LES PAYS ARABES FONT DE LA FIGURATION DANS LA LUTTE CONTRE DAECH EN IRAK ET EN SYRIE
Il est donc clair que dans ce contexte complexe, surtout avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, l'ancienne administration américaine, élue et réélue sur une promesse de désengagement et de retrait du bourbier irakien, ne pouvait absolument pas se précipiter dans le bourbier syrien, encore moins moins avec des hommes aux sols, pendant que les Syriens enchainent les erreurs et les Arabes suivent les opérations à la télé.
Source : Airwars.org |
Alors qu'on sait d'une part que les régimes arabes sont plus menacés par l'idéologie islamiste que le reste du monde, et d'autre part, que seuls des forces sunnites pourront éteindre le feu islamiste sous les braises de Daech, on s'aperçoit que la participation des pays arabes à la lutte militaire contre Daech s'apparente à un service minimum pour ne pas dire à de la figuration.
7 L'INQUIÉTANT « CROISSANT CHIITE » DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D'IRAN
"L'Iran a poursuivi ses activités terroristes en 2015, comprenant un soutien au Hezbollah, aux groupes terroristes palestiniens à Gaza et à divers groupes en Irak et à travers le Moyen-Orient". Extrait des Country Reports on Terrorism, remis par le Secrétaire d'Etat américain au Congrès et publiés le 2 juin 2016 |
La "Vénus capitoline" Musées du Capitole à Rome Photos: David Jones (G) et Alik Sumin (D) |
Extrait d'un rapport sur "l'assistance iranienne aux groupes armés au Moyen-Orient", établi par le Congressional Research Service (31 juil. 2015) |
8 DONALD TRUMP A UNE NOUVELLE VISION DE L'ISLAM
Un des grands bénéfices non-matériels de la visite du président américain en Arabie saoudite, réside sans doute dans sa nouvelle vision de l'islam. Fini avec « l'islam nous hait ». Près de 380 milliards de dollars plus tard, Donald Trump pense que la lutte contre le terrorisme « ce n'est pas une bataille entre différentes croyances, sectes ou civilisations... c’est une bataille entre des criminels barbares qui veulent détruire la vie humaine et des gens biens de toutes les confessions qui cherchent à la protéger... c’est une bataille entre le bien et le mal ». Dans ce but, il s'est joint au roi saoudien et au président égyptien, pour inaugurer le Centre mondial pour la lutte contre l'idéologie extrémiste. Excellente initiative, sans l'ombre d'un doute. Certes, le nouveau positionnement de Donald Trump lui fera perdre ses soutiens islamophobes aux Etats-Unis et dans le monde. Mais il peut espérer compenser cette perte grâce aux juteux contrats qu'il rapporte.
9 A-T-ON EU RAISON DE LEVER LES SANCTIONS CONTRE L'IRAN?
Si la communauté internationale avait décidé d'associer la levée des sanctions à un ensemble de conditions liées uniquement au programme nucléaire -qui devait conduire l'Iran à abandonner toute visée militaire dans son programme nucléaire, accepter des contrôles des installations et limiter le programme civil- c'est justement pour avoir des chances sérieuses de résoudre une fois pour toutes un dossier nucléaire qui traine depuis plus d'une douzaine d'années. Mission accomplie. Par ailleurs, on savait que la levée d'une partie des sanctions était comme une bouffée d'oxygène pour ce pays asphyxié par son isolement. Certes, le régime conservateur des mollahs, dirigé par le Guide suprême Ali Khamenei, pouvait en profiter. Mais, ils n'étaient pas les seuls. Ce sont surtout les réformateurs, représentés par Hassan Rohani, qui pouvaient tirer le meilleur profit de la situation, en prouvant à une partie de la population qui aspire à des jours meilleurs, qu'un accord avec la communauté internationale était dans l'intérêt de l'Iran. Cette partie du plan n'est qu'au début. Et le début est très prometteur. Hassan Rohani a été réélu vendredi dernier. Avec une participation importante, il a récolté 57% des suffrages exprimés. Certes, sur la scène régionale, l'Iran continue à s'ingérer dans les affaires politiques de l'Irak, de la Syrie, du Liban, du Yémen et du Bahrein. Mais c'est justement parce que ce domaine dépend surtout des conservateurs. A l'intérieur de l'Iran, les choses bougent. Les municipalités de nombreuses grandes villes iraniennes, dont Téhéran, Ispahan et Shiraz, viennent de basculer entre les mains des réformateurs et des modérés par exemple.
10 QUI A INTERÊT AUJOURD'HUI À SABOTER L'ACCORD SUR LE NUCLÉAIRE IRANIEN ET À BRAQUER L'IRAN?
A ce propos, il est quand même curieux de constater qu'au moment même où le peuple iranien renouvelle sa confiance dans la ligne politique réformatrice de Hassan Rohani, où l'intéressé déclare que « la nation iranienne a choisi la voie de l'interaction avec le monde, loin de la violence et de l'extrémisme », Trump et Salmane ont clairement décidé « d'isoler » l'Iran. Alors pourquoi autant, pourquoi maintenant et pourquoi faire?
Certes, les 380 milliards $ y sont pour beaucoup. Mais le bouffon de la Maison Blanche aurait fait ce qu'on attendait de lui pour beaucoup moins que ça. Il aurait même fait la danse du sabre à Téhéran, si les mollahs avaient remporté les enchères. En réalité, Donald Trump joue à « l'idiot utile » pour trois entités ennemis qui ont tous les trois intérêt aujourd'hui à saboter l'accord sur le nucléaire iranien et à braquer l'Iran : le roi saoudien Salmane, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le guide suprême de la révolution islamique Ali Khameneï.
L'obsession du président américain n'est absolument pas d'ordre géopolitique, elle est plutôt d'ordre politico-économique. Trump espère que les centaines de milliards de dollars rapportés d'Arabie saoudite, augmenteront sa côte de popularité aux Etats-Unis, écarteront pour un moment l'épée de Damoclès de la destitution plantée au-dessus de sa tête et étoufferont le scandale de sa collusion quasi certaine avec la Russie. Dans tous les cas de figure, tout durcissement des relations internationales avec l'Iran, comme l'envisage le trio de la nouvelle alliance, se fera au bénéfice du régime des mollahs, en soudant une population nationaliste et fière contre cette menace externe.
11 A QUOI SERVIRONT LES ARMES ACHETÉES PAR L'ARABIE SAOUDITE? HÉLAS, À RIEN.
Quant aux armements achetés, on ne peut que se demander où et comment peuvent-ils bien servir? A en croire la Maison-Blanche les contrats militaires serviront à « renforcer la capacité du royaume à contribuer aux opérations antiterroristes dans toute la région ». Ah bon! Où ça, en Syrie? Surement pas, là-bas, l'Arabie saoudite fait de la figuration dans la coalition internationale comme on l'a vu précédemment. En Irak? Ça n'a jamais été le cas, depuis trois ans. Au Liban? Pas la peine de tourner le couteau dans la plaie, ils ont même rechigné à livrer 4 misérables milliards de dollars d'armes à l'armée libanaise, qui combat Daech bien plus efficacement que tous les pays du Golfe réuni. Au Yémen? Ah oui, mais bon, il n'était nullement besoin d'acheter autant. On voit bien, que ces armements ne serviront à rien en pratique, à part à augmenter les stocks et remplir les hangars. Cependant, la Maison-Blanche nous apprend que les contrats conclus devront « soutenir la sécurité de l’Arabie saoudite et de la région du Golfe face aux menaces iraniennes ». Et encore, là aussi, on ne peut qu'en douter. En 1990, face aux menaces irakiennes de Saddam Hussein, malgré tout son arsenal, l'Arabie saoudite a dû se placer sous la protection directe des Etats-Unis.
12 L'ARABIE SAOUDITE S'OFFRE UNE FORMIDABLE OPÉRATION DE COM' ET UN EXTRAORDINAIRE PLAN D'ACTION, MAIS ELLE PREND UN GRAND RISQUE
Parlons peu, parlons bien. Ce qui s'est passé ce weekend en Arabie saoudite est à la fois une formidable opération de com' et un extraordinaire plan d'action. Avec 380 milliards de dollars, les Saoudiens visent un triple objectif.
. Primo, mettre le président de la plus grande puissance économique et militaire au monde dans la poche et le neutraliser sur la question de l'islam. Ils le font le plus tôt possible, quatre mois seulement après le début du mandat, afin de pouvoir profiter de l'investissement le plus longtemps possible, sur les plans militaire, économique et politique. Mission accomplie brillamment comme le prouvent ces images de Donald Trump dansant avec le sabre côte-à-côte avec Salmane, sur une musique traditionnelle saoudien et se chauffant les mains sur boule lumineux qui a fait fantasmer tous les théoriciens du complot et d'ésotérisme.
. Secundo, jeter les bases d'une relation solide, stable et durable entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. D'une part, Donald Trump ne restera en place dans le meilleur des cas que près de quatre ans. Il y a des chances qu'il soit destitué avant le terme de son mandat. Il peut être être réélu aussi. Dans tous les cas de figures, en 2025, il ne sera plus aux commandes aux Etats-Unis. D'autre part, pour Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, c'est encore pire. Il fêtera ses 82 ans à la fin de l'année. Il est atteint de la maladie d'Alzheimer. Il est le dernier fils d'Ibn Saoud à régner. Dans peu de temps, il ne sera plus en capacité de gouverner. Il devrait passer le pouvoir sous peu au prince héritier, petit-fils d'Ibn Saoud, Mohammed ben Nayef ben Abdelaziz, âgé de 57 ans aujourd'hui. Le roi Salmane est conscient que ce changement générationnel comporte de grands risques pour le royaume, car les petits-fils d'Ibn Saoud pourraient avoir du mal à s'imposer comme les fils, du fait des tiraillements internes au sein de la famille royale et des islamistes du royaume. Les ennemis de l'Arabie saoudite, l'Iran et al-Qaeda, seuls ou ensemble, pourraient profité de cette vulnérabilité pour déstabiliser le pays. Il était donc urgent de préparer cette succession et de garantir au successeur, l'appui inconditionnel de la première puissance au monde, les Etats-Unis, quelque soit le président qui sera en place à ce moment, et de lui transmettre un royaume capable de faire face sur le plan militaire à n'importe quelle éventualité.
Ainsi, les « 380 milliards $ » de contrats militaires et commerciaux, et d'investissements réciproques, s'inscrivent pleinement dans le grand projet saoudien « Vision 2030 », un ambitieux programme de réformes économiques et sociales pour transformer l'économie saoudienne. Il faut savoir que dans les détails et dans l'immédiat, les Saoudiens ne s'engagent en réalité que sur 12,5 milliards de dollars seulement pour l'achat d'armes américaines. Pour le reste, on trouve de tout : des dizaines d'accords fermes, de lettres d'intention, de protocoles d'accord non contraignants et beaucoup de souhaits. Voilà pourquoi on peut parler aussi d'une formidable opération de com'.
Les Etats-Unis et l'Arabie saoudite envisagent la construction par plusieurs géants américains, dont Lockheed Martin, Dow Chemical et General Electric, de plusieurs usines militaires et civiles dans le royaume (comprenant même la fabrication d'hélicoptères militaires et de véhicules blindés), la création d'un fonds d'investissement américano-saoudien pour réaliser des grands travaux d'infrastructures, la mise en route d'opérations de recherche de nouveaux gisements pétroliers, etc. On prévoit aussi pour le géant saoudien des hydrocarbures, Aramco, un plan d'investissement aux Etats-Unis de 12 Mds $ dans le raffinage. Tous ces contrats se traduiront naturellement par la création de milliers d'emploi pour les Saoudiens, mais aussi pour les Américains, et un transfert de technologies à l'Arabie saoudite. Il n'y a pas de doute, l'Arabie saoudite est engagée d'une manière visionnaire et réussie dans l'après-pétrole.
. Tertio, isoler l'Iran sur le plan financier sans avoir à tirer une cartouche. Le message des Saoudiens au monde est aujourd'hui on ne peut plus clair. L'Iran disposera peut-être de beaucoup d'argent à l'avenir, mais nous, on en a davantage, à ne plus savoir quoi en faire et tout de suite. Qui veut en profiter, n'a qu'à apprendre la « danse du sabre » et à prendre la direction de Riyad. Soit. Mais ce que les Saoudiens n'ont pas prévu, c'est qu'en voulant impressionner le monde à ce point, ils donnent l'impression qu'ils n'ont plus rien à offrir aux autres. Hélas, ils auraient dû se souvenir que trop est l'ennemi du bien.
Quand on pense que l'Union européenne a ouvert ses frontières à des centaines de milliers de réfugiés, qui sont dans l'écrasante majorité des cas de religion musulmane, que les pays du Golfe n'en veulent pas pour ne pas avoir de problèmes, que les Etats-Unis n'en prennent qu'au compte-gouttes, que Donald Trump ne sait plus comment s'y prendre pour appliquer son « Muslim Ban », et qu'à l'arrivée le gardien des deux Saintes Mosquées se précipite dans les bras du locataire de la Maison-Blanche, réservant aux Américains la part du lion et au reste du monde, des miettes et des clopinettes, on se dit qu'il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette histoire.
Si l'Arabie saoudite ne corrige pas son tir à l'avenir, en réservant aussi à l'Union européenne et aux autres pays occidentaux des parts de lion, il ne faut pas s'étonner d'entendre davantage que dans le passé, de plus en plus de voix dans les pays concernés, réclamant à cor et à cri de se mettre en marche sur la route de Téhéran. Eh oui, l'argent est le nerf de la guerre. C'est valable pour tout le monde.